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« Ils cherchent à manger, du frais, qu’on les écoute » : pendant la canicule, Bordeaux se mobilise pour les sans-abri

Alors que l’Hexagone est touché cette semaine par un nouvel épisode de canicule, la Ville de Bordeaux a fait du Centre Jean Moulin un lieu d’accueil d’urgence pour les sans-abri. Ce public, particulièrement exposés aux fortes chaleurs, peut venir s’y rafraîchir et se reposer.

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« Ils cherchent à manger, du frais, qu’on les écoute » : pendant la canicule, Bordeaux se mobilise pour les sans-abri
Le Centre Jean Moulin est ouvert aux sans-abri en période d’alerte rouge et orange, de 13h à 22h.

Bordeaux suffoque. Omar en est le premier témoin. « La chaleur c’est difficile à vivre », soupire le jeune homme de 28 ans, arrivé en ville il y a deux mois et contraint de vivre à la rue depuis. Alors quand « la dame du 115 » lui a parlé du Centre Jean Moulin, il n’a pas hésité une seule seconde avant de s’y rendre ce mardi après-midi.

Car la France subit depuis vendredi dernier « sa 51eme vague de chaleur depuis 1947″ rapporte Météo-France. Avec 41,6°C au compteur à 14h ce lundi, Bordeaux a battu son précédent record de chaleur de 41,2 °C atteint en juillet 2019. Déclenchée le même jour, l’alerte rouge canicule reste active jusqu’à ce mercredi matin 6h, avant de repasser à l’orange.

Alors depuis le 9 août, le rez-de-chaussée du centre de documentation consacré à la Seconde Guerre mondiale, d’ordinaire fermé au public pour cause de travaux, s’est transformé en halte répit pour les sans-abri. Il y sont accueillis de 13h à 22h par des bénévoles de la réserve citoyenne métropolitaine et de la Croix Rouge. L’information circule au cours des maraudes assurées par des associations bordelaises ou via le bouche à oreille.

Repas et repos

Le lieu reste sommaire, plongé dans la pénombre, mais fait des heureux. Quelques lits de camp sont installés dans le hall, en face de l’entrée. Sur la gauche, un petit espace restauration avec un micro-onde, une machine à café, des bouteilles d’eau ; le nécessaire pour s’hydrater et déguster un repas chaud ou froid. Il en sera ainsi jusqu’à que l’alerte canicule repasse au jaune.

« Les gens qui viennent ici ont accès à tous les autres lieux publics [parcs, bibliothèques, etc.], mais par définition ils sont à la rue et peuvent donc être partout dans la ville ; avoir un lieu central comme celui-ci, où ils savent qu’ils peuvent venir tous les après-midi c’est important », confie Stéphane Pfeiffer, adjoint au maire de Bordeaux chargé du service public du logement et de l’habitat.

L’élu s’est rendu sur place ce 12 août. Omar en a profité pour l’interpeller. Ce soir-là, il retournera une fois de plus dormir dans un camion qui n’est même pas le sien, à Bordeaux Nord. Le jeune homme est à bout, écrasé par la chaleur et désabusé par des semaines d’errance.

« J’ai envie de travailler mais je n’ai pas de logement. Je vous donne ma parole que si j’ai un logement, je travaillerai », glisse-t-il à Stéphane Pfeiffer

Valérie et Serge font partie de la réserve citoyenne métropolitaine Photo : MB/Rue89 Bordeaux

2052 places d’hébergement

Ce dernier note son numéro de dossier social, lui promet de jeter un œil sans pour autant garantir le miracle. Car « l’hébergement des personnes dans la rue, c’est la compétence de l’Etat » :

« On a une politique qu’on met en place depuis 5 ans pour essayer de trouver toutes les solutions, on a par exemple mobilisé le patrimoine municipal et on a pu loger près de 200 personnes. […] On fait quand même plus que l’État, qui a une réponse largement insuffisante, donc on prend sur nous et on le fait parce que c’est normal. »

La veille, lors d’une conférence de presse assurée le préfet de la Gironde, comme pour corroborer les dires de Stéphane Pfeiffer, aucune mention n’avait été faite des sans-abri. Joints par Rue89 Bordeaux, les services de la préfecture assurent pourtant que « ce second épisode de canicule a été anticipé par les services de l’Etat ».

Ainsi, l’accueil 24h/24 est garanti dans tous les centres d’hébergement d’urgence et les horaires des accueils de jour de la Halte33 à Bordeaux et du Lien à Libourne ont été étendus. Le tout, couplé à « l’ouverture progressive de 23 places d’accueil exceptionnelles canicule », équivaut selon la préfecture à 2052 places d’hébergement généraliste ouvertes au sein du département.

Des échanges

Pour ce qui est du centre Jean Moulin, depuis la mise en place du dispositif, ils sont une quarantaine à s’y être réfugié, essentiellement des hommes. À titre de comparaison, la dernière Nuit de la solidarité a recensé 761 personnes sans-abri.

« Ils cherchent du frais, à manger, qu’on les écoute, témoigne Valérie, une ancienne cadre de chez Orange aujourd’hui bénévole à la réserve métropolitaine. Dimanche après-midi, une petite jeune de la protection civile a passé quatre heures à jouer au Baccalauréat avec deux sans-abri ; elle a commencé puis j’ai pris le relais et on a bien rigolé. C’est ça qu’ils cherchent, des échanges. »

La bénévole va rester avec son coéquipier du jour, Serge, jusqu’à 17h, avant qu’un autre binôme ne prenne le relais. Tous deux, comme l’ensemble des membres de la réserve citoyenne de Bordeaux Métropole, ont été formés aux gestes de premiers secours ainsi qu’à l’attitude à adopter pour aborder et venir en aide aux personnes en situation de précarité.

Quand ils ne sont pas affectés au Centre Jean Moulin, Valérie et Serge effectuent d’autres missions : ils aident à distribuer de l’eau dans les Ehpad, passent des appels aux personnes âgées isolées, les conduisent dans des échoppes séniors ou bien font du portage de repas à domicile.

De la solidarité et des solidouches

Pour compléter le service, la Mairie de Bordeaux a choisi de faire appel à une compétence particulière de la Croix Rouge girondine. Alors à 18h, c’est un convoi d’un autre genre qui fait son arrivée sur la place Pey Berland : des bénévoles de l’association humanitaire s’affairent, font les branchements nécessaires pour l’arrivée d’eau et mettent en service leur camion douche, un prototype unique en France.

Les deux douches se trouvent à l’arrière du véhicule Photo : MB/Rue89 Bordeaux

« On a deux douches et on leur prête une serviette, un gel douche et un shampoing. On fournit également ce qu’on appelle de l’hygiène en vrac, donc s’ils ont besoin de rasoirs, de dentifrice, de tampons, on a un petit stock », énumère Philippe, bénévole à la Croix Rouge.

Si en temps normal une équipe sort le camion trois fois par semaine – le mardi à Sainte-Eulalie, le jeudi et le dimanche place André Meunier à Bordeaux –, ils sont depuis le 9 août présents tous les jours entre la Mairie et la Cathédrale Saint André. Les horaires varient selon les disponibilités des bénévoles : le camion arrive vers 13h, ou bien exceptionnellement à 18h comme ce mardi, et ne repart qu’à 22h.

Les bénévoles de la Croix Rouge voient passer en moyenne une dizaine de personnes. Ce moment est aussi l’occasion, tout comme au Centre Jean Moulin, d’échanger avec les bénéficiaires, de faire « beaucoup d’écoute » :

« Si les bénéficiaires ont envie de raconter leur vie ou pas c’est eux qui décident, ajoute Philippe. C’est ce qu’on fait déjà dans les maraudes, on a du café, du thé et de l’eau fraîche, ça rend le moment plus humain parce qu’ils en ont besoin. »

L’association Bubble Box a implanté un dispositif similaire, un conteneur composé de trois douche, place de la République en partenariat avec la Ville de Bordeaux et plusieurs autres associations.


#canicule

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