Après le rapport du Ceser et celui du Secours populaire sur la précarité et la pauvreté, après les nombreuses alertes lancées par les structures caritatives, la fondation Abbé Pierre Nouvelle-Aquitaine enfonce le clou avec son dernier rapport sur le sans-abrisme en Gironde.
« Depuis 2020, nous faisons face à une explosion des demandes de mise à l’abri formulées directement dans notre agence, c’est-à-dire que les personnes viennent ici frapper à notre porte, rapporte Anne Marchand, directrice régionale de la Fondation Abbé Pierre pour le logement des défavorisés. Ces situations de détresse ont été multipliées par 11 entre 2018 et 2022 pour atteindre 200 ménages. »
« On est dans un système qui ne répond plus aux situations d’urgence » conclut la directrice sans détour. L’étude confiée à la coopérative PLACE dans le cadre du 28e rapport annuel de la Fondation fait état d’un système de logement d’urgence « asphyxié » :
« Aujourd’hui (NDLR : au 4 juillet 2023), les territoires de Gironde proposent 1 759 places d’hébergement, selon le site internet de la préfecture, ce qui reste malgré tout très en-deçà des besoins. »
12050 personnes sans domicile personnel
Les besoins ? L’étude développe : 4850 personnes étaient sans domicile en 2022. Parmi elles, 1500 personnes ont recours aux dispositifs d’hébergement d’urgence généraliste, et 2450 personnes vivent en squat ou campement. A ces chiffres s’ajoutent 900 personnes qui, selon les estimations de PLACE, dorment à la rue ne fréquentant ni les squats, ni les dispositifs d’urgence (selon un croisement de données SI-SIAO, CCAS et SNE).
Mais l’étude va plus loin, et révèle que jusqu’à « 12050 personnes – en 2022 – étaient privées d’un domicile personnel ». Sur ces 7200 personnes supplémentaires, 5195 personnes sont hébergées chez un tiers hors famille, et 2075 sont des demandeurs d’asile dans les dispositifs d’accueil.
« Ces personnes sont fortement exposées avec un risque de bascule dans le sans-abrisme, commente Anne Marchand, parce qu’elles sont hébergées sans filet de sécurité. »
L’étude se base sur la définition de l’Insee : une personne est sans-abri dès lors « qu’elle ne dispose d’aucun lieu couvert pour se protéger des intempéries et dort a l’extérieur (dans la rue, un jardin public…) ou dans un lieu non prévu pour l’habitation (cave, cage d’escalier, chantier, parking, centre commercial, tente, métro, gare…) ». Elle inclut aussi les personnes à la rue la nuit précédente ou qui ont eu recours à un service d’hébergement (centres, foyer, hôtel…).
« Tsunami »
Ce « tsunami » est provoqué par la pandémie de la « Covid 19, les expulsions locatives, le durcissement du cadre législatif et réglementaire, les fermetures en série de squats, la précarisation de la société, les phénomènes migratoires », explique le rapport.
Parallèlement, celui-ci pointe une tension sur le marché de l’immobilier due à « l’accélération de la croissance démographique en Gironde ». Entre les années 1990 et aujourd’hui, « les besoins en logement ont ainsi augmenté de plus 60 % ».
« Les prix du marché immobilier métropolitain sont devenus beaucoup trop chers au regard des revenus de très nombreux ménages. En 5 ans, les prix des appartements ont augmenté de 30 %. […] Les niveaux de loyer se sont envolés. La Métropole bordelaise est devenu l’une des métropoles les plus chères de France selon son prix moyen du m² à louer (16,3 €), après Paris (30 €) et juste derrière Nice (18,7 €) et Lyon (17 €). »
Face à un « système locatif hyper sélectif », 45 000 personnes sont actuellement dans la file d’attente du logement social :
« Cette demande ne cesse de croître. Entre 2015 et 2022, le nombre de demandeurs HLM en attente a augmenté de 11 500 personnes, soit une augmentation de + 34 %, bien supérieure à l’évolution du nombre de ménages en Gironde (+ 11 %) sur une période équivalente », précise le rapport qui affirme que « la part des personnes sans domicile dans la file d’attente a plus que doublé entre 2015 et 2022 ».
Déclaration des droits des personnes sans abri
Face à cette situation, la Fondation Abbé Pierre avance des propositions, dont la création d’un Observatoire local du sans-abrisme, « afin d’observer la situation au plus près ». Elle a également rédigé une Déclaration des droits des personnes sans abri.
« Elle réaffirme les droits fondamentaux résultant de la Constitution, des obligations internationales et du droit national dans leur dimension concrète, devant permettre effectivement aux personnes sans abri de cesser de l’être et de jouir des mêmes droits que tout être humain. »
Ce lundi 25 septembre, journée de présentation de ce rapport au Rocher de Palmer à Cenon, cette déclaration est signée par le maire de Bordeaux, Pierre Hurmic, et le président du département de la Gironde, Jean-Luc Gleyze. Pour Anne Marchand, c’est « une reconnaissance des sans-abri et un engagement pour travailler à nos côtés ».
Cette déclaration répond aux conclusions du rapport appelant à « une culture commune » et « faire réseau ». Elle réclame également « la reconnaissance des acteurs associatifs » et de leur capacité « à proposer des réponses sur le terrain ». Des actions mises en place sont données en exemple, des « choses simples mais utiles », parmi lesquelles on retrouve des missions qu’elles assument déjà – l’accompagnement administratif, la distribution des kits hygiène, l’hébergement solidaire…
Capter les logements vacants
D’autres opérations menées par la Fondation Abbé Pierre, en collaboration avec d’autres associations sont prises en exemple pour « l’élaboration concrète de réponses permettant à des personnes et des familles d’accéder à un logement ». On retrouve le partenariat mis en place avec le bailleur social Aquitanis, dans le cadre de l’AMI logement d’abord, et avec le bailleur social Vilogia et la Ville d’Eysines.
Forte de ces opérations, la Fondation propose de capter a minima 10 % des 2200 logements HLM vides non mis en location en Gironde.
« Il serait possible, sur la base des expérimentations en cours, de structurer une offre à hauteur de 220 logements. Ils viendraient compléter les quelques 80 logements déjà captés sous différentes formes. »
Dans le parc privé, se basant sur des données Lovac 2020, 15374 de logements seraient vacants depuis plus de 2 ans en Gironde.
« Avec des objectifs de mobilisation à hauteur de 10 % du parc vacant délaissé sur Bordeaux Métropole et de 5 % de ce parc dans les autres territoires de Gironde, ce sont près de 984 (432 en métropole et 553 en Gironde) logements supplémentaires, aujourd’hui vides, qui pourraient venir démultiplier les solutions pour les personnes sans domicile », avance le rapport.
La Fondation Abbé Pierre souhaite inscrire ces objectifs dans le plan logement 2 du gouvernement.
Des profils diversifiés
Sans plan d’urgence, la Fondation estime que le déficit en logement « alimentera la spirale, qui pousse de plus en plus de personnes à subir des situations de mal-logement ou à être confrontées à l’expérience du sans-abrisme… avec des profils de plus en plus diversifiés et de plus en plus nombreux, impactés par cette difficulté à se loger ».
Parmi les profils, le rapport identifie des personnes vieillissantes, des jeunes en errance, des étudiants et des stagiaires en formation, des travailleurs pauvres, et des femmes seules ou avec enfants, mais aussi des demandeurs d’asile et déboutés du droit d’asile, des mineurs non accompagnés, des familles bulgares et roumaines, des migrants économiques.
Le rapport consacre un chapitre sur les coûts « sociaux et économiques » qu’engendrent la situation du sans-abrisme. Ces coûts sont jugés exorbitants, notamment l’hébergement en hôtel (estimé à 2,5 millions d’euros par an pour les 349 places au 4 juillet 2023). Une personne en hôtel coûte 7482 € par an (365 X 20,5 € par nuitée), deux fois plus qu’un accueil en résidence sociale pendant une année qui revient à 3 650 €, et qui permet lui de mieux accompagner et orienter les personnes.
Ceux-ci s’ajoutent aux « coûts indirects et induits » par le sans-abrisme, comme le recours systématique aux urgences pour se soigner ; les « coûts sociaux », notamment au niveau des retards en scolarité. Auxquels s’ajoutent, les « coûts cachés » comme l’investissement en temps des bénévoles, et les « coûts évités » pour lesquels le squat de l’ancienne « Zone libre » à Cenon est pris en exemple : Il « aurait en effet fait économiser près de 3,3 millions d’euros, s’il avait fallu héberger en urgence ces personnes (30 € la nuit pour 300 personnes pendant plus d’un an) ».
« Rappelons le principal coût, celui de la vie, sachant que l’espérance de vie des personnes sans abri s’élève à 48 ans seulement, soit 30 ans de moins que le reste de la population selon le Comité des morts de la rue. »
Chargement des commentaires…