« Vous aurez ma voix dimanche, et j’ai convaincu toute la famille », assure un habitant de La Brède, repartant du marché avec un tract RN à la main.
Ce mercredi matin, à quelques jours du second tour, il faut dire que François-Xavier Marques a le vent en poupe. Comme dans plus d’une circonscription sur deux au premier tour en France, le candidat d’extrême droite est arrivé en tête avec 38,54% des voix.
Dans cette 9e circonscription de Gironde, il devance de huit points la députée Modem sortante, Sophie Mette. Arrivée troisième, la candidate du Nouveau Front populaire, Corinne Martinez, s’est retirée.
Sur le marché de La Brède, la figure du candidat n’est pas toujours connue, mais peu importe semble t-il. « Les gens votent aussi pour un Premier ministre », estime Edwige Diaz, vice-présidente nationale du RN. C’est en tous cas le pari du parti, qui ne fait apparaître que les visages de Marine Le Pen et Jordan Bardella sur les professions de foi, et seulement le nom (en tout petit) de ses candidats.
Droite patriote
Edwige Diaz, seule députée de la région élue au premier tour des législatives, est venue prêter main forte au candidat de la 9e. « On nous faisait le même procès en 2022, et là nous sommes 39 à avoir été réélus » :
« Chez nous pas de surprise, on défend le même programme avec clarté. Allez demander à un électeur du Nouveau Front populaire de se positionner sur le nucléaire entre les écologistes et les communistes. »
« D’habitude je ne vote pas, mais là pour la première fois j’ai voté RN », confie un retraité de la fonction publique :
« La France coule, on trop de problèmes. On veut faire du social et ça coûte cher. Je ne suis pas raciste ou contre les immigrés, mais il y a un minimum d’intégration à faire avant de pouvoir toucher des aides. »
« Le FN c’était il y a 50 ans, les choses ont changé », veut croire cet électeur. Aux oubliettes les racines d’un parti héritier idéologique de l’Ordre nouveau, un mouvement néofasciste ? « Faut arrêter avec les Waffen-SS », soupire Guillaume, militant RN, passé par LR et Reconquête :
« On va pas remonter aux calendes grecques. Vous voulez qu’on parle de Mitterrand et de Pétain ? Aujourd’hui nous sommes la droite patriote, engagée pour le pouvoir d’achat, contre l’augmentation des prix. »
Agriculture et traditions
« Marine Le Pen n’a pas que changé le nom du parti », assure François-Xavier Marques. À 35 ans, le candidat se définit comme un « politique pas comme les autres ». Commerçant artisan à Artigues-près-Bordeaux (il doit prochainement déménager à Langon), il est président du Syndicat de la Boucherie en Gironde, secrétaire et administrateur au sein de l’interprofession régionale (Interveb).
S’il est élu à l’Assemblée, il voudrait siéger au sein du groupe de travail sur l’agriculture, défenseur de la chasse et des « traditions » :
« Le risque zéro n’existe pas, mais aujourd’hui il y a plus d’accidents de vélo que d’accidents de chasse. La chasse, c’est aussi l’équilibre de la biodiversité. Le blaireau, par exemple [dont les associations écologistes contestent l’intérêt de les chasser, NDLR], transmet la tuberculose aux bovins. »
Sur les dossiers locaux, il est positionné contre le projet GPSO, estimant que « ce n’est pas aux concitoyens de payer la facture, alors que l’Europe ne finance qu’à hauteur de 20%. » Une position qu’il partage avec Sophie Mette.
Électeur de Nicolas Sarkozy en 2007 et 2012, François-Xavier Marques a été « déçu » des scandales qui ont écorné l’UMP, devenu Les Républicains, affaire Fillon en tête. Et la mise en examen de Marine Le Pen pour détournements de fonds publics au Parlement européen ?
« Ça va faire comme François Bayrou, qui a finalement été relaxé », espère t-il.
Quand débute le mouvement des Gilets jaunes, l’artisan commerçant est sur le rond-point de Virsac. Il rejoint Reconquête en 2022 et est investi dans la douzième circonscription de Gironde, dans l’Entre-deux-Mers. Il quitte finalement le parti zemmouriste pour rejoindre le RN, en désaccord, entre autres, avec certaines « idées » à l’instar de la polémique du prénom.
« Abandon de la gauche »
Sur le marché, l’ambiance se corse quand une habitante déchire des tracts. « Je vous souhaite une bonne défaite, même si, malheureusement vous allez gagner », lance t-elle aux militants. Ces derniers et le candidat tentent de désamorcer la « pression » en engageant la conversation. François-Xavier Marques lui propose ses coordonnées, pour « discuter ».
Mais dimanche, cette riveraine de La Brède âgée de 56 ans, votera blanc :
« J’ai peur, je n’oublie pas d’où ils viennent. J’aurais peut-être dû être militante plus tôt, pour les combattre. 2002 a un a été choc, mais je n’ai pas senti la menace arriver. Ils ont eu la complicité des médias et le marchepied par Macron. »
« La gauche a abandonné le terrain de la ruralité et de l’usine, ça joue aussi », observe un couple d’électeurs macronistes :
« Nous n’avons pas peur, c’est la démocratie et le choix de 11 millions de Français, estiment-ils. On ne partage pas les idées du RN, et même s’il remporte les élections, les contre-pouvoirs sont là pour gérer les potentielles dérives. »
Pendant ce temps à Grignols…
Le même matin, sur le marché de Grignols, à la frontière des Landes et du Lot-et-Garonne, Sophie Mette est loin d’être une inconnue. Elle fait « partie du paysage » comme dit Stéphane Peyrat, exploitant d’une pépinière à Lavazan :
« Disons que madame Mette on la voit souvent : par exemple, quasiment tous les samedi on la voit sur le marché de Bazas. Elle est d’ici, et puis elle achète aux commerçants », souligne ce commerçant.
Le soir de la dissolution, celle qui était alors députée se trouvait devant sa télé. « C’était quelque chose dont on parlait mais c’était nébuleux », commente-t-elle. Passé la stupéfaction de l’annonce, il a fallu repartir en campagne. Elue en 2017, puis de nouveau en 2022, respectivement face à un candidat PS et un LFI, elle espère inverser la tendance.
Au premier tour, elle a accusé 6000 voix de retard sur son adversaire. Mais elle bénéficie du désistement de la candidate socialiste arrivée troisième, et probablement du report d’une bonne partie des 20000 voix qui s’étaient portées sur le Nouveau Front populaire. Pour ce faire, la centriste multiplie les apparitions sur le terrain et écume les marchés du coin.
Ancrée dans son territoire
Son entrée dans la vie politique se fait l’année de ses 40 ans, au conseil municipal de Bazas, commune où elle réside depuis 1987. Avant cela, elle travaillait dans le domaine associatif et était notamment présidente de l’association Bazas Culture Cinéma, qui gère le cinéma de la commune.
Forte de son expérience, elle est de 2001 à 2008 adjointe à la culture dans l’équipe municipale du maire de l’époque, Paul Marquette (DVD). Elle prend sa carte au MoDem en 2007, l’année de sa création. Au fil de ses mandats la candidate de 64 ans a su se forger l’image d’une élue toujours ancrée dans son territoire.
Ce mercredi, ils sont nombreux à la saluer pendant qu’elle sirote un café en terrasse avec Cécile Reix, sa collaboratrice, une fois le tour du marché achevé. Patrick Chaminade, premier adjoint à la mairie de Grignols, passe en lui lançant un « ça va, tu tiens le coup ? ». Si Sophie Mette garde le sourire, elle reconnaît que « c’est compliqué et ça va être compliqué jusqu’à dimanche, et même après ».
Virage à droite
« C’est vrai qu’il faut rassurer les gens », concède Sophie Mette. Des inquiétudes nouvelles, exacerbées par une extrême droite toujours plus présente dans les médias et sur le terrain ne leur arrange guère la tâche.
La candidate avoue ne pas saisir lorsque sur le marché, une petite dame l’interpelle pour lui parler de sécurité et d’immigration. « Qu’à Bordeaux on puisse dire… bon voilà, mais ici j’ai du mal à comprendre », admet-elle.
Celle qui se décrit comme « plutôt modérée » reconnaît le « virage à droite » du macronisme, tout en justifiant avoir voté la loi immigration, qualifiée de victoire idéologique par Marine Le Pen, parce que « c’est ce que les Français attendaient ».
La campagne délaissée ?
Une voix se fait entendre. « On va les avoir, on va les avoir », chantonne Jean-Luc, président de la Recyclerie du Bazadais, en s’approchant de Sophie Mette et Cécile Reix. Pour ce macroniste de la première heure, le glissement vers la droite est tout à fait logique :
« Ici c’était vraiment socialo-communiste, mais comme il y a eu un abandon par les politiques qui ont été mené du monde rural, y a des ressentiments très forts. Moi je connais des gars, des anciens communistes et des anciens socialistes, qui votent RN aujourd’hui pour des raisons de ras-le-bol. »
Non loin de là, Jean-Loup, Christian et Pascale profite d’un petit verre entre amis. Les trois retraités évoquent d’autres problématiques :
« Comme la majorité des français je suppose, le pouvoir d’achat, les retraites, les inégalités sociales en général », énumère Jean-Loup. Lui votera pour Sophie Mette, parce que « c’est un vote pour moi qui est républicain, le vote utile », ajoute-t-il.
Appel au barrage dans l’Entre deux Mers
Le réflexe républicain va-t-il aussi jouer à plein de l’autre côté de la Garonne ? Dans la 12e circonscription de l’Entre-deux-Mers, le Rassemblement national Rémy Berthonneau est sorti du premier tour avec 6000 voix et 10 points d’avance (38,41% versus 28,85%) devant la candidate du Nouveau Front populaire.
Mais Mathilde Feld bénéficie du désistement de Pascal Lavergne, le député Renaissance sortant, qui l’avait battue d’un souffle en 2022, et dont une partie des 17000 voix devait contribuer à faire barrage.
Et à l’instar des nombreux élus locaux du Médoc qui ont apporté leur soutien public à Pascale Got contre Grégoire de Fournas, ceux de l’Entre-deux-Mers ont tenu une conférence de presse ce jeudi à Créon pour appuyer l’adjointe (France insoumise) au maire de cette commune, qui a été jusqu’en 2020 présidente de la communauté de communes du Créonnais.
Reconnaissant « la colère contre une élite politique et administrative », 14 maires (de Blasimon, Cadillac, Capian, Paillet, Sauveterre-de-Guyenne…) et des dizaines d’élus, dont le président du Département Jean-Luc Gleyze et les sénateurs Hervé Gillé et Monique de Marco, rappellent que « les discours populistes de haine, de racisme et de discorde portés par l’extrême droite ont toujours annoncé des lendemains tragiques ».
Au contraire, soulignent-ils, « la France doit son rayonnement dans le monde à la richesse de ses diversités culturelles » :
« Une famille sur deux a des parents/grands-parents issus de l’immigration. Ce sont pour la plupart des travailleurs immigrés (italiens, espagnols, portugais, marocains, roumains,…) qui ont notamment façonné dans l’Entre-deux-Mers nos paysages par leur travail dans nos champs, dans nos vignes. »
Mélenchon, une « ligne rouge »
Mais si Mathilde Feld dit être portée par « un très gros engouement populaire », elle reconnait pâtir de son étiquette politique :
« Emmanuel Macron n’a pas aidé en parlant des deux extrême alors que le Conseil d’Etat a statué : la France insoumis est un parti républicain de gauche, le RN est d’extrême droite. C’est le monde à l’envers : ont est traités de fascistes et d’antisémites ! Je demande donc aux gens s’ils voient dans le programme du Nouveau Front populaire des choses fascistes ou antisémites. »
Concédant que « Jean-Luc Mélenchon est une ligne rouge pour beaucoup », l’élue créonnaise martèle que le chef de la France insoumise « n’a pas écrit le contrat de législature » de l’union de la gauche, et plaide pour son engagement républicain.
« Le lycée de Créon est arrivé sous mon mandat de présidente de la communauté de communes, car j’ai su rallier les maires à cette cause là pour racheter le terrain où il a été implanté. Je sais travailler avec les gens de différentes obédiences, même si je suis LFI. »
L’œil de Moscou
La candidate veut donc croire « qu’après le vote protestataire au premier tour, les citoyens votent avec la raison au second » :
« Ils vont s’apercevoir que ce n’est pas Rémy Berthonneau qui va régler les problèmes dans leurs villages. Il ne connaît personne sur le terrain, et ne peut même pas voter pour lui car il n’est pas inscrit dans la 12e circonscription. Il est complètement parachuté après avoir travaillé ces dernières années comme attaché parlementaire d’un député RN de Moselle. »
Par ailleurs, Mathilde Feld rappelle les accointances passées avec la Russie de son adversaire RN (qui n’a pas donné suite à nos sollicitations et a nié tout lien avec le Kremlin dans l’un des seuls entretiens donnés à la presse).
Salarié de l’entreprise française Safran en Russie, puis directeur général à Moscou de la société française Cifal, il entendait développer les relations franco-russes. La Cifal est visée depuis 2023 par une enquête pour « corruption d’agent public étranger » du Parquet national financier, mais ce dernier indique à Rue89 Bordeaux que Rémy Berthonneau « n’a pas été entendu dans ce dossier, et n’est pas mis en cause ».
« Rémy Berthonneau s’est tout de même illustré en 2015 par une tribune qui critiquait le refus de la France de livrer des Mistral, ces porte hélicoptères, à la Russie qui venait d’annexer la Crimée, souligne Mathilde Feld. Cela pose une grosse question sur la souveraineté de la France, quand on sait que le Kremlin regarde avec attention ce qui se passe en ce moment. »
Plafond de verre
La déstabilisation gagnera-t-elle le Sud Gironde, terre modérée depuis toujours, alternant entre PS et centre-droit ? On saura dimanche si les candidats RN ont touché dès dimanche leur plafond de verre, y compris dans la 8e circonscription voisine, le Bassin d’Arcachon.
Un front républicain s’est aussi constitué derrière Sophie Panonacle, devancée d’environ 4500 voix par le RN Laurent Lamara. La députée Renaissance sortante devrait profiter du désistement et des 15948 voix de la communiste Marylène Faure, qui a appelé à voter pour elle.
Le candidat d’extrême droite ne peut quant à lui compter que sur une partie des 8600 électeurs du LR Marc Morin (qui n’a pas donné de consignes de vote) et du millier de la Reconquête Marie-Christine Caries. Probablement trop juste pour faire basculer le bassin du centre droit à l’extrême.
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