Dès dimanche soir, à la vue des résultats du Rassemblement national, les appels au front républicain se sont multipliés pour empêcher l’extrême droite de décrocher la majorité absolue à l’Assemblée nationale, et Matignon.
Les dirigeants du Nouveau Front populaire (NFP) – insoumis, socialistes, écologistes et communistes – ont aussitôt annoncé que tous leurs candidats arrivés 3e mais qualifiés au second tour, se désisteraient dans les circonscriptions que pourraient conquérir le RN.
Ceux de la majorité présidentielle se sont montrés plus flous, plusieurs de ses ténors, dont Edouard Philippe et Bruno Le Maire, refusant par exemple officiellement de favoriser l’élection de membres de la France insoumise.
Les consignes ont été globalement suivies sur le terrain. Alors que la clôture des candidatures est intervenue ce mardi 2 juillet à 18h, Le Monde a recensé moins d’une centaine de triangulaires, sur 306 possibles à l’issue du premier tour. Sur les 218 désistements dans les circonscriptions où le RN est en tête, 131 sont de candidats de gauche et 82 du camp présidentiel, sous l’étiquette Ensemble, et du centre.
Pour mémoire, le RN est au second tour dans 485 circonscriptions, dispose déjà de 39 députés, et en a besoin de 250 autres pour tenir l’hémicycle. Les triangulaires, où l’élection d’un candidat RN peut être facilitée, pèsent donc pour moitié dans ce résultat final.
Un front solide en Gironde
En Gironde, le front républicain sera respecté. Les candidats de gauche et de droite arrivés 3e et en position de se maintenir se sont tous désistés dans les circonscriptions où le RN a viré en tête. C’est le cas de l’écologiste Pascal Bourgois (10e circonscription), de la socialiste Corinne Martinez (9e) et de la communiste Marylène Faure (8e circonscription), qui ont en outre appelé à voter pour leurs concurrents, députés sortants de la majorité présidentielle.
Côté Ensemble, l’ex député (Renaissance) Pascal Lavergne a indiqué dimanche soir qu’il ne se maintiendrait pas dans la 12e. Stéphane Sence (Horizons) a annoncé ce lundi le retrait de sa candidature contre le député sortant de la 5e circo, Grégoire de Fournas. « Mon seul mot d’ordre : pas une voix pour le RN ! », affirme-t-il dans un communiqué.
Cependant, les deux hommes n’ont pas appelé explicitement à voter pour leurs ex adversaires de gauche, respectivement Mathilde Feld et Pascale Got, toutes les deux distancées par les candidats du RN.
Péril gore
La situation est plus chaotique ailleurs en Nouvelle-Aquitaine. En Corrèze, c’est un Républicain, Francis Dubois, qui refuse de se retirer malgré la menace de Maïtey Pouget (RN) pour François Hollande. Et dans le Béarn, l’ancien député Jean Lassalle, 3e, se maintient. Mais dans cette circonscription des Pyrénées-Atlantique, la candidate RN Sylviane Lopez accuse un retard de près de 13 points sur le député sortant socialiste Iñaki Echaniz (38%).
Le risque d’élire des députés d’extrême droite est tout autre dans d’autres circonscriptions de la région. Et les entorses au front républicain sont toujours le fait de candidats de la majorité présidentielle, ou soutenus par elle.
En Dordogne, où le RN a viré en tête dans les trois circonscriptions, des désistements se sont produits dans deux d’entre elles. Le candidat (Horizons/Ensemble) Clément Tonon, troisième à Périgueux, qui envisageait de se maintenir malgré la forte probabilité d’un succès du RN, s’est finalement désisté.
Nadine Lechon, la candidate RN, devance de près de 9 points la députée sortante Pascale Martin, et de 14 Clément Tonon.
Dignité aux urgences
La pression est en effet forte sur les dissidents. Les réactions courroucées pleuvent par exemple sur le compte X de Thomas Mesnier, candidat (Horizons, lui aussi) de la majorité qui a annoncé se maintenir au second tour dans la 1er circonscription de Charente, avec là aussi l’argument de disposer de plus de réserves de voix.
« Lamentable », « Votre position est indigne. Vous devez vous désister pour faire barrage à l’extrême droite et appeler à voter en ce sens, comme le font les candidats NFP en cas de triangulaire », lui écrivent les Twittos.
Arrivé deuxième avec 30,3%, derrière René Pilato (LFI/NFP), qui a fait 32,8%, et juste devant Marion Latus (30,26%), du RN, Thomas Mesnier, responsable du pôle des urgences au CHU de Bordeaux, estime que « ses divergences avec ces deux candidats sont profondes, pas seulement sur les programmes mais sur les valeurs fondamentales ».
S’il respecte les consignes anti-insoumis du parti d’Edouard Philippe, c’est peut-être aussi pour Thomas Mesnier l’occasion moins avouable d’une revanche personnelle. Elu député En Marche en 2017, sa réélection en 2022 avait été invalidée par le Conseil constitutionnel, du fait d’une irrégularité sur 27 voix alors qu’il n’en avait que 24 d’avance sur… René Pilato. Celui-ci l’avait ensuite emportée en janvier 2023.
Barrage contre… un écolo
En Charente-Maritime, où le Rassemblement national est en tête dans 4 des 5 circonscriptions, des désistements ont eu lieu dans deux d’entre elles. Dans la 2e circonscription (Rochefort), la députée sortante (Modem/Ensemble) Anne-Laure Babault a failli bafoué un principe édicté dans son camp, celui de se désister en faveur de candidats sociaux-démocrates ou écologistes.
Arrivée troisième avec 25,33%, l’ex élue (Modem/Ensemble) demandait même au candidat écologiste Benoît Biteau (2e, 26,94%) de « se retirer en responsabilité ». Elle s’estimait « seule à pouvoir faire face au RN », dont la candidate Karen Bertholom a réalisé 34,41 %, « car la seule à avoir des réserves de voix », celles du candidat LR battu au premier tour.
Sous la pression, notamment des partisans de l’union de la gauche qui ont commenté massivement ses publications sur les réseaux sociaux pour lui demander « de respecter le barrage républicain demandé par Gabriel Attal », Anne-Laure Babault a finalement renoncé à sa candidature.
Coup de poker en Creuse
Dans l’unique circonscription de la Creuse, c’est une divers droite, Valérie Simonet qui, arrivée troisième, refuse de se retirer. Elle aussi estime disposer d’un réservoir plus important, les voix d’un candidat Renaissance battu au premier tour, et se juge en mesure de refaire son retard de 11 points sur Bartolomé Lenoir, représentant de l’alliance RN-LR Ciotti (33,35 %). La deuxième est la députée sortante, l’Insoumise Catherine Couturier.
« Si Madame Couturier veut faire barrage au RN comme elle le prétend, qu’elle se désiste puisqu’elle n’a aucune chance de gagner et heureusement ! Je suis la seule à pouvoir battre le Parisien Bartolomé Lenoir avec une avance confortable ! », juge Valérie Simonet.
Les personnalités locales de gauche l’ont prié de revenir sur sa position. Le maire PS d’Aubusson, Stéphane Ducourtioux, voit là « un coup de poker et une erreur politique ».
« C’est évident que le RN va l’emporter. Si elle compte sur les voix de Jean-Baptiste Moreau, elle se trompe car l’électorat macroniste est très disparate. »
Étonnamment, Bartolomé Lenoir lui a aussi demandé de se retirer. Le candidat d’extrême droite estime que Catherine Couturier est « la seule à pouvoir empêcher [sa] victoire dimanche prochain ».
« Le maintien de la candidature Valérie Simonet largement distancée n’aura pour conséquence que de diviser les voix à droite tout en cherchant à récupérer celles de Jean-Baptiste Moreau. Un dangereux calcul qui ne mènera à rien pour la Creuse. »
Maintien contre la gauche, mais pour son bien
Coup de bluff ou vrai appel à l’union des droites tout en misant sur un face à face clivant avec une représentante du parti mélenchoniste ? Ce genre de calculs alambiqués semble traverser tous les camps.
Troisième dans la 1re circonscription de la Vienne avec 28,85% des voix, Séverine Saint-Pé a ainsi décidé de contrevenir à la ligne d’Horizons, son parti, en maintenant sa candidature face à la député écologiste sortante, Lisa Belluco (33,14%) et à la candidate du RN, Emmanuelle Darles, qui l’a devancée de 43 voix.
Mais elle assure sur France Bleu l’avoir fait en concertation avec son adversaire du Nouveau Front populaire :
« Où iront mes 16000 voix [en cas de retrait de sa candidature] ? Il y a des personnes qui ne se reconnaissent pas même dans le Front populaire, même si il est représenté ici par une candidate écologiste et pas LFI, et ça j’en suis bien consciente et j’en ai échangé avec Lisa Belluco. Et de l’autre côté, on a la candidature du Rassemblement national, qui est une candidature sans expérience, sans présence sur le terrain. Donc nous ce que l’on propose, c’est de continuer à travailler sur ce centre-droit modéré avec une candidature d’expérience. »
Boutiquier limougeaud
Enfin, trois triangulaires auront lieu en Haute-Vienne, au nom là aussi d’une boutique politique. L’Alternative républicaine, une alliance locale de diverses forces de droite initiée par Guillaume Guérin, le président LR de Limoges Métropole, est parvenue, avec le soutien de la majorité présidentielle, a qualifié ses candidats dans les trois circonscriptions.
Et elle comptait bien les maintenir. Dans la 3e, la candidate du Nouveau Front populaire Manon Meunier, qui avec 35,18 % des suffrages devance de seulement 184 voix Albin Freychet (RN), a appelé sans succès le candidat de droite, Gilles Toulza, vice président de Limoges Métropole , »à se ranger derrière monsieur De Gaulle et non derrière M. Ciotti ».
En revanche, dans la 2e circonscription, Marie-Eve Tayot, qui avec 24,45% était loin de la RN, Sabrina Minguet, s’est finalement désistées. L’extrême droite devance d’une courte tête (36,86 % vs 36,83%) le sortant socialiste, Stéphane Delautrette. Et ce même à Oradour-sur-Glanes.
Ce lundi, le Pacte du pouvoir de vivre, un collectif fédérant de nombreuses associations (Fondation Abbé Pierre, CFDT, Fondation pour la Nature et l’Homme, Cimade…) a enjoint les candidats les moins bien placés à se désister « pour battre l’extrême droite ». L’appel n’a pas encore été bien entendu.
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