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« Allez savoir. », secret de famille et destin d’immigrés italiens par Yolande Magni

L’auteure bordelaise, issue de la communauté italienne immigrée entre les deux guerres dans le Gers, se penche une nouvelle fois sur ses origines à travers une fiction rurale. « Allez savoir. », paru à L’Atelier des Brisants, offre une galerie de portraits dans la pure tradition néoréaliste populaire. Première idée dans la série « un bouquin du coin sous le sapin ».

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« Allez savoir. », secret de famille et destin d’immigrés italiens par Yolande Magni
Illustration de la couverture du livre

« Dans la lumière brune d’octobre, sur la ligne de crête, la Traction noire est encore loin. Cette voiture, la petite la connaît. Elle arrive toujours du même côté, elle remonte toujours le même chemin, celui qui va à la grange de Benito. Et chaque fois qu’elle arrive, les gens sur la place, les gens dans les champs s’arrêtent de marcher ou de sarcler la terre. Puis recommencent à faire ce qu’ils étaient en train de faire comme s’ils n’avaient rien vu. »

Ce pourrait être la version rurale de la mémorable scène de la voiture à traction qui avance sur les pavés mouillés de Londres, à l’ouverture du film Le Troisième Homme de Carol Reed (1949). Ici, le travelling a pour décor la campagne du Sud-Ouest, « aux environs d’Agen ».

Allez Savoir. (avec un point) de Yolande Magni, sorti en 2023 à L’Atelier des Brisants, est un livre qui ne fait pas dans la facilité pour plaire à son époque. L’auteure propose au lecteur une structure à l’ancienne où la fin dénoue un récit complexe, avec une galerie riche de portraits populaires et authentiques d’immigrés italiens en quête de reconnaissance comme nouvelle identité.

Réunion de famille

Yolande Magni prend soin de faire les présentations dès les premières pages du livre où les personnages sont résumés en un mot : le grand-père, la mère, le père, la patronne, le sonneur de cloches… Ce sera tout. Il faudra ensuite suivre le quotidien de ces Italiens débarqués sur une terre reculée en France par temps de guerre, dans une fresque qui se déroule entre le mois de septembre 1943 et juin 1944, période où l’on assiste à un volet majeur de l’Histoire avant le débarquement allié.

Le lecteur entre dans l’action comme on entre dans une réunion de famille. À lui de démêler les liens du groupe, de déceler les personnages qui pèsent sur les événements et les événements qui pèsent sur les personnages, de comprendre le passé ou encore l’avenir… Qui est ce Salvo déserteur qui s’est souvenu d’un oncle chez qui il pourrait se planquer ? Qui est cette « petite » que personne n’appelle par son nom ? Quel est le secret de la famille qui habite sur la colline ?

Au fil des pages, des dialogues et des frasques, l’histoire s’éclaircit et les personnages se dessinent à force de traits. Qu’ils aient été grands bourgeois ou crève-la-faim, l’immigration a fait d’eux de simples ouvriers agricoles dans un contexte partagé entre méfiance et défiance, crainte et colère.

Classe sociale modeste

L’écriture de Yolande Magni s’efforce de décrire avec minutie les paysages d’une campagne disparue. Son travail de documentation se cache derrière chaque formule ou description. Avec des films d’époque, des archives familiales et officielles, ou des collectes orales, elle parvient à dessiner une classe sociale modeste qui s’emploie à tourner les pages d’une vie avec l’ambition d’écrire de meilleures.

Entre situations satiriques – le folklorique Capodanno (jour de l’an) où l’on perd « le sens de la verticalité » –, traditions d’une Italie rêvée quand la grappa (eau-de-vie) s’invite à la moindre célébration – « Les mouches qui semblaient disparues sont revenues bourdonner au-dessus de la table, attirées par l’odeur sucrée de la grappa » –, une évocation de la Dolce vita – « Une à chaque bout, elles lancent le drap à cheval sur le fil, puis un autre, puis un autre, jusqu’à former un abri blanc coupé des regards » –, l’écriture pioche tantôt dans l’esthétique visuelle, tantôt dans les références culturelles.

« La nuit est tombée. Sous les arcades, les bols de soupe s’empilent sur le bord des fenêtres, entre va-et-vient des femmes et bâillements des enfants. Du côté de l’église, le choc des boules lancées contre les planches de bois résonne. Les hommes ont accroché chapeaux et vestes inconfortables aux branches des arbres. Les bouteilles de vin passent de main en main, des taches pourpres sillonnent les plastrons de chemise que les épouses avaient mis un point d’honneur à rendre aussi blancs que ceux des autres. »

Perdre une place pour en trouver une autre

Les romans qui évoquent l’immigration italienne en France au XXe siècle sont relativement rares, alors que celle-ci a été massive entre les deux guerres. Plus rares encore sont ceux qui abordent la position de l’immigré italien au moment où son pays d’origine est en guerre contre son pays d’accueil.

« Des années qu’ils sont arrivés d’Italie dans ce village perdu, sans jamais trouver d’autre solution que d’obéir au patron. Annibale le dit : à force d’être pris pour des imbéciles, on l’est devenus. Quand la déclaration de guerre a fait d’eux des ennemis de la France, ils ont rasé les murs, à s’en écorcher les épaules. »

Après un premier ouvrage consacré à cette vague d’immigrés italiens, Une histoire de promesse, fiction basée sur des recherches historiques qui a donné lieu à un documentaire pour la télévision, « La vie rêvée des Italiens du Gers », Yolande Magni reste sur le registre de la mémoire dans cette nouvelle fiction où « certains personnages sont fortement inspirés de modèles qui ont réellement existé, d’autres sont purement fictifs mais pourraient avoir existé ».

Fille d’une famille d’immigrés italiens, l’auteure poursuit ainsi, dans une approche sociologique introspective, son analyse de la douleur qu’éprouve l’exilé de perdre une place et la difficulté d’en trouver une autre. Une question qui s’étend sur de nombreuses populations tant les flux migratoires deviennent inévitables.


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