Un texte pour exclure les associations des CRA et une visite pour constater la réalité du terrain : deux motifs qui poussent la sénatrice écologiste à visiter le CRA de Bordeaux, situé dans les sous-sols de l’Hôtel de police à Mériadeck. C’est un droit dont disposent les parlementaires sur les lieux de privation de liberté, sans autorisation préalable, ainsi que leurs invités. Mais pour les journalistes, notamment de Rue89 Bordeaux, la visite a failli s’arrêter à l’accueil de l’Hôtel de police.
« Ils ne voulaient pas que la presse vienne », rapporte la sénatrice, qui a dû faire pression pour remédier à la situation.
Médecins, avocats, magistrats… nombreux sont ceux qui dénoncent les « conditions d’enfermement inadmissibles » dans le plus petit centre de rétention administrative de France. Sur un tableau, un tract du syndicat d’extrême droite Alliance soutient la proposition de loi des Républicains critiquée par Monique de Marco ; une « mesure de bon sens » destinée à mettre fin « à la systématisation des recours en contentieux, trop souvent orchestrée par certaines associations ».
Une dégradations des lieux, des profils plus jeunes
Il faut franchir plusieurs portes sécurisées pour accéder aux locaux. Tous les retenus du CRA de Mériadeck sont sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) et attendent l’issue de leur recours. Le centre, qui occupe environ 320 m2, reste sous le contrôle du juge des libertés et de la détention (JLD). « Ici, on a 20 places, elles sont toutes prises en permanence », rapporte un agent de police, exclusivement par des hommes.
Des tables, une télé allumée en continu, et des va-et-vient pour aller fumer une cigarette. « C’est dégueulasse ici », déplore un jeune homme dans la salle commune aux murs noircis. Un avis partagé par l’ensemble de ses compagnons : la situation s’est « détériorée », constate la sénatrice, depuis sa dernière venue en 2021 où elle avait noté un remplissage de « 10 à 15 personnes maximum » avec des profils « moins jeunes qu’aujourd’hui, qui ont entre 20 et 25 ans ».
« Certains sont placés sous OQTF à 18 ans et un jour » pointe Cécile Roubeix, accompagnatrice juridique et responsable au CRA de Mériadeck.
Tension
Au centre, une cour intérieure étriquée est proposée pour la promenade. Avec les quelques sièges disposés le long du mur, brièvement éclairés par la lumière du jour selon l’heure, c’est l’unique ouverture vers l’extérieur. Juste au-dessus, la salle de repos des policiers donne directement sur l’espace.
« Ce lieu donne une impression d’enfermement, non seulement pour les personnes retenues, mais aussi pour le personnel qui travaille dans ces locaux, dans une forme de tension », souligne Monique de Marco.
La parlementaire s’alarme aussi de l’état général des locaux, qu’elle juge « extrêmement dégradés ». Les murs, entre deux portes, sont extrêmement abîmés, couverts de taches et de graffitis. Par endroits, le sol disparaît sous une épaisse couche de crasse. « Regardez comme c’est sale », lance un jeune homme en désignant l’un des emplacements équipés d’un téléphone fixe. Face à ces constats, un agent de police précise que la dernière réfection remonte à quatorze mois, « pour ne pas créer de montée en tension à chaque intervention ».
Une violence omniprésente
Un infirmier est présent chaque jour au centre, un médecin y passe une fois par semaine, et un psychologue, l’espace d’une demi-journée. La prise en charge médicale y serait « terrible », notamment pour les cas psychiatriques précise un policier. Vient s’ajouter la problématique des addictions : certaines personnes retenues refuseraient les traitements de substitutions prescrits par les médecins, car ils ne correspondraient pas à la molécule à laquelle ils sont habitués. Devant la porte de l’infirmerie, difficile de s’assurer du respect du secret médical tant les couloirs sont exigus.
La chambre d’isolement, marqué par de nombreux coups sur la porte et les murs, témoigne d’une certaine violence. Celui qui y passe peut rester jusqu’à 24 heures en cas de crise. La veille de notre visite, une altercation a éclaté entre deux retenus.
« En ce moment, on a cinq personnes dans des situations psychiatriques assez graves », précise un agent de police.
Dans ce lieu fermé, la relation entre les personnels policier et médical, ainsi que les équipes de ménage et les associations comme la Cimade est fragile. Selon une policière, il s’agit d’un « jeu d’équilibre » pour préserver une situation « la plus saine possible pour tout le monde ».
Alerte sur les conditions de rétention
Informer les personnes retenues de leurs droits, les aider à constituer leurs dossiers juridiques, les assister lors des audiences ou des entretiens administratifs… C’est le rôle assuré par des structures comme la Cimade, France Terre d’Asile ou la Ligue des droits de l’homme. Au CRA de Mériadeck, cette mission est notamment confiée à Cécile Roubeix, accompagnatrice juridique et responsable de l’association.
Celle-ci dénonce les « examens bâclés » de la préfecture de la Gironde et les « décisions assez stéréotypées sur les personnes » :
« On insiste vraiment sur la situation personnelle et individuelle de chaque personne. Si elle a une vie privée ou familiale en France, par exemple une conjoint(e) français(e) : c’est ce qui peut nous permettre de contester une OQTF. Même si aujourd’hui, la garantie de ne plus être expulsé n’existe plus forcément. »
Avec l’adoption de la loi du 26 janvier 2024 sur l’immigration, plusieurs catégories de personnes auparavant dites « protégées », comme les parents d’enfants français ou les conjoints de Français, peuvent désormais faire l’objet d’une mesure de rétention. Un homme, père d’un enfant espagnol et conjoint d’une ressortissante européenne, passé par le CRA bordelais a vu son OQTF annulée par le tribunal administratif. Il est cependant resté enfermé une nuit supplémentaire, faute de notification par l’administration. Une situation qualifiée de « détention arbitraire » par l’association.
Des rétentions à rallonge
Autre conséquence de la loi dite « Darmanin », qui produit déjà ses effets en Gironde et au CRA de Mériadeck : l’augmentation de la durée moyenne de rétention, passée de 28 jours à Bordeaux à près de 41 jours depuis le mois de janvier 2025, favorise les expulsions car « près de 80% ont lieu avant 45 jours ». La Cimade fustige également la prolongation systématique à 90 jours, et s’inquiète de la volonté du ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, de prolonger la durée à 180, voire 210 jours dans certains cas.
Des contrôles de police effectués dans des bus de transport à moindre coût (FlixBus, Blablacar) sont de plus en plus fréquents. « Les personnes sont plus facilement expulsables, car elles ont un passeport sur elles », souligne La Cimade, évoquant le cas d’un ressortissant sénégalais, expulsé vers son pays depuis le CRA de Bordeaux après un contrôle dans un FlixBus à Saintes.
Cette situation inquiète la sénatrice qui fait état d’une opération de contrôle à la frontière franco-espagnole et dans l’ensemble de la région Nouvelle-Aquitaine, menée cette semaine sur décision préfectorale. 74 personnes en situation irrégulière ont été contrôlées et 32 placées sous OQTF. 5 ont été arrêtées alors qu’elles effectuaient un voyage Lisbonne-Paris.
« Méga CRA »
Le Sénat a adopté lundi 12 mai la proposition de loi qui entend mettre fin à plus de 40 ans de présence associative dans les Centres de Rétention, au profit de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Elle doit maintenant être examinée par l’Assemblée nationale. Si elle est adoptée en l’état, la loi sera promulguée et entrera en vigueur à une date fixée par décret, au plus tard trois mois après sa publication.
« Le groupe écologiste est intervenu pour demander des précisions sur le coût de ce projet. Au-delà du changement de mission et de l’éviction des associations, nous voulions savoir si une évaluation budgétaire sérieuse avait été menée. La commission des finances a été réunie en urgence, affirmant que le projet était ou serait budgété », relate la sénatrice.
À Mérignac près de Bordeaux, la construction d’un « Méga CRA » est en cours pour une mise en service prévue au premier semestre 2026 – l’avenir du CRA de Mériadeck est quant à lui « en cours d’arbitrage » indique la préfecture de la Gironde. Les associations s’inquiètent déjà de ses conditions de rétention, comme d’un « accès réduit » pour les intervenants. Prévu pour 140 personnes, ce lieu de privation de liberté, ultra-sécurisé, « va devenir d’une certaine façon une prison », prévient Monique de Marco.
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