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L’osé « Rusalka » de Clarac et Deloeuil submerge le Grand Théâtre de Bordeaux

En choisissant de mettre en scène cet opéra romantique peu connu – et pour la première fois au Grand Théâtre –, le duo bordelais Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil relèvent un défi de taille. Le résultat est bluffant d’audace et de créativité.

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L’osé « Rusalka » de Clarac et Deloeuil submerge le Grand Théâtre de Bordeaux
Rusalka, par Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil

Sur les rives d’un lac, l’ondine Rusalka succombe sous le charme d’un jeune et beau prince qui vient souvent prendre son bain, sans même lui accorder plus d’intérêt qu’à l’ondulation d’une vague. Déterminée à le séduire, elle sollicite la vieille sorcière Ježibaba pour prendre une forme humaine, au risque d’abandonner ses sœurs et son bienveillant père Vodnik, et aussi de perdre sa voix et être maudite à jamais.

Cet opéra de Antonín Dvořák n’est pas très connu du grand public comme peuvent l’être Carmen ou Madame Butterfly, même s’il est le plus apprécié de son compositeur. Son analogie récurrente avec le conte La Petite Sirène a souvent eu pour effet de dérouter sur son objet romantique. S’ajoute le paradoxe du mutisme qui frappe l’héroïne de cette création lyrique, un comble.

Dès lors, comment redonner son éclat à une croyance populaire slave réunissant des créatures aquatiques qui peuplent les eaux sombres d’un lac et une cour princière qui s’agite à la sortie du bois au son des cors de chasse ? Le duo bordelais Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil y parvient magistralement, par une audacieuse mis en scène.

Mise en piscine

Et le concept n’est pas des moins risqués. Le lac est remplacé par une piscine olympique qui occupe la scène du Grand Théâtre, la sorcière n’est autre qu’une femme de ménage engoncée dans son bleu de travail, alors que le look de Vodnik rivalise avec celui de Brice de Nice. Quant aux états d’âme de Rusalka, ils prennent tantôt la forme de lunettes noires d’un lendemain de fête, et tantôt l’espace étriqué d’une mini-piscine gonflable pour 0-3 ans.

L’opéra se lance alors avec une ribambelle d’accessoires improbables. Rien n’est laissé au hasard, ni à la facilité. Les interprètes doivent pousser la voix depuis le fond de la scène ou au fond de la piscine, souvent dans des postures difficiles – chapeau à Ani Yorentz, interprète de Rusalka, qui doit se contorsionner sur l’étroit plongeoir tout en chantant. On pourrait regretter que le tube de cet opéra passe alors en second plan, le bouleversant Chant à la Lune.

Ani Yorentz, interprète de Rusalka Photo : Studio Delestrade

Mais l’on aura aussi compris que les clés de cette interprétation relèvent d’un autre registre. Clarac et Deloeuil ne se mouillent pas pour rien avec la transposition risquée de cette œuvre tchèque dans le monde de la natation. Ils exploitent aussi les codes de la natation synchronisée pour dénoncer, dans un intercalaire vidéo certes inattendu, l’hyper sensualisation de certains sports féminins : « pourquoi se maquiller avant d’aller dans l’eau ? » se demande une nymphe.

Opéra-pop art

Le duo metteur en scène ne craint pas la contradiction pour autant : la forme humaine donnée à Rusalka pour séduire son prince se traduit par une paire de Stilettos. Les charmes de sa rival, la princesse étrangère – interprétée par une féline Irina Stopina –, se lisent à travers des tenues extravagantes comme cette combinaison moulante à jambe et manche asymétriques. Et que dire de la mise en avant du viol de Rusalka par le prince – le puissant Tomislav Mužek – carrément sous le nez du public.

On s’y perd et c’est tant mieux. Comme on se perd entre le cadre aseptisé d’une piscine ultra-carrelée – Cornelia Oncioiu en sorcière ne lâche jamais sa serpillère – et les images des paysages projetées sur le rideau semi-transparent. Comme on se perd aussi entre les extraits de vidéos géantes sur ce même rideau et les actions qui se déroulent sur scène. Tout est fait pour les amoureux de spectacles où chaque détail ne demande pas forcément une explication à la petite cuillère.

Rusalka de Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil relève résolument de l’opéra-pop art. On pense à A Bigger Splash du peintre anglais David Hockney, voire à Swimming Pools de la photographe slovaque Maria Švarbová, ou encore à Sunday Afternoon de l’artiste française Maude Ovize. C’est littéralement rafraichissant et laisse l’esprit du spectateur dépasser les limites du récit, les codes de l’opéra, et le cadre classique du Grand Théâtre.

L’Orchestre national Bordeaux Aquitaine mené par Domingo Hindoyan, talentueux chef d’orchestre du Royal Liverpool Philharmonic Orchestra, ajoute lui aussi sa pierre à la réussite de ce premier opéra lyrique de la saison, et ce premier Rusalka si osé à Bordeaux.


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