Le 24 mars dernier en fin de soirée, Samuel Clauzier, journaliste de la rédaction de Rue89 Bordeaux, rentre chez lui. Alors qu’il remonte le cours d’Albret, il voit cinq individus arracher des autocollants. S’approchant pour constater lesquels étaient visés, il constate qu’il s’agit de messages féministes et antifas.
Il se fait aussitôt interpeller par les membres du groupe, qui le questionnent immédiatement sur son appartenance politique, et insistent pour fouiller son téléphone et ses messageries. Samuel refuse, se défend, avant que l’un de ses agresseurs ne lui assène un coup de poing à l’arcade, lui faisant perdre connaissance quelques secondes.
Deux jours d’ITT
Rentré chez lui, il appelle SOS Médecin. On lui administre 4 points de suture et deux jours d’ITT (interruption totale de travail). Le lendemain, Samuel porte plainte contre X.
Bon connaisseur des milieux d’extrême droite bordelaise, il pense avoir reconnu un de ses agresseurs, membre du groupuscule identitaire La Bastide Bordelaise, et porte une nouvelle plainte le désignant. Le parquet de Bordeaux a été saisi de l’affaire le 14 mai. Une enquête confiée à la DIPN 33 a été ouverte des chefs de violences en réunion.
Si notre journaliste, qui n’était pas en reportage, n’a pas été ciblé en raison de ses activités professionnelles, les faits s’inscrivent dans une tension croissante depuis plusieurs mois à Bordeaux entre des militants d’extrême droite et celles et ceux qu’ils désignent comme leurs adversaires. Les premiers n’hésitent pas à recourir à l’intimidation et, de plus en plus, à la violence physique.
Série noire
L’université de Bordeaux Montaigne a récemment été le théâtre de plusieurs graves dérapages. Après l’intrusion d’un vingtaine de personnes cagoulées et armées de barres de fer lors d’une conférence donnée par des députés LFI en 2022 – la même année de leur descente dans le quartier Saint-Michel –, le mouvement des étudiants contre l’austérité a depuis la rentrée 2024 donné lieu à de nombreuses incursions.
Aux inscriptions de tags nationalistes ou xénophobes et aux distributions répétées de tracts ont succédé les agressions verbales ou physiques. En décembre, un étudiant membre de l’Union nationale des étudiants de France (Unef) est pris à partie en marge d’une assemblée générale contre l’extrême droite au cours de laquelle la création d’un comité d’action antifasciste a justement été actée.
Le jeune homme se fait interpeller par Yanis Iva, membre fondateur de La Bastide Bordelaise : ce dernier le traite de « sale pédé » avant que ses quatre autres collègues n’enchainent sur d’autres insultes. Le lendemain, il déposait plainte contre son agresseur pour « injures à caractère homophobe ».
« J’ai été convoqué par la police ensuite pour identifier mon agresseur parmi des photos de suspects. Le policier m’a annoncé qu’il allait être convoqué », rapporte aujourd’hui l’étudiant.
Des plaintes sans suites
En janvier, une poignée de membres du même groupuscule tente une nouvelle fois de s’aventurer sur le campus de Pessac, et sont chassés par une soixantaine d’étudiants du comité d’action antifasciste. L’Université Bordeaux Montaigne porte plainte contre cette intrusion, rappelant la position adoptée par la direction lors du conseil d’administration du 6 décembre 2024, interdisant strictement la présence sur le campus d’individus ni étudiants ni inscrits.
A Rue89 Bordeaux, l’établissement indique « ne pas avoir été informée de l’avancement » de cette plainte, ce qui signifie « que le processus n’est pas terminé ».
En février, lors des actions d’occupation des bâtiments de la fac, un militant des Jeunes Insoumis est roué de coups sur le campus, non loin de Sciences Po Bordeaux. Il dépose plainte quelques jours plus tard et n’a depuis aucune nouvelle sur l’ouverture d’une enquête.
Le 15 avril 2024, deux jeunes avaient été violemment agressés en fin de soirée devant un pub bordelais pour avoir décollé des stickers appelant à la « remigration » (expulsion des étrangers) et s’opposant à « la tyrannie woke ». La plainte pour violences en réunion a donné lieu a un classement sans suite pour « auteur inconnu » le 31 juillet dernier, nous apprend Maître Bruno Bouyer, l’avocat des deux victimes.
Pas de dissolution en vue
Suite à ces agressions, les députés girondins Insoumis Mathilde Feld et Loïc Prud’homme ont appelé le préfet Etienne Guyot à prendre toutes les mesures en son pouvoir « pour mettre fin aux violences d’extrême droite » dans le département, suggérant par la même occasion la dissolution de ces « groupuscules violents, notamment La Bastide bordelaise ».
À cette interpellation, la préfecture préfère pour l’instant botter en touche, indiquant que ces procédures ne « dépendent pas de [ses services] et relèvent du ministère de l’Intérieur ». Elle assure tout de même qu’une réponse sera apportée aux parlementaires en temps voulu.
Pour l’heure, La Bastide bordelaise ne figure donc pas parmi les mouvements dans le collimateur de Bruno Retailleau. Le ministre de l’Intérieur a lancé la dissolution du groupuscule d’extrême droite Lyon populaire, mais le candidat en campagne pour la présidence du parti Les Républicains s’est surtout exprimé sur les procédures engagées contre la Jeune Garde antifasciste et Urgence Palestine.
Les mouvements locaux d’extrême droite ne cachent pourtant plus leur intentions nauséabondes. Rappelons que La Bastide Bordelaise est un groupuscule fondé sur les cendres de Bordeaux Nationaliste, un groupe dissout en février 2023 par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Gérald Darmanin. Les membres sont les mêmes, ils utilisent le même local à Bègles, comme en témoigne 20 Minutes en avril 2023.
Des fachos made in Bordeaux
Les militants d’extrême droite ne font plus mystère de leurs intentions haineuses, même sur le terrain politique où Yanis Iva s’est aventuré en se portant candidat aux élections législatives sur la 2e circonscription de la Gironde. Le discours « extrêmement inquiétant » du leader identitaire a été souligné par ses opposants ; son slogan de campagne était : « Donnons une bonne droite à la gauche ».
Les militants girondins de son groupuscule ont pris part au Comité du 9 mai (C9M), un défilé néonazi digne de la propagande des Jeunesses hitlériennes. Organisé chaque année dans les rues de Paris, il vise à rendre hommage à Sébastien Deyzieu, un militant d’extrême droite décédé en 1994 alors qu’il tentait d’échapper à la police lors d’une manifestation interdite. Libération a filmé certains de ces manifestants faisant des saluts nazis sur les lieux de la mort du jeune homme.
Des figures politiques bordelaises font aussi les frais de tentatives d’intimidation. Outre la permanence du député insoumis Loïc Prud’homme ou le local du PCF vandalisés en 2023 par le groupuscule Action Directe Identitaire, c’est Philippe Poutou qui s’est retrouvé nez à nez avec des militants du RN dans un train au retour de Narbonne le 1er mai dernier.
Ces derniers rentraient du meeting de Marine Le Pen et Jordan Bardella organisé le jour même, n’ont pas hésité à faire sentir leur présence au conseiller municipal bordelais. À l’arrivée en gare de Bordeaux, la SNCF a dépêché la police ferroviaire pour assurer la sécurité de ce dernier.
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