« Le RN, c’est la chasse aux sorcières », assène Alain Rousset, président socialiste de la Région Nouvelle-Aquitaine. « C’est un parti jacobin d’extrême droite. Et le jacobinisme, c’est l’illusion de la liberté, l’illusion de l’innovation. Mais en réalité, c’est la mise au pas. »
De son côté, Jean-Luc Gleyze, président (PS) du Département de la Gironde, a son idée sur l’orientation du Rassemblement national.
« On peut imaginer, en lisant certaines éléments de programme, et tirer l’enseignement de ce qui se passe dans des villes gérées par le rassemblement national. Si je prends à Hayange, par exemple, il y a eu la coupure du chauffage et de l’électricité au Secours populaire. »
La classe politique locale ne se fait pas d’illusions sur ce que serait la France sous un gouvernement d’extrême droite. Les élus parlent déjà de « résistance », voire de « désobéissance ».
Quelles relations avec les collectivités ?
« Si législativement on nous explique que nous n’avons plus la possibilité de faire, il se posera la question du devoir d’obéissance, ou pas », prévient Alain Rousset. Une question ouvertement posée par Jean-Luc Gleyze, qui avait annoncé après le vote de la loi immigration que le Département de la Gironde n’appliquerait pas la préférence nationale dans l’attribution des allocations de solidarité.
« Léon Blum disait qu’il fallait avoir une réaction proportionnées aux menaces et aux résistances, rappelle le président du conseil départemental. Tout dépendra de la capacité de la société de se mobiliser pour nous accompagner, parce que encore une fois on ne peut pas mener ces combats seuls. »
Que craignent les élus précisément ? « Il n’y a quasiment pas d’éléments dans le programme du Rassemblement national sur les relations avec les collectivités », note Jean-Luc Gleyze. L’article 72 de la Constitution sur la libre administration des collectivités locales est censé garantir à ces dernière la liberté « à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon ».
« Ce droit constitutionnel peut être mis à mal en nous asphyxiant financièrement de manière à nous obliger à faire des choix », note Jean-Luc Gleyze.
Des lois qui empêchent
Cette asphyxie financière, Jean-Luc Gleyze la dénonçait déjà en février dernier, fustigeant notamment le désengagement de l’État dans le versement et la prise en charge de certaines prestations sociales. Toutes les collectivités locales (communes, Régions, Département) déplorent l’absence ou la perte de ressources propres de recettes, indépendantes du bon vouloir de Paris, en particulier depuis la suppression de la taxe d’habitation récoltée par les mairies.
« Une République qui fonctionne bien doit permettre l’exercice de compétences décentralisées dans les collectivités locales, en lien avec les services de l’État, reprend Jean-Luc Gleyze. Théoriquement, un préfet, a pour vocation de servir aussi les populations en tant qu’autorité déconcentrée de l’État. […] Pour ma part, je dois m’assurer d’être dans le cadre réglementaire, dans le cadre législatif et d’agir dans l’intérêt général des gens. Mais je n’ai pas de compte à rendre directement à l’État à ce titre-là. »
Harmonie Lecerf Meunier, adjointe au maire de Bordeaux en charge de l’accès aux droits, des solidarités seniors et du CCAS, ajoute :
« Toutes les décisions que l’on prend à la mairie passent au contrôle de légalité à la préfecture. On peut penser qu’un gouvernement d’extrême-droite arriverait à poser des lois et des encadrements des subventions qui ne nous permettraient plus de subventionner certains types d’associations, ou ferait des recours en justice sur toutes les subventions qu’on accorde. »
Des « pistes d’économies »
Quelles seraient les associations visées ? Au premier rang de celles-ci, des structures sociales d’aide aux personnes étrangères ou à celles en situation de précarité, souvent jugées « immigrationnistes ».
Grégoire de Fournas, actuel député RN de la Gironde et candidat à sa réélection, avait contesté lorsqu’il était conseiller départemental, une subvention de 50 000 euros accordée à l’association SOS Méditérannée. Le Médocain avait saisi le tribunal administratif avant de se rétracter, du fait de l’annulation par le Conseil d’État d’un jugement dans une affaire similaire dans l’Hérault.
« Il faut donc faire évoluer la loi pour mettre fin à ces subventions scandaleuses. Les Français doivent élire une majorité RN à l’Assemblée pour y parvenir », avait-il déclaré à Sud-Ouest.
Et permettre ainsi des « pistes d’économies » à en croire Julie Rechagneux, conseillère régionale RN, nouvelle eurodéputée depuis le 9 juin dernier, mais aussi candidate aux législatives dans la 4e circonscription de Gironde, où elle est conseillère municipale (à Lormont).
A la Région Nouvelle-Aquitaine son groupe s’était opposé en février dernier à une subvention de 75 000€ pour l’Institut des Afriques, justifiant son refus d’aider cette structure académique par l’organisation de conférences sur « l’Égalité des genres, la “justice climatique” et la décolonisation ». Le RN a aussi voté contre une aide de 2 000€ destinée au Collectif Bordeaux Nord mettant en œuvre un projet d’atelier théâtre pour des femmes en situation d’illettrisme.
Se défendre contre les mesures de l’extrême droite
A Cenon, ville animée par près de 500 associations, 86 nationalités se côtoient. « Le Rassemblement National n’arrêtera pas la volonté des gens d’être ensemble » s’emporte Jean-François Egron, maire de la ville, qui reçoit chaque année de l’Etat près de deux millions d’euros de subventions pour ses associations.
Pour défendre ses bénéficiaires, l’édile socialiste se propose d’assister juridiquement et administrativement les habitants et structures qui seraient visées par des mesures portées par l’extrême droite.
« C’est le devoir de la mairie de dire : “la loi est très claire”. […] Je m’engagerai pour que cette loi soit respectée. On va monter un service où on va rassembler des éléments juridiques et puis on va attaquer toutes les décisions », prévient Jean-François Egron.
Les subventions pour la défense des minorités seraient aussi dans le collimateur de l’extrême droite. Le Girofard, centre culturel et préventif de la communauté LGBTQIA+ à Bordeaux, est particulièrement inquiet : il bénéficie d’un financement de près de 40% venant d’organismes d’État.
« Ces dernières années, on s’est beaucoup développé cela répond à un vrai besoin, le nombre de personnes qui nous sollicitent est exponentiel, la question sera de savoir où iront ces personnes après », s’alarme Tristan Poupard, co-directeur du Girofard.
Alors que cette structure monte des projets avec l’ARS (agence régionale de santé de Nouvelle-Aquitaine), le programme du RN, qui prévoit de supprimer ces agences pour confier le pilotage des établissements sanitaires aux préfectures, pourrait les remettre en question.
« On craint le retour du délit de solidarité »
Du côté de la Ville de Bordeaux, qui a bénéficié de 38,3 millions d’euros de dotation de l’État, soit près de 9% de ses recettes générales, on s’interroge sur les contraintes que feraient peser un gouvernement d’extrême droite sur ses finances, et sur les actions que la mairie devrait engager pour pallier un désengagement de l’Etat. Actuellement, sur les 418 millions d’euros de dépense de fonctionnement de la municipalité, 11% des ces crédits ont été accordés aux associations.
Aux pressions financières pourraient aussi s’ajouter des restrictions légales, prévient Harmonie Lecerf Meunier :
« Une chose qui a été bien préparée par le gouvernement en place, c’est le contrat d’engagement républicain que les associations doivent aujourd’hui signer », dénonce l’adjointe écologiste au maire de Bordeaux.
En effet, la loi « séparatisme » du 24 août 2021 a posé l’obligation pour les associations et les fondations de souscrire un contrat d’engagement républicain pour pouvoir recevoir des subventions, et obtenir une reconnaissance d’utilité publique. Elle facilite la dissolution d’associations en cas d’entorse aux principes républicains.
« Un Etat RN pourrait décider que l’Asti (association de solidarité avec tous les immigrés), parce qu’elle fait de l’aide administrative à des personnes sans papiers, est une association qui ne respecte pas le cadre républicain, redoute l’élue bordelaise. Ou estimer que les Restos du Cœur, qui nourrissent et donnent des téléphones portables à puce changeable à des personnes dans le besoin, dont des sans-papier, leur permettent de se maintenir illégalement sur le territoire. En fait, ce qu’on craint, c’est le retour d’un délit de solidarité. »
Rétrogade
« Quand on regarde la manière dont fonctionnent les financements d’État, notamment, on se dit que la reprise en main du ministère de la Culture peut être très rapide », relève Blaise Mercier, directeur de la Fabrique Pola.
« La loi séparatisme, finalement, est un petit cadeau qui a été fait au RN. C’est l’outil parfait pour justifier de la suppression ou de l’annulation de subventions. Je m’inquiète pour Pola mais plus largement pour la filière. Le scénario est catastrophique quand on voit l’hostilité, notamment, à toute la création contemporaine. »
Une déclaration de Julie Rechagneux, candidate RN pour la 4e circo en Gironde, annonçait la couleur pour le monde de la culture :
« Pensons à ces millions qui sont gaspillés pour subventionner certains projets culturels, politisés ou même parfois obscènes alors qu’ils ne trouvent aucun public. Tous ces films, spectacles ou festivals, ouvertement militants qui ne vivent que de vos subventions alors que personne ne se déplace pour les voir. »
Ce n’est un secret pour personne : ce domaine n’est pas le fort de la droite extrême. Dans le programme de Jordan Bardella pour les législatives, le sujet n’est abordé que sous son angle patrimonial.
Qu’il soit aux affaires ou dans l’opposition, le RN ne se contente toutefois pas seulement de réduire « à la ligne du parti », mais aussi d’attaquer s’il n’est pas dans ses clous idéologiques. Dernier exemple en date : en mai dernier, le groupe d’extrême droite à la Région a voté contre une subvention de 4000€ pour un festival destiné aux enfants mettant en scène un personnage habillé en drag-queen
« L’accueil d’artistes étrangers fait partie de l’exception culturelle de La France »
Si le RN s’empare du gouvernement et du ministère de la culture, « c’est évident que les moyens seront déplacés », estime Dimitri Boutleux, adjoint à la culture de Bordeaux :
« Ce qui est mis aujourd’hui à disposition de l’exception culturelle française sera mis dans le sécuritaire » poursuit l’élu, qui s’attend à une « commande publique dirigée par un État dirigiste ».
« Il y a une inquiétude énorme, puisque les valeurs du RN sont exactement opposées à celles de la culture, c’est-à-dire la solidarité, l’accueil », commente Sylvie Violan. La directrice du FAB complète :
« On travaille beaucoup avec des artistes étrangers. L’accueil d’artistes étrangers fait partie de l’exception culturelle de la France. Ce qui permet aux artistes de créer et d’avoir des conditions correctes pour exprimer leur art, notamment via l’intermittence du spectacle qui est directement menacée. »
Parallèlement les artistes se mobilisent. Matthieu Barbin – Sara Forever sur scène, une drag queen, danseuse et performeuse, connue pour avoir été finaliste à l’émission Drag Race France – a pris position contre l’arrivée du Rassemblement national à Matignon. D’origine bordelaise, il déclare au journal L’Humanité à propos des drags :
« On est de plus en plus visibles et de plus en plus écoutés. Puisque ça fonctionne par vagues, il y a aussi de plus en plus de mouvements réactionnaires, conservateurs, qui tentent de nous faire taire et de nous invisibiliser. »
Un pouvoir exorbitant ?
« Si les migrants, les minorités, les jeunes des quartiers populaires, les femmes, les personnes LGBT seront les premières victimes de l’extrême-droite, nous sommes toutes et tous menacé·es », avertit Karfa Diallo, conseiller régional écologiste et fondateur de l’association Mémoires et Partages.
« Nous avons été souvent la cible d’attaques racistes et de menaces de mort proférées contre les membres de notre association mais nous n’avons jamais cessé d’œuvrer pour l’égalité. Il est effectivement à craindre que l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite n’amplifie le phénomène autorisant les passages à l’acte, ainsi que toute la kyrielle de mesures administratives et politiques restreignant nos libertés d’association et d’action », ajoute-t-il.
Liberté de conscience, égalité et non-discrimination ou encore respect de la dignité de la personne humaine, ces sept engagements définis par l’État, et pouvant être laissés à la libre interprétation des préfectures, ouvre la porte à de nombreuses dérives pouvant mener à la dissolution de certains collectifs.
Si la dissolution de l’association écologiste Les soulèvements de la terre a finalement été révoquée par le Conseil constitutionnel, le Rassemblement national pourrait vouloir passer outre. La Constitution est en effet un garde fous à certaines de ses idées, telles que la suppression du droit du sol ou la préférence nationale dans l’attribution des aides sociales.
Jean-Philippe Tanguy, ancien député Rassemblement national de la Somme, dénonçait en décembre dernier au micro de France Info « une dérive des juges constitutionnels qui imposent de prendre des décisions importantes […] et s’arrogent d’un pouvoir exorbitant ».
Le RN prévoit dans son programme d’apposer un grand nombre de mesures liées à l’immigration ou la sécurité dans le texte fondateur de la Ve République par voie de référendum.
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