Créer une piscine à vagues géante à 50 kilomètres de l’océan et en pleine urgence climatique ? C’est le projet porté par Édouard Algayon, notamment connu pour avoir participé à la saison 3 de la Star Académie. En février dernier, la mairie de Canéjan lui a accordé un permis de construire pour la construction d’un surf-park.
Ses deux bassins d’une superficie totale de 13000 m2, et contenant 20 000 m3 d’eau, pourront accueillir entre 200 et 300 surfeurs par jour. La méga-piscine serait située dans la zone d’activité du Courneau, site de l’ancienne usine IBM qui appartient à la famille Algayon depuis 2010.
S’il se réalise, ce projet serait une première en France puisque six autres propositions similaires ont déjà été rejetées, en raison de risques pour l’environnement (Magescq, Lacanau, Saint-Jean-de-Luz, Sevran, Saint-Père-en-Retz, Castets et Bordeaux).
Passionné de surf, Édouard Algayon parle de ce projet comme d’une réponse à « un besoin personnel et sociétal », au vu de l’importante communauté de surfeurs à Bordeaux :
« Personnellement, je suis à 1h30 de l’océan en voiture, donc c’est compliqué d’aller surfer quand je veux. Ensuite, les spots sont de plus en plus bondés. Je me suis aussi dit que ce type de technologie pourrait servir à ceux qui souhaitent s’initier ou même aux personnes en situation de handicap. Sans courants ou baïne et bien encadrée, la pratique sera moins dangereuse qu’en milieu naturel pour eux. »
Entre 20 et 30 millions d’euros seront investis pour ce projet dans lequel Édouard Algayon se lance avec trois associés. Mehdi Ait Oufkir, surfeur et directeur d’entreprise à Los Angeles, Nicolas Padois, président de l’école de surf Ocean Roots à Arcachon, et Eneko Elosegui, ingénieur ayant travaillé sur la technologie des vagues artificielles au sein de l’entreprise Wavegarden. Si le projet d’Académie de la glisse aboutit, elle sera chargée d’y élaborer les vagues.
L’équivalent de « 59 piscines olympiques »
De leur côté, des associations de défense de l’environnement récusent ces considérations pédagogiques et utilitaires. Le collectif Canéjan en transition fustige un projet « illégitime et indécent » au regard du gaspillage d’eau et d’énergie qu’il promet.
À ce propos, Édouard Algayon promet au contraire que l’alimentation en eau des bassins sera autonome.
« C’était tout l’enjeu du projet. Avec ce qu’on connait du besoin de préserver les ressources en eau, on ne pouvait pas imaginer pomper dans les nappes. On a donc imaginé un système de récupération des eaux de pluie grâce aux deux gros bâtiments industriels placés en bordure du projet. Ces bâtiments de 20 000 m2 nous appartiennent également et sont loués par ma famille à des sociétés qui ont besoin d’espace pour travailler. Leur activité ne changera pas, on va simplement profiter de leur toiture pour capter de la ressource et l’utiliser pour les besoins en eau des bassins. »
D’après le porteur de projet, le volume collecté grâce à l’eau de pluie sera même « deux fois supérieur » aux besoins initiaux.
« Faux ! » Répond le Collectif Canéjan en Transition selon qui, plusieurs éléments n’ont pas été pris en compte dans les calculs, notamment l’évaporation.
« Grâce à un expert, nous avons calculé que 147 000 m3 d’eau par an minimum devraient être utilisés pour fournir les deux bassins en eau. C’est l’équivalent de 59 piscines olympiques », se désole Annie Chéneau-Loquay, coordinatrice du collectif.
Catastrophe naturelle à Canéjan
Pour obtenir ces chiffres, l’Observatoire des Vagues Artificielles, à qui l’association a fait appel, a réalisé des calculs basés sur des études d’impacts de projets similaires (projet Terre D’Eaux de Sevran et projet de Wavelandes à Castets), croisés avec des données de compteurs de piscines municipales (à Pornic).
Si l’eau de pluie ne suffit pas, les associations craignent que l’exploitant n’utilise celle du réseau d’eau potable public pour remplir ses piscines. Situées à plus de 100 mètres de profondeur, ces nappes souterraines mettent « 1000 ans à se renouveler et sont déjà surexploitées », martèle le collectif qui rappelle le contexte de « déficit croissant en eau » du territoire :
« La commune de Canéjan a été reconnue en état de catastrophe naturelle pour cause de sécheresse des sols en 2022. »
Édouard Algayon certifie que « l’évapotranspiration » des bassins a bien été prise en compte dans les calculs « réalisés par des ingénieurs spécialisés dans la gestion des eaux », et estime que l’état de catastrophe naturelle à Canéjan est sans lien avec avec son projet :
« La sécheresse n’a rien à voir avec la pluie qui tombe tout au long de l’année sur ces bâtiments. On va recycler cette eau, et on ne touchera pas aux nappes phréatiques pour remplir nos bassins. »
Artificialisation des sols
Les associations mobilisées critiquent par ailleurs l’artificialisation du sol nécessaire à la construction du bâtiment et l’aménagement d’espaces de loisir – l’emprise totale sera de 3,5 hectares. Elles jugent le projet en contradiction avec la feuille de route Néo Terra de la région Nouvelle-Aquitaine, qui prévoit notamment de « lutter contre l’artificialisation des terres et l’étalement urbain, de conforter la forêt et les zones humides, de stopper la disparition alarmante de la biodiversité, de préserver et de protéger la ressource en eau ».
« Son projet s’appuie sur un ancien parking d’environ 8 500 m2, mais aussi sur une zone boisée naturelle ! Plusieurs chênes ont d’ailleurs été coupés. Au total, l’espace représentera environ 35 000 m2« , insiste le collectif.
Des chiffres erronés, selon le porteur du projet :
« Le terrain où sera construit la piscine est une friche industrielle. Il y a déjà 15 000 m2 de terrain artificialisé que nous n’aurons pas besoin de toucher. Ensuite, on va garder le parking existant de 8000 m2 et le réhabiliter. »
Ce dernier reconnait néanmoins que 10 000 m2 supplémentaires, soit un hectare, devront être artificialisés.
Des risques pour la santé ?
Dans le document soumis à l’Agence Régionale de Santé par les porteurs du projet, les associations relèvent également que les activités prévues dans le futur surf-park sont classées « activités nautiques ». Une qualification qui interdit normalement la baignade en raison des risques sanitaires encourues selon les militants contre le projet.
« La classification “activités nautiques“ n’est pas la même que pour une piscine, qui serait classée “baignades artificielles“. C’est-à-dire que les normes et les contraintes sanitaires ne sont pas les mêmes. Dans un bassin d’activités nautiques, on ne peut donc pas se baigner car il y a danger. Ce qu’on ne comprend pas, c’est la raison pour laquelle la pratique du surf a été autorisée dans ces piscines à vagues, malgré la qualification “activités nautiques“ », questionne Annie Chéneau-Loquay.
Là encore, Édouard Algayon tient à mettre en avant le travail réalisé en amont, « afin d’être le plus pertinent possible pour encadrer la baignade » :
« Une piscine à vagues pour le surf, ça n’existe pas encore en France. Il n’y a pas de réglementation particulière pour ce genre de structure. Nous avons donc collaboré avec l’Agence Régionale de Santé qui a instruit le dossier, afin d’encadrer le projet pour assurer la sécurité des usagers. Comme il n’y a pas de réglementation et que celle des piscines est trop contraignante par rapport à l’utilisation qu’on va avoir et le volume d’eau des bassins, ils ont décidé de faire un travail sur mesure. L’ARS s’est donc rapprochée du Ministère de la santé et ils nous ont donné un avis favorable pour être classé en activité nautique, tout en précisant que des contrôles seront fait pour vérifier la qualité de l’eau. »
Recours gracieux
Au-delà de la classification, le passionné de surf promet une qualité de l’eau irréprochable. L’entreprise Wavegarden, spécialisée dans la conception de vagues artificielles, fournira également le système de filtration de l’eau.
« Ce système a déjà fait ses preuves dans d’autres bassins à vagues, notamment en Suisse, dans le surf-park Alaïa Bay. Pour notre projet, il a également été validé par l’ARS. »
Plusieurs actions ont été entreprises par les associations afin de faire entendre leur mécontentement. Surfrider Foundation Europe et France Nature Environnement Nouvelle-Aquitaine viennent de déposer un recours gracieux au permis de construire, auquel le collectif Canéjan en Transition s’est associé.
Cela doit permettre « de gagner du temps » car l’administration sollicitée dispose d’un délai de deux mois pour répondre. Une absence de réponse est interprétée comme un rejet, le demandeur a alors deux mois supplémentaires pour saisir le tribunal administratif. Ce que prévoit de faire le collectif « si le projet n’est pas retiré avant ».
« Vous ne voulez pas apprendre le surf ? »
Une pétition a en effet été lancée pour demander au maire de Canéjan, Bernard Garrigou, « de retirer le permis de construire de ces méga-piscines » et au Préfet de la Gironde et de la région Nouvelle-Aquitaine, Etienne Guyot, « de ne pas accorder d’autorisation de raccordement au réseau d’eau potable à la mairie de Canéjan pour le compte de Messieurs Algayon père et fils ».
Contacté, le maire de Canéjan, Bernard Garrigou (Parti socialiste), campe sur ses positions et voit le projet d’un bon œil :
« Vous ne voulez pas apprendre le surf ? Si vous aviez la possibilité d’en faire une heure sur Bordeaux sans aller jusqu’à l’océan, vous feriez l’économie du déplacement et donc, un gain de CO2. »
Concernant le permis de construire, le maire assure qu’il a été accordé après une « instruction du dossier » auprès de plusieurs structures :
« Nous avons sollicité des administrations qui sont compétentes pour exprimer un avis (la Dreal, l’ARS, le Sdis etc). La somme de leurs avis m’est parvenue, et je n’ai pas vu de raisons me poussant à m’opposer au projet. Une étude d’impact n’était donc pas nécessaire. »
Malgré la fermeté de ces propos, Annie Chéneau-Loquay reste confiante :
« Nous allons démonter ce dossier plein de contradictions point par point, et nous allons gagner », affirme-t-elle.
La bataille ne fait que commencer.
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