« On était tellement attachés aux animaux que j’avais l’impression de les avoir abandonnés. À chaque fois, je me demandais qui était mort », rapporte une soigneuse animalière ayant démissionné.
Le site internet du parc animalier affiche pourtant fièrement ses ambitions : préserver les espèces, offrir un cadre « sécurisé » aux animaux, protéger la biodiversité. Le projet a été préféré en 2014 à celui de l’ancien directeur du zoo, Raphaël Dupin. Aujourd’hui, l’établissement se veut un zoo « pas comme les autres », où le bien-être animal est présenté comme une « priorité absolue », avec près de 250 animaux accueillis et plus de 100 000 visiteurs par an.
Mais cette façade masquerait ce qu’un collectif de salariés partis ou toujours en poste qualifie de véritable scandale humain et animal. Sur la cinquantaine de salariés du site, 23 d’entre eux, anciens employés du zoo entre 2015 et 2025, témoignent dans un épais dossier transmis à la presse de graves manquements dans la gestion du parc et de ses équipes.
« Nous dénonçons une logique commerciale, contraire au bien-être animal, source de maltraitance et de souffrances tant pour l’équipe que pour les animaux », dénoncent-ils dans un communiqué.
« Une prise de conscience »
Tous pointent du doigt le gestionnaire actuel du zoo, Mathieu Dorval, directeur du site depuis 2015 et propriétaire depuis 2018. Le zoo fonctionne sous la forme d’une SAS (Société par Actions Simplifiée) depuis qu’en 2017 Dorval a conclu un accord avec la Ville de Pessac, qui a racheté le terrain en viager.
Le collectif a choisi de mettre l’accent sur les cas de maltraitance animale. Il entend susciter « une prise de conscience » : enclos inondés, animaux qui tombent malades faute de soin, employés en burn-out ou en arrêt maladie… Photos à l’appui, la liste dressée par les lanceurs d’alerte est aussi longue qu’édifiante.
Contactée par Rue89 Bordeaux, la direction réfute dans long mail envoyé à la rédaction l’ensemble des accusations portées à son encontre, qu’elle qualifie d’ « infondées » et issues d’un « communiqué anonyme sans preuves ». Elle affirme que « les décisions concernant les animaux sont prises collégialement par les soigneurs et les vétérinaires » et que « le parc respecte scrupuleusement les normes françaises en matière de sécurité, d’hygiène et de bien-être animal ».
Panne de congélateur
Le collectif anonyme relève, quant à lui, de nombreux incidents. Notamment en 2023, lorsque le congélateur destiné à stocker la viande pour les carnivores tombe en panne, « malgré de nombreuses alertes des employés ». Sa température de conservation « monte jusqu’à 13 degrés » et le personnel décide de jeter les « denrées les plus décongelées ». Le reste aurait été stocké dans le congélateur du snack, destiné aux produits du restaurant du zoo. Un nouvel appareil n’aurait « été commandé qu’en 2024 » :
« Nous avons dû tout de même donner à manger aux animaux avec cette nourriture décongelée puis recongelée, rendant certains animaux malades (surtout les tigres présentant de violentes diarrhées), témoigne une soigneuse animalière en poste au moment des faits. Dans ce même congélateur en panne, est resté un cadavre d’un animal du parc (cobe), qui a fini par se décomposer, laissant une odeur toxique et de jus de corps en décompositions dans la cuisine où l’on préparait quotidiennement les rations alimentaires des animaux. »
La direction du zoo conteste ces affirmations : selon elle, « aucun animal n’a jamais été malade en lien avec la nourriture ». Elle précise qu’ « une solution temporaire avait été mise en place pendant la panne du congélateur, le temps de recevoir un nouvel appareil », et que « le congélateur du snack avait été entièrement vidé de toute nourriture destinée aux visiteurs avant usage ».
L’autruche
Les ex-employés rapportent également une mise en danger des visiteurs du parc. En octobre 2024, un mâle autruche parvient à s’évader de son enclos et se lance à la poursuite d’une fillette de 6 ans, venue en visite avec sa mère et son frère de 2 ans. Sarra, la mère, souligne : « Il y aurait pu y avoir une conclusion tragique. Un coup de patte aurait été fatal à notre fille. » Sous le choc, la famille estime que le zoo a failli à ses obligations et a « décidé de porter plainte » rapporte BFM TV.
Selon les témoignages recueillis, cet incident aurait pu être évité :
« Les équipes avaient prévenu que l’enclos n’était pas adapté pour accueillir un jeune mâle en plus des deux femelles et que cela n’était pas sécurisé, rapporte un employé. Le mâle s’était d’ailleurs plusieurs fois échappé sans présence du public. L’échappée de la femelle aurait pu être évitée, comme tout d’ailleurs, si la direction n’avait pas pris des décisions contraire à celles préconisées. »
Des faits confirmés par une soigneuse, toujours sous couvert d’anonymat. Elle explique avoir dû attendre 2022 pour obtenir, avec deux collègues, le permis de chasse nécessaire pour être armée et intervenir en urgence.
La direction du zoo indique pour sa part que cette évasion est survenue « lors d’une phase de mise en contact planifiée et discutée collégialement en amont » et que « les protocoles de sécurité sont validés par les autorités compétentes ».
« Nous avons plusieurs personnes qui ont aujourd’hui l’autorisation d’utiliser le fusil, avec la détention du permis de chasse. Ce n’est pas une mesure obligatoire, mais c’est la décision de notre zoo. […] Dans notre parc, comme dans d’autres zoos, nous avons décidé d’avoir un fusil. Il ne nécessite pas d’entrainer l’ensemble des salariés du parc à tirer au fusil, puisqu’il s’agit d’une mesure de sécurité complémentaire » affirme la direction du zoo de Bordeaux-Pessac.
Des « accusations malveillantes »
D’anciennes salariées dénoncent, aussi, un management « toxique ». Le directeur, Mathieu Dorval, leur aurait touché les cheveux à plusieurs reprises sans consentement. Lors d’une fausse mise bas d’une femelle magot, « perdant beaucoup de sang et présentant des signes de grande souffrance », deux soigneuses demandent au directeur d’appeler un vétérinaire.
« Oh ça va, elle a mal au ventre comme vous, les femmes, avec vos règles tous les mois, donnez-lui un Spasfon, ça ira mieux », leur aurait-il répondu. Des accusations que le directeur juge « malveillantes et infondées ». Tout en indiquant les « réfuter fermement », il dit « étudier la possibilité de donner suite auprès des autorités compétentes ».
Selon les ex-employés, la surveillance était généralisée : « Il avait un accès permanent aux caméras grâce à un grand écran dans son bureau et nous espionnait quotidiennement en direct », rapporte une ancienne employée. Elle ajoute que des consignes étaient données par talkie-walkie dès qu’un geste n’était pas exécuté « de la bonne manière ».
Si un document avait bien été signé par le directeur et les employés, mentionnant les emplacements des caméras – une obligation légale –, « d’autres caméras auraient été installées sans que nous soyons informés de leur position, tenue secrète dans le parc », poursuit l’ex-employée. Une pratique illégale au regard du Code du travail et de la réglementation sur la protection de la vie privée, encadrée par la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL). Contactée, la commission ne fait état d’aucun saisine à ce jour.
Le zoo affirme de son côté que « le dispositif de caméras est conforme et contrôlé par les autorités compétentes ». Ces caméras auraient pour unique objectif « d’assurer la sécurité des animaux, du site et des zones sensibles », et « en aucun cas de surveiller les collaborateurs » :
« Comme dans tous les zoos, des caméras sont installées pour protéger notre site : entrées, sorties, accès stratégiques du parc. Comme dans toutes les entreprises, les zones de valeur où passent des liquidités, sont également surveillées. »
Punition collective
Les lanceurs d’alerte font part de menaces quant à leurs opinions politiques. « Si j’en vois un avec un gilet jaune sur le tableau de bord de sa voiture, il est viré sur-le-champ », aurait lancé le directeur à plusieurs salariés lors d’une pause déjeuner, en plein mouvement social. Des menaces elles aussi réprimées par le Code du travail, qui protège la liberté d’opinion et prohibe toute discrimination fondée sur les convictions politiques.
« Deux anciens employés, présents depuis longtemps et également opposés à M. Dorval, ont saisi les Prud’hommes. Notre but, c’est surtout d’alerter sur la situation : d’autres procédures pourront peut-être être déclenchées par d’anciens salariés ou par des associations de protection animale. Mais certains ont été tellement marqués qu’ils ne souhaitent plus témoigner. »
« Le climat de peur est tel que personne qui y travaille encore n’ose prendre la parole », confie l’une d’entre eux. Tous évoquent des humiliations répétées et des techniques de management destinées à dresser les uns contre les autres.
La direction réfute l’existence d’un management abusif ou discriminatoire. Elle estime que ces accusations « proviennent d’anciens salariés ayant nourri des griefs personnels », certains ayant été « remerciés pour manque de compétences ou problèmes d’attitude ». Elle affirme garantir « la liberté d’expression des salariés, dans un cadre respectueux et professionnel ».
L’un des épisodes les plus marquants reste celui des « punitions collectives ». Après qu’un véhicule du parc a été retrouvé rayé, le directeur aurait interdit à l’ensemble du personnel d’utiliser les véhicules techniques pour transporter de lourdes charges, « jusqu’à ce que le responsable se dénonce ». Une décision vécue comme « injuste » et « humiliante » par les employés, contraints de « porter à la main du matériel lourd sur plusieurs centaines de mètres ».
Pour la préfecture, rien à signaler
La préfecture de la Gironde rappelle que le Zoo de Bordeaux Pessac est « autorisé à présenter des animaux non domestiques et classé ICPE depuis le 13 février 1974 », avec un nouvel arrêté signé le 6 août 2024 après l’arrivée de nouvelles espèces et la modification des équipements.
« De par son activité, le site est classé à enjeux et est inspecté à minima tous les 3 ans pour en vérifier sa conformité aux arrêtés en vigueur auxquels les établissements de présentation d’animaux non domestiques doivent se conformer. Aucune des anomalies mentionnées dans les articles de presse n’ont été portées directement auprès du service d’inspection de la DDPP qui aurait alors diligenté un contrôle inopiné », précise la préfecture de la Gironde.
En Europe, les atteintes au bien‑être animal dans les zoos sont régulièrement documentées par des organismes indépendants. Dans un rapport publié pour l’année 2024, la fondation de conservation Aspinall indique avoir relevé plus de 3 000 manquements aux règles en vigueur concernant le traitement des animaux, lors de l’inspection « discrète » de 29 zoos membres de l’Association européenne des zoos et aquariums (EAZA) sur une période de 18 mois.
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