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« Après Charlie, on a échoué à faire prévaloir les valeurs de la démocratie »

10 ans après l’attentat contre Charlie Hebdo et les manifestations « Je suis Charlie » pour défendre la liberté d’expression, Jean-Claude Guicheney, délégué régional Aquitaine de la Ligue des droits de l’Homme, déplore le manque de travail politique qui « aurait dû être mené en profondeur » pour éviter le sentiment d’insécurité et le repli.

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« Après Charlie, on a échoué à faire prévaloir les valeurs de la démocratie »
Hommage à Charlie par Bast

Le 7 janvier 2015, une attaque terroriste islamiste a été perpétrée contre le journal satirique Charlie Hebdo à Paris, connu pour son mordant contre les religions. Douze personnes sont assassinées, dont huit membres de la rédaction.

Le lendemain, des manifestations de soutien ont lieu dans de nombreuses villes de France et dans le monde sous la bannière « Je suis Charlie » pour défendre la liberté d’expression. Que reste-t-il, dix ans plus tard de ce sursaut démocratique ? Entretien avec Jean-Claude Guicheney, délégué régional Aquitaine de la Ligue des droits de l’Homme.

« Une confirmation de fracture »

Rue89 Bordeaux : Que reste-t-il de la mobilisation des Français après l’attentat contre la rédaction de Charlie ?

Jean-Claude Guicheney : Hélas, je pense que tout ce pourquoi on s’était battu autour de Charlie, s’est en partie estompé et érodé. On aurait pu penser que ce formidable élan laissait entrevoir l’espoir d’une réconciliation générale pour défendre des valeurs qui nous paraissaient essentielles. Depuis dix ans, c’est l’inverse : on est plus dans une confirmation de fracture et de recours à des formes de radicalité et de violence, dans les propos et dans les actes.

Comment l’expliquer ?

Force est de constater qu’on arrive à un recul des sociétés démocratiques. Des gouvernements autoritaires se mettent en place, y compris dans ce qu’on pensait être des modèles de démocratie. D’une certaine manière, on a échoué à faire prévaloir ces valeurs démocratiques.

Or si on doit effectivement faire humanité demain, il faut des valeurs d’unité et de solidarité. Encore faut-il pouvoir effectivement mettre les politiques en phase avec ces valeurs, et on voit bien que ce n’est hélas pas toujours le cas.

La liberté d’expression fait-elle partie de ces valeurs menacées ?

L’attaque contre Charlie est une attaque contre la liberté d’expression en tant que marqueur des sociétés démocratiques. Ce n’était pas un hasard. 10 ans plus tard, on est pris dans une logique où on ne peut quasiment plus s’exprimer. Il n’y a plus de nuances. Si on n’a pas un discours blanc ou noir, on est suspect. Et pas seulement sur la question du religieux comme c’était le cas avec Charlie, mais sur bien d’autres questions. Il y a quelques jours, une dessinatrice a démissionné du Washington Post pour une caricature refusée, non pas sur une autorité religieuse, mais sur une autorité économique [Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, NDLR].

Repli et insécurité

La dimension du problème est donc internationale ?

« Je suis Charlie » est un mouvement qui s’est exprimé en France, par rapport à ce qui s’était passé en France, et au nom des valeurs sur lesquelles la France a coutume de se positionner. Mais les événements ont eu une portée internationale incontestable. Un certain nombre de leaders internationaux étaient ainsi venus à Paris pour défiler auprès des dirigeants de l’époque, en raison de l’atteinte aux valeurs démocratiques internationales.

Il n’empêche qu’au lendemain des événements, il y a eu un sentiment de repli et d’insécurité. Ce qui a poussé la Ligue des Droits de l’Homme à consacrer en 2024 un congrès à Bordeaux sur la question démocratique en difficulté.

Mais d’où vient la faillite ?

C’est une faillite collective. Après Charlie, il y a eu d’autres attentats, qui ont traumatisé les gens. Les discours de guerre ont été à plusieurs reprises employés par nos dirigeants. Un climat de peur s’est installé. On n’a pas réussi à surpasser ça. D’où la tentation de recours à des régimes plus ou moins autoritaires ou à des politiques plus ou moins identitaires ou conservatrices, qui jouent sur l’insécurité et la peur de l’autre.

D’autant que l’insécurité économique touche beaucoup de familles aujourd’hui en France. 35 à 40% vivent avec la peur de la fin du mois. On est dans une situation d’essoufflement d’un système et les forces politiques aujourd’hui ont du mal à construire une alternative.

« Une crise démocratique »

Pourquoi ?

Le travail qui a été fait après Charlie n’a pas été mené en profondeur. Parmi ceux qui ont commis cet attentat, la plupart vivaient sur notre territoire. Comment se fait-il qu’ils en soient venus à ça ? Comment se fait-il que plusieurs jeunes Français soient partis militer auprès de l’État islamique, prendre les armes, etc. ?

Il y a encore un énorme travail à faire, notamment sur un modèle social le plus épanouissant possible. Qu’est-ce qu’on propose aux personnes pour qu’elles se sentent effectivement reconnues et partie prenante d’une société ? Dans le discours porté par les politiques, la confiance n’y est plus. Il y a un travail de fourmi à faire, qui doit commencer à l’échelle de vie de chaque personne.


#Charlie Hebdo

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