« Depuis 20 ans la haine des juifs connaît une forme de banalisation dans la société française. Se serait-elle habituée ou aurait-elle renoncé à manifester collectivement son indignation et sa solidarité ? »
La formule est signée Sarah Bromberg, président de la Licra-Gironde. La Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) organisait ce dimanche 12 novembre une marche républicaine contre l’antisémitisme dans plusieurs grandes villes de France. Elle relayait ainsi l’appel lancé mardi par les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher.
« Le racisme et l’antisémitisme ne ressemblent pas à Bordeaux »
Le rassemblement bordelais avait lieu place de la République à 15h. Après une rapide prise de parole de Sarah Bromberg, le cortège s’est dirigé sans encombre jusqu’au parvis des Droits de l’Homme. La manifestation a rassemblé entre 4000 et 5000 personnes selon les organisateurs, près de 3500 selon la Préfecture de Gironde. « Une réussite » selon Albert Massiah, président du CRIF (conseil représentatif des institutions juives de France) Bordeaux-Aquitaine :
« Il fallait qu’il y ait du monde et pas uniquement des personnes issues de la communauté juive. D’ailleurs, la très grande majorité n’en faisait pas partie. Nous sommes arrivés à mobiliser autour des thématiques que sont la défense de la République et la lutte contre l’antisémitisme. Et aussi la libération des otages même s’il n’en a pas été trop question aujourd’hui. »
Plusieurs élus étaient présents, dont le député écologiste Nicolas Thierry, le ministre Thomas Cazenave, ainsi que les maires de Pessac, du Bouscat, et de Bordeaux. Pierre Hurmic, salue la bonne tenue de l’événement et de l’image de rassemblement que celui-ci renvoie.
« Je suis rassuré par le succès de cette marche, livre l’édile bordelais. Je suis très attaché à faire vivre les valeurs de la République, je me devais d’être là. Mais aussi parce qu’en tant que premier magistrat je suis le porteur d’une histoire. Celle de Bordeaux, à travers les siècles, est ouverte et mesurée. Les excès de cette nature que sont le racisme et l’antisémitisme ne ressemblent pas à Bordeaux. »
Des clivages « transcendés »
Pour le grand Imam Tareq Oubrou, le mot d’ordre a été respecté. Selon lui, le message de la marche a été rendu lisible permettant ainsi d’éviter une importation du conflit israélo-palestinien au sein du rassemblement :
« Nous avons transcendé les clivages pour trouver les points communs. Ce qui touche les juifs aujourd’hui peut toucher d’autres communautés. Combattre l’antisémitisme c’est se protéger soi-même. »
Une position qui épouse celle d’autres représentants religieux et politiques comme Fouad Saanadi, président du conseil régional du culte musulman d’Aquitaine, ou encore de Karfa Diallo, élu écologiste au conseil régional :
« On refuse que le conflit soit importé en France. En tant que militant antiraciste, c’est important de venir dire à nos compatriotes juifs que nous sommes à leurs côtés pour défendre leur intégrité. »
Une manifestation apolitique ?
La marche se voulait apolitique et détachée de l’actualité au Proche-Orient. En tête de cortège, écharpe tricolore en bandoulière, les élus girondins tenaient la banderole sur laquelle était inscrit le slogan, sobre : « Pour la République, contre l’antisémitisme, marchons ! »
Pas d’élus du Rassemblement national en vue, pas de drapeaux israéliens ou palestiniens non plus. Une dame se fait reprendre alors qu’elle brandit sa pancarte avec une citation d’Anne Franck : « Un jour nous pourrons être humains pas seulement juifs ». « Nous sommes tous républicains ! », lui siffle une femme qui lui fait signe de ranger l’écriteau.
Alors que la foule anonyme se disperse, sur une autre petite pancarte qui se dresse sous la pluie fine on lit : « Contre l’antisémitisme et tous les fauteurs de haine et de racisme » ponctué d’un sticker du Parti communiste. Françoise, militante au PCF, tient l’écriteau :
« Cette phrase est tirée du communiqué commun avec le PCF, le PS et les Verts dans lequel ces partis ont expliqué qu’ils défileront mais en faisant un cordon républicain, explique Françoise qui ne pouvait pas rester « indifférente face à la recrudescence des actes antisémites. »
Jean-Jacques, 71 ans, au « parti » depuis 1976 l’accompagne :
« On est pas naïf, on sait qu’il y avait aujourd’hui des gens avec qui on ne fait pas route commune politiquement, et c’est d’ailleurs pour cela qu’on a voulu marquer notre différence avec cette pancarte. »
Tous les deux ont participé aux manifestations de soutien aux civils palestiniens, et continueront de se mobiliser pour la paix au Proche-Orient. Pour eux, il n’est pas question de nourrir les amalgames.
« On essaie de nous enfermer dans des cases mais on n’a pas l’indignation sélective. On doit pouvoir critiquer la politique d’extrême droite du gouvernement israélien et défiler pour défendre nos compatriotes juifs qui ont peur. »
« On oppose systématiquement deux populations »
Si la manifestation s’est déroulée sans encombre, elle aura tout de même été de trop courte durée pour plusieurs manifestants, dont Cécile, arrivée de Saint-Médard-en-Jalles, accompagnée de sa sœur Laurence, psychologue à Bordeaux.
« Au début, je craignais que le fait de manifester aujourd’hui soit pris comme une démarche anti-palestinienne. Avec le conflit, on oppose systématiquement deux populations. On renvoie le sentiment que si l’on soutient l’une on est forcément contre l’autre… » explique Laurence.
« Je ne souhaite pas de mal aux palestiniens », renchérit sa sœur.
Pour ces deux sœurs, qui dénoncent les tentatives de récupération malheureuses, cette manifestation aurait dû se faire bien plus tôt :
« Cette marche était claire pour moi. Même si on savait qu’il y aurait tous les partis politiques même ceux qu’on aurait pas souhaité voir. Comme le Rassemblement national. Ils étaient présents à Paris mais heureusement pas ici. Ça m’aurait vraiment gêné. »
« Ce qui nous unit se sont les droits de l’Homme »
Laurent, bordelais de confession juive et pratiquant, porte sa kippa exceptionnellement aujourd’hui. Il l’avoue, il ne se sent pas serein en ville avec sur la tête. S’il n’a jamais été victime directe d’actes antisémites, il sent que le discours de haine se banalise.
« Ce qui nous unit aujourd’hui ce ne sont pas les droits des juifs, ce sont les droits des Hommes. Ce qui me rassure sur le plan humain c’est de voir des gens extérieurs à notre communauté qui sont présents et qui se sentent concernés. »
Quant à la tentative de récupération de la mobilisation par le Rassemblement National en France, il préfère couper court aux polémiques :
« Je pense qu’au sein du Rassemblement national il y a probablement des antisémites, et d’autres qui ne le sont pas… Mais mêler la politique à cette manifestation c’est aller dans la mauvaise direction. Il y a de tout mais surtout des êtres humains, certains sont intelligents… d’autres le sont moins. »
Depuis le 7 octobre et l’attaque du Hamas sur Israël, 1519 actes antisémites ont été recensés en France.
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