On jouait la 12e minute de la rencontre Ajaccio-Bordeaux, comptant pour la 3e journée de Ligue 2 de football, lorsqu’une soixantaine d’ultras bordelais se sont mis à chanter pour soutenir leur club, et que des affrontements ont démarré avec des supporters corses.
Le match est alors interrompu pendant près d’une heure, durant laquelle les groupes adverses s’échangent des projectiles, jusqu’à l’expulsion des Ultramarines du stade par les forces de l’ordre. Les affrontements ont fait une dizaine de blessés légers, supporters et stadiers confondus, dont quatre en urgence relative évacués vers le centre hospitalier d’Ajaccio.
Indésirables à Ajaccio
Dans un communiqué publié lundi soir, le club bordelais a « fermement condamné le non-respect d’un groupe isolé de supporters de l’arrêté préfectoral » et prévient qu’il prendra « toutes les mesures nécessaires pour sanctionner ce comportement inadmissible ».
L’arrêté émis vendredi interdisait à toute personne « se prévalant de la qualité de supporters des Girondins ou se considérant comme tel » d’être présent dans le stade François-Coty et dans le centre-ville d’Ajaccio du lundi 21 août 6h jusqu’au 22 août 6h, mais aussi d’accéder aux infrastructures portuaires et aéroportuaires d’Ajaccio.
Objectif : « prévenir tout trouble à l’ordre public », alors que plusieurs rencontres précédentes entre les deux clubs ont été émaillées d’incidents, et que le souvenir de l’agression d’un joueur de Rodez par un supporter des Girondins, qui a coûté très cher au club, reste dans toutes les têtes.
« Nouveau fiasco sécuritaire »
C’est raté dans les grandes largeurs, au point que des responsables du club corse ont dénoncé « un nouveau fiasco sécuritaire » auprès de France Bleu Frequenza Mora. Citant une source policière, la station raconte que les ultras bordelais sont entrés dans le stade « tels des touristes, individuellement ou par petits groupes », pour certains porteurs de maillots de l’ACA, avant de se rejoindre à partir de la 9e minute de jeu.
Le procureur de la République d’Ajaccio, Nicolas Septe, a ouvert ce mardi une enquête pour violences aggravées en réunion au sein d’une enceinte sportive, évoquant « une provocation » des bordelais. Dans un thread sur X (anciennement Twitter), les Ultramarines ont ce mardi justifié leur action.
Ils rejettent la faute sur « un arrêté insensé, pondu quarante-huit heures avant la rencontre, tandis que certains supporters étaient déjà en route ou même arrivés sur place, [et que] d’autres s’apprêtaient à partir après avoir engagé de lourds frais ».
« Mis sur (sic) le fait accompli, nous avions le choix », poursuit le club de supporters : « céder à la peur ou assumer fièrement notre soutien à nos couleurs comme nous l’avions fait par le passé (…). Après avoir accédé tardivement au stade, nous nous sommes rassemblés le plus loin possible du kop ajaccien, comme nous l’avons fait en diverses occasions dans ce genre de contexte. Notre volonté était claire : assister au match et supporter notre équipe, sans créer de vagues. Dès lors, nous avons subi les assauts incessants de supporters corses, essuyé des jets de projectiles nourris ayant provoqué des blessures légères. »
« Ni irresponsables ni lâches »
Pour les Ultramarines, « ce déferlement a provoqué l’interruption du match ainsi que notre exclusion du stade », alors qu’ils affirment n’avoir « agressé ni insulté personne », mais « pris des coups (…) pour avoir chanté un instant à la gloire de notre club légendaire ».
« Nous n’entendons pas pleurnicher mais plutôt assumer pleinement nos actes et leur donner une dimension politique. (…) Nous ne sommes ni irresponsables comme l’ont été les instances avec cet arrêté absurde et tardif, ni lâches comme ces supporters ajacciens qui, au lieu de se montrer solidaires de ce combat commun, ont tiré une balle dans le pied au mouvement ultra. »
Selon le principal club de supporters des Girondins, « les fermetures de parcages visiteurs mettent en danger les supporters adverses, et aucun arrêté n’empêchera la passion de supporters prêts à tant de sacrifices pour encourager leur équipe ».
« En France, supporter une équipe de football ne doit pas être un délit. »
Une organisation du déplacement des supporters à améliorer
S’ils déplorent l’attitude du FCBG, « qui s’est empressé de nous livrer à la vindicte populaire », les Ultramarines ont été rejoints, du moins dans l’analyse des causes de l’incident, par certaines personnalités.
Sur X, Richard Bouigues, co-directeur de l’Observatoire du sport de la Fondation Jean-Jaurès, évoque un « arrêté préfectoral trop tardif, l’absence de parcage pour sécuriser les tribunes ».
« Il ne s’agit pas de trouver des excuses à ceux qui se bagarrent, mais de répéter que l’organisation des déplacements de supporters doit être améliorée. Ailleurs en Europe on y arrive », estime cet élu socialiste à la mairie de Paris.
Interrogé par Le Monde, l’avocat Pierre Barthélemy juge également sévèrement l’arrêté préfectoral : « tardif » et portant « une atteinte grave à des libertés fondamentales, donc probablement illégal ». Il relève que ces arrêtés, systématiquement suspendus lorsqu’ils sont attaqués par les associations de supporters, engendrent eux-mêmes des difficultés :
« En se privant de la possibilité d’organiser ces déplacements par le dialogue – mode de transport collectif, horaire et point de rendez-vous, jauge maximale de visiteurs – les préfectures prennent le risque d’avoir à gérer une multitude d’individualités non identifiables partout dans le stade », déclare le juriste au quotidien.
Pierre Barthélémy observe donc que « les incidents ont chuté en flèche l’an dernier », car « les préfectures ont pris beaucoup moins de mesures d’interdiction et beaucoup plus de mesures d’encadrement ». Comme les parcages de supporters, solution écartée à Ajaccio.
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