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Des parents sourds ont fait face au silence lors des derniers jours de leur fils à l’hôpital de Bordeaux

Suite à notre enquête sur les conditions d’accueil de la communauté sourde dans les administrations à Bordeaux, nous avons reçu de nombreux témoignages, dont ce récit poignant. Après l’accident de leur fils, une famille a vécu une situation très difficile au CHU de Pellegrin, faute de traducteur en langue des signes.

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Des parents sourds ont fait face au silence lors des derniers jours de leur fils à l’hôpital de Bordeaux
Hôpital des enfants à Pellegrin

Le dimanche 28 mai 2023, alors âgé de 4 ans, Nolan, sourd de naissance, est grièvement blessé par un accident domestique chez ses grands parents paternels, dans la banlieue bordelaise. Victime d’un traumatisme crânien qui lui a rapidement fait perdre conscience, il est transporté aux urgences de Pellegrin.

Prévenus, les parents de Nolan, tous les deux sourds de naissance, sont arrivés rapidement à l’hôpital. Dans un échange écrit, Maëlle et Mathieu expliquent à Rue89 Bordeaux :

« Aucun interprète n’était présent la nuit pour la réunion des médecins. Le lendemain, ils nous ont dit qu’un interprète serait là, mais en fait, c’était une employée de l’hôpital qui commençait seulement à apprendre la LSF [langue des signes française, NDLR]. Elle ne savait pas traduire, et ça allait trop vite pour elle. »

Vocabulaire technique

La situation est rapidement devenue « floue » pour le jeune couple. Les parents de Mathieu, entendants, ne sont pas en état de traduire le diagnostic des médecins malgré leur maitrise de la LSF et malgré le fait que le père ait été médecin. Ils ont alors contacté leur fille, Marion, le soir même pour les rejoindre. Elle habite à Valence et devait effectuer 700 kilomètres pour Bordeaux.

« J’ai eu la nouvelle vers 19h. J’ai pris la route à ce moment-là pour arriver tard dans la nuit, explique Marion à Rue89 Bordeaux. Les pompiers avaient transporté Nolan à Pellegrin où il était en réanimation. Il avait été rapidement placé en coma artificiel. »

Marion a pris le relais de ses parents. « Ma mère était en état de choc, donc pas vraiment en capacité de signer correctement quoi que ce soit », rapporte-t-elle :

« L’équipe de nuit, qui a reçu mon frère et ma belle-sœur, a essayé de communiquer par écrit. Sauf que c’est du vocabulaire technique. Et la LSF n’est pas tout à fait la même langue que le français, l’ordre des mots n’est pas le même. Donc, en termes de compréhension, ce n’était pas clair. […] De mon côté, je signe, mais j’ai un vocabulaire du quotidien. Je ne sais pas signer électroencéphalogramme, ni don d’organe, ni ce qui est technique. »

Nolan avec ses parents Photo : fournie par la famille

« L’émotionnel prend le dessus »

Marion reconnaît cependant que « l’accueil de l’équipe a été vraiment exceptionnel », et que le personnel a été désolé de « ne pouvoir nous proposer un interprète ».

« Mais mon frère et ma belle-sœur n’ont à aucun moment pu percevoir ça. Dans mes traductions, je ne pouvais pas le ressortir… et puis l’émotionnel prend le dessus à certains moments. J’étais concernée par la situation. Ce n’est surtout pas mon travail, un interprète professionnel est juste la voix d’une personne. Il n’engage rien de personnel dans ce qu’il dit. »

Le lendemain, lundi de Pentecôte, « toujours pas d’interprète professionnel malgré un entretien programmé avec l’équipe médicale de jour : la médecin et la soignante ».

« On nous avait dit qu’il y aurait quelqu’un pour traduire. En réalité, la personne était une aide-soignante d’un autre service qui avait commencé tout juste à apprendre la langue des signes. Elle était rapidement en difficulté car on signait trop vite, et je devais retraduire plus clairement. »

Nolan était en état de mort cérébrale et ses parents « ont compris qu’il n’y avait pas de possibilité de retour en arrière et qu’il s’agissait de décider quand débrancher ». Une confusion s’en est suivie sur le don d’organes, rapidement abandonné. « Les traductions étaient faites par nous, la famille, et c’était forcément des positions familiales. »

« A l’écart et impuissants »

« C’est malheureusement un constat général du manque de moyens qui existe dans tellement d’autres administrations et institutions publiques, constate Marion. Il n’y a pas assez d’interprètes professionnels en langue des signes pour tout le territoire national et donc on n’est toujours pas en mesure de respecter les lois qui existent dans notre pays pour un accès pour tous [référence à la loi du 11 février 2005 qui vise à assurer aux personnes handicapées la compensation des conséquences de leur handicap, NDLR]. »

« Nous avons souffert de cette situation » écrivent Maëlle et Mathieu qui gardent le sentiment d’avoir été « à l’écart et impuissants ». Marion complète : « Finalement, ce n’est pas l’hôpital qui a annoncé le décès de mon neveu à mon frère, c’est moi. »

Contactée, la direction de l’hôpital de Pellegrin n’a pas confirmé les éléments liés à ce témoignage. Elle rappelle que « le CHU de Bordeaux dispose bien d’une unité d’accueil pour les personnes malentendantes, avec des soignants formés, capables d’intervenir dans l’ensemble des services », mais n’est pas « en mesure de dire si cette unité a bien été sollicitée lors de l’événement » décrit ici.

« Nos équipes médicales et soignantes font leur maximum pour accompagner les familles », tient-elle à préciser.

Maëlle et Mathieu confirment avoir été reçus « par une psy qui signe » un mois après le décès de Nolan par l’Unité d’accueil et de soins des patients sourds. Il n’y a pas eu d’autres échanges.


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