Média local avec zéro milliardaire dedans

Des expérimentations de « nage forcée » sur des souris dénoncées à Bordeaux

L’ONG One Voice demande un contrôle par les autorités du Neurocentre Magendie, un laboratoire de l’Inserm situé dans des locaux de l’université de Bordeaux. Ils dénoncent les conditions dans lesquelles sont menées des expérimentations sur des souris, notamment de « nage forcée », afin de tester des molécules pour des anti-dépresseurs.

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89Bordeaux, abonnez-vous.

Des expérimentations de « nage forcée » sur des souris dénoncées à Bordeaux

C’est un laboratoire bordelais que One Voice tient depuis quelques années dans son collimateur. L’association de défense des animaux reproche au Neurocentre Magendie, piloté par l’Inserm (institut national de la santé et de la recherche médicale) et l’université de Bordeaux, de pratiquer sur des souris des expérimentations de « nage forcée ».

En 2022, elle s’était élevée contre un projet de recherche de cet institut prévoyant de « forcer 600 rongeurs à nager sans échappatoire pour étudier la manière dont le stress chronique peut mener à la dépression ». Ces tests de 6 minutes, pendant lesquels des rats ou des souris sont plongés dans un bocal, sont censés « évaluer l’efficacité des anti-dépresseurs et mesurer les stratégies de réponse au stress », confirme l’Inserm.

Bouillon

One Voice a récemment obtenu devant le tribunal administratif que l’Inserm lui transmette des vidéos de ces expériences. Ce qui, affirme l’association, n’a pas encore été fait. Mais elle revient à la charge contre le laboratoire :

« Entre deux séances de “nage forcée”, les souris du Neurocentre Magendie doivent supporter des températures tropicales, des taux d’humidité extrêmes et des défaillances en série », s’indigne One Voice dans un communiqué.

L’association dit avoir alerté « les autorités compétentes » (préfecture de la Gironde, ministère de la Recherche) pour qu’elles « diligentent dans les plus brefs délais une inspection » de ce laboratoire de l’Inserm, au sein de l’université de Bordeaux.

S’appuyant sur des témoignages de « lanceurs d’alertes », One Voice évoque des problèmes d’inondations des locaux, et de températures et d’hygrométrie trop élevées – près de 40 °C et des taux d’humidité atteignant 75%.

« En 2022 et 2023, les températures ont plusieurs fois dépassé les 30 degrés ! Souris comme employés ont littéralement “bouillonné” pendant des heures, fustige Jessica Lefèvre-Grave, directrice Relations externes et Investigations de l’ONG. Ce n’est pas acceptable pour les animaux et les humains, que nous défendons aussi. »

Dégâts des eaux

A Rue89 Bordeaux, l’Inserm affirme que plusieurs éléments évoqués par One Voice sont « erronés ». S’il confirme que l’institut Magendie a fait face à « trois fuites d’eau » depuis décembre 2023, il indique que « les animaux n’ont pas été en contact avec l’eau », que « les salles impactées ont été nettoyées et décontaminées », et qu’aucun animal n’a été contaminé, ni n’est décédé suite à ces fuites.

D’après les réponses par mail envoyées par l’Inserm, les problèmes d’hygrométrie et de température observés entre 2021 et 2023 sont quant à eux « ponctuels et sont corrélés à des périodes de fortes chaleurs ou à de dysfonctionnements du système de climatisation ».

« Contrairement à ce qu’affirme One Voice, la température n’a jamais atteint 40 degrés ni plusieurs fois dépassé les 30 degrés, indique l’Institut. A chaque dépassement de normes de température et d’hygrométrie dans des salles, les personnels sont alertés, des vérifications sont effectuées et les réparations réalisées si besoin est, le plus rapidement possible pour ne pas impacter le bien-être et l’intégrité des animaux. Lorsque nécessaire, les animaux peuvent être déplacés de salles pour limiter le stress et l’impact sur leur bien-être. »

Bientraitance

L’institut de recherche assure que des travaux de rénovation ont été effectués, et dit avoir « dégagé les fonds nécessaires pour que ces travaux de grande ampleur soient réalisés au plus vite ».

« L’Inserm met tout en œuvre pour assurer le bien-être des animaux dans ses animaleries, ainsi que le bien être des personnels dans les laboratoires », affirme-t-il. 

One Voice exige, pétition à l’appui, l’abolition des « nages forcées » et déplore que la directive européenne de 2013 pour réduire l’expérimentation animale ne soit pas appliquée par le laboratoire bordelais.

« Il est inadmissible que ces tests se poursuivent aujourd’hui. Les rats sont des animaux intelligents, joueurs et sensibles aux besoins de leurs congénères. Rien ne peut justifier qu’on les utilise pour nos propres intérêts. »

L’Inserm répond que ses personnels se conforment aux principes éthiques des 3 R.

Ceux-ci « consistent à garantir que le même niveau d’information ne pourrait pas être obtenu sans recourir à l’animal pour répondre à un objectif scientifique défini ; à réduire le plus possible le nombre d’animaux impliqués dans un projet de recherche sans diminuer la puissance statistique des résultats ; et à assurer la bientraitance et le bien-être des animaux, notamment en limitant les contraintes qui peuvent leur être imposées (manipulations, contention, stress, douleur) ».

Elle flotte mais ne coule pas

Le Neurocentre Magendie insiste par ailleurs sur l’efficacité et l’innocuité des nages forcées, un « test rapide à réaliser et qui ne compromet pas l’intégrité physique des animaux » :

« A la fin du test, l’animal est retiré du récipient, aussitôt séché et replacé dans son environnement. Au cours de ce test rapide, les animaux ne sont pas blessés et ne se noient pas. La souris possède une flottabilité importante du fait de son pelage. Elle n’engage donc pas de grosses réserves métaboliques pour se maintenir immobile. Par ailleurs, la température de l’eau évite tout risque d’hypothermie. Contrairement à ce qui a pu être rapporté [par One Voice, NDLR], aucun choc électrique n’est administré aux animaux avant ou pendant ce test. »

L’équipe de recherche de l’Inserm affirme que ces tests restent « couramment utilisés en première attention pour détecter un comportement de type dépressif chez l’animal de laboratoire ». « Validé par la communauté scientifique et standardisé », il « permet de pouvoir comparer facilement et de façon fiable les résultats obtenus entre laboratoires et expériences », ajoute-t-elle.

L’institut précise néanmoins que « seul, il ne suffit pas à dresser un tableau exhaustif de l’état psycho-comportemental d’un animal », et doit donc s’inscrire « dans toute une panoplie de tests comportementaux permettant de déterminer l’état moteur, cognitif et émotionnel d’un animal soumis à des conditions expérimentales particulières (mutation génétique, conditions environnementales particulières) ».

Santé naturelle

One Voice regrette pour sa part que d’autres méthodes soient insuffisamment explorées :

« Comme l’a fait remarquer récemment le NC3R (centre britannique dédié notamment aux alternatives à l’expérimentation animale), des molécules efficaces et des voies novatrices ont pu être manquées à cause d’une confiance trop grande dans les résultats de ce test. »

L’ONG a identifié 4 laboratoires français adepte des nages forcées, dont deux à Bordeaux : l’institut Magendie, donc, et l’équipe NutriNeuro (Inrae / Université de Bordeaux).

Cette dernière « s’est associée à Activ’Inside (entreprise de la région bordelaise qui produit des ingrédients à destination des vendeurs de compléments alimentaires “naturels”) pour tester l’effet de l’un de ses ingrédients (le safran) sur les comportements dépressifs — comme quoi, santé “naturelle” ne veut pas dire absence de cruauté ».

Joint par Rue89 Bordeaux, l’Inrae n’a pas donné suite. Des entreprises pharmaceutiques comme Pfizer et GSK ont annoncé ces dernières années qu’elles renonçaient à ces tests de nage forcée. Le 14 mars dernier, l’Etat australien de Nouvelle-Galles du Sud a décidé de l’interdire.


#INSERM

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles
Partager
Plus d'options
Quitter la version mobile