Lindsay et Lucas avaient tous les deux 13 ans. Cette année, ils ont mis fin à leurs jours après avoir été victimes de harcèlement au collège. Alors ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, a parlé d’un « échec collectif ». Les réseaux sociaux et autres plateformes peinent à prendre leurs responsabilités face aux messages haineux qui circulent dans leurs forums. Un sujet d’actualité au cœur du film Plus bas que terre, réalisé par le girondin Ludovic Lescieux.
Le 6 juin dernier, la première projection a fait salle comble à l’UGC de Talence, ville où a été tourné le film, plus particulièrement au sein du lycée Victor-Louis. L’histoire portée à l’écran est celle de Clara, lycéenne timide de 16 ans. Sur un site de rencontre, elle se lie d’amitié avec un inconnu. Elle lui envoie une photo intime et se retrouve sous la menace de la diffusion de cette dernière. Les rumeurs gangrènent les couloirs du lycée, Clara est prise au piège.
Un documentaire complète le film avec les analyses d’experts. « Nécessaire », selon le réalisateur, pour « donner des clés de lecture » à la problématique du cyberharcèlement et offrir au récit cinématographique une perspective pédagogique.
Sujets sensibles
Plus bas que terre est le deuxième film de Ludovic Lescieux. En 2008, il a réalisé Escorte un long-métrage sur la prostitution étudiante. Un film tourné pour un budget de 5000 euros grâce à des subventions. Ludovic Lescieux n’a pas fait d’école de cinéma mais a suivi des études de physique-chimie à Bordeaux pour devenir ingénieur. Il s’est formé en autodidacte aux arcanes du cinéma, de l’écriture d’un scénario à la prise d’image et de son.
Son premier projet lui permet, à 23 ans, d’être sélectionné pour intégrer le jury-jeunes du Festival de Cannes. Cette année-là, ses membres récompenseront notamment Les amours imaginaires de Xavier Dolan :
« C’était un autre monde, se souvient-il, il faut savoir redescendre après une dizaine de jours dans l’euphorie. »
La tête froide, Ludovic Lescieux sait la garder. Ce dernier ne veut se fermer « aucune porte », mais connaît la difficulté de se faire une place dans le milieu. Il n’envisage pas de « tout lâcher » pour le 7e art, appréciant la stabilité de son métier actuel.
À 36 ans, le jeune papa est responsable de formation au sein de l’Institut d’Optique sur le campus universitaire de Talence. Sa spécialité, qui se rapproche de l’aspect technique du cinéma : la photonique, la science de la lumière. Un métier qu’il mène donc en parallèle des plateaux :
« Le tournage a duré trois semaines en mai 2022, j’avais posé des congés. La post-production, elle, a duré un an. Le montage est ce que je préfère faire. C’est du travail le soir et les week-ends, c’est forcément des sacrifices. »
Représenter la haine sur les réseaux
Ludovic Lescieux s’intéresse aux « sujets sensibles », qui « font réfléchir ». Des enjeux de société à l’instar du cyberharcèlement. Un fait dont il n’a pas été personnellement victime, mais qui le « touche » :
« C’est un sujet où il faut faire avancer les choses. Je m’adresse autant aux parents, enseignants, adolescents. Tout le monde y est confronté. J’ai voulu montrer que le cyberharcèlement ne s’arrête pas aux portails des écoles une fois la journée finie. Il n’y a pas de temporalité. »
L’une des difficultés rencontrée par le réalisateur a été d’imager la haine qui circule sur les réseaux sociaux :
« J’ai mis du temps avant de trouver la bonne mise en scène. La facilité aurait été de faire apparaître au-dessus de l’écran du téléphone les bulles de messages. Et j’ai pensé au film Chatroom, de Hideo Nakata, où les conversations virtuelles sont représentées par des pièces. Pour mon film, les séquences sur les réseaux sociaux ont été tournées en studio sur fond vert. »
Ludovic Lescieux débute l’écriture du scénario en 2012. Cette année-là, une adolescente canadienne, Amanda Todd, se suicide après des mois d’harcèlement sur Internet et au lycée. Quelques jours avant, la jeune fille avait posté une vidéo sur Youtube dans laquelle elle lançait un appel au secours. Le drame a provoqué une onde de choc dans le pays :
« L’histoire d’Amanda n’est pas celle de Clara, mais ça a été un point de départ. Le film recoupe divers faits d’actualité, j’ai aussi lu de livres de sociologie sur le sujet. »
« Tournage semi-professionnel »
Plus de dix ans après son premier film, Ludovic Lescieux dit « avoir appris de ses erreurs » et évoque un tournage « semi-professionnel » :
« Je me suis interdit d’être derrière la caméra pour ce film, à l’inverse de mon premier. Ça m’a permis de mieux diriger les acteurs. J’ai aussi passé plus de temps sur les dialogues, ce qui est un travail à part entière. J’ai aussi été épaté par la performance des comédiens alors que pour beaucoup il s’agissait d’une première expérience. »
Le film a bénéficié de subventions des collectivités (Région, Département, mairies de Talence, Pessac, Floirac), du CROUS, de la FCPE… Une campagne de crowdfunding a également été ouverte. Le budget du film s’est élevé à 32 000 euros. Un financement qui a surtout permis de louer le matériel, les acteurs et l’équipe technique, composée d’étudiants en cinéma à Bordeaux-Montaigne, étant bénévoles.
L’objectif, désormais, est de « faire vivre le film ». Le réalisateur est à la recherche d’un distributeur et espère voir son long-métrage diffusé dans le pays. Le film pourrait être présenté au festival de Sarlat et être projeté à Marmande notamment. Les prochaines diffusions sont à retrouver sur ce lien.
Numéro vert national de prise en charge des victimes de cyberharcèlement à l’école (gratuit et confidentiel) : 3018
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