A l’entrée, au bout d’un long chemin qui traverse un camp militaire où est basé le 13e régiment de dragons parachutistes depuis 2011, un premier texte gravé sur un panneau vitré :
« Aucun n’avait choisi la mort. Tous l’ont risquée en connaissance de cause. Il fallait résister pour libérer la France. Ils ont résisté à la barbarie sauvage, au racisme, à la haine et à toutes les dominations. »
Le mémorial de Souge à Martignas-en-Jalle rend hommage aux 256 fusillés « honorés et identifiés » précise Jean Lavie, président de l’association du Souvenir des Fusillés de Souge qui organisait ce dimanche 20 octobre une visite du site, habituellement fermé au public. Un 257e fusillé est également identifié, « mais il n’est pas honoré ni inscrit ici, pour avoir collaboré avant son exécution ».
Le curé de Martignas qui officiait durant la Seconde Guerre mondiale, avait évoqué lui 300 fusillés par les militaires du IIIe Reich. « Ils s’ajoutent au fur et à mesure des identifications », faisant du mémorial des Fusillés de Souge « le deuxième lieu de mémoire de fusillades collectives en France après le Mont-Valérien » selon l’association.
« Rendre compte de l’idéologie nazie »
Le camp de Souge avait été créé en 1845 et s’étend aujourd’hui sur 2 800 hectares de forêt. Il a été placé sous l’autorité directe des troupes allemandes après la défaite de 1940. Le mémorial est aménagé en 1988 et refait dans sa forme actuelle après la tempête de 1999. L’association du Souvenir des Fusillés de Souge y organise régulièrement des visites :
« Il y a tout un cheminement qui part des stèles mémorielles jusqu’à l’enceinte de fusillade, où l’on organise des cérémonies. Les visites, aussi bien pour les groupes d’adultes que pour les milieux scolaires que l’on reçoit à l’année, ont pour but de raconter l’histoire des fusillades et des fusillés », détaille Jean Lavie, président de l’association.
Ce parcours, à vocation avant tout mémorielle, est organisé par des bénévoles associatifs, tous liés par des liens de parenté avec les résistants fusillés au camp entre 1940 et 1944.
« Il s’agit de leur rendre hommage, mais aussi de rendre compte de ce qu’était l’idéologie nazie, fondée sur le rejet de l’autre et l’atteinte aux libertés. Cela doit permettre à chacun d’en tirer des enseignements pour sa propre vie et face aux événements actuels », conclut Jean Lavie.
Dans une des lettres rédigées par les condamnés une heure avant l’exécution, un fusillé écrit toute sa bienveillance pour le peuple allemand et n’exprime de rejet que pour leurs dirigeants. Des nuances qui manquent à de nombreux conflits, même actuels.
Le premier fusillé de Souge
Les hommes tombés ici avaient entre 16 et 69 ans, une moyenne d’âge de 33 ans. Ils se distinguaient par une grande diversité idéologique – des gaullistes aux communistes –, et professionnelle – pilote d’avion comme ouvriers. Le diversité est également géographique : deux tiers étaient d’Aquitaine, et 10% d’origines étrangères, Italiens ou Espagnols, Haïtiens ou Hongrois…
Parmi eux, Israël Leizer-Karp, d’origine polonaise. Le 24 août 1940, alors que les Allemands avaient promis la paix à la population en occupant la Gironde, il est interpellé pour avoir critiqué en public le défilé de soldats nazis dans les rues de Bordeaux. Il est jugé le 25 août et condamné à mort pour « injures et voies de faits » contre l’armée allemande. Il est fusillé le 27 août. C’est le premier fusillé de Souge et le premier fusillé sous l’Occupation en France.
L’exécution de Israël Leizer-Karp aura son affichette dans les rues et les places publiques. Le ton est donné par la Wehrmacht qui sème la terreur sans ménagement. Le 24 octobre 1940, la liste sera bien plus longue : 50 résistants sont fusillés le jour même en représailles à l’assassinat du conseiller militaire Hans Reimers à Bordeaux.
« Les nazis ont décrété que pour un Allemand tué, 50 résistants seront fusillés. Quand il en manquait, il fallait trouver d’autres “fusillables” ailleurs. Beaucoup de Girondins sont par exemple morts pour des actes de résistances dans la région parisienne », précise Jean Lavie.
Des familles de résistants
Derrière chaque nom inscrit, un acte héroïque. Les destinées se succèdent et ne se ressemblent pas. Le 21 septembre 1942, le père et le fils de la famille Jacob sont fusillés. Tout comme le père et le fils Guillon. « Généralement, la famille toute entière s’engageait dans la résistance… » Les frères Castéra connaitront également le même sort, et leurs épouses, déportées, ne sont jamais revenues. Ces derniers donneront leur nom à une rue de Bègles, la rue des Quatre Castéra.
Eugène Lisiack, commandant du réseau Centurie en Charente-Maritime, une des composantes du mouvement rochelais Honneur et Patrie, est sur un panneau des fusillés de Souge. Sa petite-fille est présente pour évoquer sa mémoire :
« Eugène Lisiack est arrêté le 15 septembre à La Rochelle. Dans la nuit, son fils Paul, mon père, réussit à détruire des documents compromettants. D’abord torturé par la Gestapo à la prison de Lafond, il est transféré au fort du Hâ à Bordeaux. Jugé par le tribunal militaire allemand de La Rochelle transféré à Bordeaux, il est condamné à mort et fusillé avec 19 de ses compagnons le 11 janvier 1944 à Souge. »
Début août, alors que la libération est en cours, la confusion règne au camp de Souge. Un ordre est donné de fusiller 48 détenus, sans que le commanditaire ne soit identifié. La mairie de Martignas enregistre tous les décès le 29 juillet, les exécutions ne sont faites que le 1er août. Ce seront les dernières. Un panneau est également consacré au résistantes, déportées « parce que les Allemands ne reconnaissaient pas leurs actions pour les fusiller ».
80e anniversaire
Pour commémorer le 80e anniversaire des fusillades de 1944, une cérémonie se déroulera le dimanche 27 octobre à 15 h (penser au changement d’heure qui interviendra la nuit précédente). Parallèlement, les Archives départementales de la Gironde accueillent deux expositions : Le camp d’internement de Mérignac (1940-1944), du 14 octobre 2024 au 27 juin 2025, et la rétrospective Les 256 de Souge, du 14 au 24 octobre 2024.
« L’une a été conçue l’année dernière par les archives communales de Mérignac, qui se basent en grande partie sur nos fonds, l’autre se focalise sur les fusillés de Souge, créée par le Comité du Souvenir des Fusillés de Souge », précise Cyril Olivier, docteur en Histoire et coordinateur des recherches et des expositions aux Archives départementales de la Gironde.
Parmi le large éventail de documents historiques visibles sur les panneaux de l’exposition, les Archives départementales ont notamment apporté des documents originaux issus de leurs fonds :
« On retrouve donc des numérisations qui sont accessibles depuis les bornes tactiles, mais aussi des registres du camp d’internement de Mérignac, ainsi qu’une mini exposition en deux vitrines avec des documents originaux afin de pour montrer différents aspects des fusillades de Souge », poursuit Cyril Olivier.
« Les 256 de Souge »
Durant l’exposition, accessible gratuitement du lundi au vendredi (9h-17h) et certains week-end jusqu’au 27 juin 2025, les Archives départementales proposent des visites guidées et des événements annexes.
« Ici, on aborde le sujet surtout par des histoires individuelles. L’idée, à travers quelques documents d’archives, est dans un premier temps de montrer quelles étaient les modalités d’arrestation des personnes qui allaient être fusillées », poursuit Cyril Olivier.
Des échanges internes entre les autorités aux documents témoignant du désarroi et de la douleur des familles des fusillés, cette rétrospective retrace les épisodes tragiques survenus au camp de Souge entre 1940 et 1944, où des centaines d’otages français furent exécutés au cours de fusillades massives. Au cœur de l’exposition, trône un trombinoscope pour « redonner un visage » à chacune des victimes de l’occupant nazi.
Accessible jusqu’au 24 octobre 2024 aux Archives départementales de la Gironde, au 72, Cours Balguerie-Stuttenberg à Bordeaux.
« Le camp d’internement de Mérignac 1940-1944 »
Construit par les Américains durant la Première Guerre mondiale, l’ancienne blanchisserie qui deviendra le camp d’internement de Mérignac est placé sous l’autorité de la préfecture de la Gironde durant l’Occupation, entre 1940 et 1944. Dans ce centre de rétention, les populations nomades sont internées dès l’automne 1940, suivies par les « indésirables de Vichy » à partir de mars 1941 (internés politiques et de droits communs, étrangers et juifs).
L’exposition dédiée au camp d’internement de Mérignac situe ce lieu dans un contexte national et local très particulier – Bordeaux et les communes alentours se trouvent en zone occupée et interdite par les autorités allemandes – et articule son parcours autour de la reconstitution d’un baraquement du camp, confectionné par des menuisiers de la municipalité mérignacaise.
« Lorsque l’on promulgue un règlement sur les indésirables à la fin de la Troisième République, ce texte, élargi sous Vichy, touche une grande partie de la population qui s’y retrouve internée administrativement. Principalement à Mérignac, mais il y a d’autres petits camps selon l’objet : vers Captieux pour couper du bois, à la caserne Niel pour amener les ouvriers vers la base sous-marine… Il pouvait y avoir aussi des camps nomades, déplacés en fonction des besoins », détaille Cyril Olivier.
Plans, cartes, registres des autorités préfectorales, photographies du camp et de ses internés… Nombre de documents permettent de rendre compte de l’histoire de ce camps à double vocation : internement de détenus étrangers d’un coté et politiques de l’autre, femmes et enfants compris. Les portraits et visages, petits bouts de vie ou lettres griffonnées avant le peloton d’exécution défilent d’un panneau à l’autre, remettant la dimension humaine au centre de cette fresque historique.
Accessible jusqu’au 27 juin 2025 aux Archives départementales de la Gironde, au 72, Cours Balguerie-Stuttenberg à Bordeaux.
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