« Messieurs les jurés, l’horreur du mépris, que je croyais pouvoir braver au moment de la mort, me fait prendre la parole. » Par ce discours, après un prologue de présentation, démarre la dernière création de Catherine Marnas qui a choisi de mettre en scène Le Rouge et le Noir de Stendhal. Sur les planches de la Salle Vauthier du 7 au 17 novembre, la directrice du TnBA présente sa dernière création avant de quitter son poste le 31 décembre 2023, après 10 ans de service.
Julien Sorel, le personnage central du récit, est ainsi debout face au public, sur une estrade avançant depuis la scène jusqu’à la quatrième rangée de fauteuils, les yeux dans les yeux de ses « messieurs les jurés » que le public semble incarner.
Perspectives idéalistes
« Je vois des hommes qui, sans s’arrêter à ce que ma jeunesse peut mériter de pitié, voudront punir en moi et décourager à jamais cette classe de jeunes gens qui, nés dans une classe inférieure et en quelque sorte opprimés par la pauvreté, ont le bonheur de se procurer une bonne éducation et l’audace de se mêler à ce que l’orgueil des gens riches appelle la société. Voilà mon crime, messieurs, et il sera puni avec d’autant plus de sévérité, que, dans le fait, je ne suis point jugé par mes pairs. Je ne vois point sur les bancs des jurés quelque paysan enrichi, mais uniquement des bourgeois indignés. »
La pièce commence donc par la fin du roman, au moment où le jeune séducteur, roturier et ambitieux, s’adresse à son jury de bourgeois après la sentence finale. Le ton est donné.
Dans les nombreuses interprétations de l’origine du titre de Stendhal, Catherine Marnas a donc choisi le rouge et le noir de la révolution, de la lutte des classes. Elle fait également tomber les murs, à commencer par le quatrième.
« Notre époque manque cruellement de perspectives idéalistes, les idéologies progressistes ont du mal à survivre à un monde qui semble avoir perdu son souffle… De troublantes correspondances existent entre l’état d’esprit dominant de ces deux époques [l’époque louis-philipparde du roman et l’époque actuelle, NDLR], marquées chacune du sceau du désenchantement engendré par un libéralisme tenant lieu de “valeurs” », commente la metteuse en scène.
Education populaire
Jules Sagot, tantôt mine angélique, tantôt sourire narquois, endosse habilement le rôle de Julien Sorel (vu les initiales ?). Il s’emploie à charmer Mme De Rênal, femme plus âgée transcendée par l’amour, portée par la coquette Bénédicte Simon, tout aussi facilement que Mathilde de la Mole, jeune aristocrate rebelle et insaisissable interprétée par l’évanescente Laureline Le Bris-Cep. Tonin Palazzoto et Simon Delgrange assurent les nombreux autres rôles.
Le récit se déroule selon la feuille de route du roman et sollicite continuellement le spectateur, respectant la manière dont Stendhal s’adresse directement au lecteur. Le décor, assez simple, est enrichi de bruitages bien choisis et laisse amplement la place à l’image projetée sur des larges bandes, rappelant La nostalgie du futur, spectacle créé par Catherine Marnas en 2018 sur l’univers de Pier Paolo Pasolini.
Si la vidéo parvient à animer le dispositif scénique – le même durant les deux heures du spectacle –, la performance filmique persiste progressivement avec une succession de plans joués/filmés, noir et blanc/couleur. Apprécié lors des scènes jouées hors cadre et visible à une échelle cinématographique, le même procédé étonne quand tout se déroule sur le plateau.
Entourée de comédiens qu’elle connaît bien, dont deux issus de son école de théâtre au TnBA, et d’une équipe technique fidèle, Catherine Marnas redonne des couleurs à un texte qui a laissé des souvenirs mitigés à des générations de lycéens. Une jeunesse qui pourrait trouver dans cette adaptation l’essence de ce livre d’études, le registre formateur de l’éducation populaire.
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