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Jean Guidoni, voix queer et dure à cuire de la chanson française, s’est éteint à Bordeaux

Jean Guidoni, voix singulière et engagée de la chanson française, est mort à 74 ans à Bordeaux, laissant derrière lui 50 ans de carrière et un héritage poétique et politique.

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Jean Guidoni, voix queer et dure à cuire de la chanson française, s’est éteint à Bordeaux
Jean Guidoni en concert au Bataclan en 1988

« Moi je marche dans les villes
Les banlieues les bidonvilles
Sur le pavé des ports
Et sur l’asphalte vil
Visitant le décor
Des amours difficiles »

La chanson s’élève encore comme un souffle enchanteur venu des quais et des ruelles pavées de Bordeaux. Certes, ce n’est pas ici que Jean Guidoni est né en 1951, mais bien sur la rade de Toulon, et c’est au bord de la Garonne, d’un port à l’autre, qu’il a choisi de s’installer, avant d’être emporté par une maladie foudroyante ce vendredi 21 novembre 2025.

« Le flâneur intrépide aux fantasmes sans nombre » : c’est peut-être ainsi qu’il faut commencer à parler du parcours de Jean Guidoni. Sa voix unique n’est plus, et la chanson française perd l’un de ses funambules les plus hardis.

« Peuples qui grondent »

Le chanteur, fils d’un père marin et élevé dans un milieu populaire, avait un don rare qui le rendait comparable à personne. Trop théâtral pour les uns, trop cru pour les autres, trop vrai pour beaucoup. C’est finalement dans ce trop-là que résidait sa force.

Sa rencontre avec le parolier et écrivain Pierre Philippe fut déterminante. Je marche dans les villes (1980) devint un coup de tonnerre : un album où déambulaient les corps et les nuits. Deux ans plus tard, Crime Passionnel, porté par la musique d’Astor Piazzolla, installait un tango contemporain dans la chanson française, sensuel, funèbre, incandescent.

Avec Le Bon Berger (1983), il faisait face à la montée du Front national. « Écoute donc la voix des peuples qui grondent / … Ces chaînes qui nous restent à briser », alertait-il dans Rouge (1983). Face à la brutalité du monde, il recherchait l’inspiration dans l’art, à l’instar de ses textes inspirés de tableaux d’Edward Hopper, Tramway, Terminus Nord (1987).

Sur scène, il était toujours porteur d’un message militant. Maquillage, travestissement, mise en scène, il transformait ses concerts en théâtre politique, où il incarnait les marginaux, les exclus, et leur donnait une voix forte. Le public venait chercher un combat délicat et intelligent.

« Maladie délicate »

Dans les décennies suivantes, Jean Guidoni poursuivit son œuvre avec constance mais sans concession. Avec ses albums conceptuels et ses collaborations littéraires, il fixait les failles humaines : chanter l’homosexualité, la violence des désirs, la société intéressée, les enfants de la migration. Là où peu d’artistes osaient s’y risquer, lui signait des actes politiques.

Sur La Pointe rouge (2007), il collabore avec Dominique A, Philippe Katerine, Jeanne Cherhal et Mathias Malzieu. Avant de chanter Jacques Prévert dans Etrange étrangers (2008) lui rendant un hommage sincère et audacieux décrit par lui comme « noir, engagé et dérisoire ». En avril 2025, Jean Guidoni laisse un dernier album d’une élégance rare : Eldorado(s), salué par la critique comme étant « majus­cule ».

Jean Guidoni aura redéfini ce que peut être un chanteur : non pas une figure lisse ou consensuelle, mais un interprète qui prend sur lui les fractures du monde pour en faire des poèmes critiques des nationalismes et défenseurs des opprimés. Il aura donné à la chanson une densité rare, un mélange de noirceur et de lumière qui ne ressemble qu’à lui.

Aujourd’hui, celui qui a chanté un magnifique J’ai peur (2024) laissera un vide dont la nature aura toujours horreur, évidemment incapable de le combler. Jean Guidoni s’est tu à l’âge de 74 ans.

« J’ai peur du cœur des pleurs de tout
La trouille les foies la pétoche
Des dents qui claquent et des genoux
Qui tremblent dans le fond des poches
J′ai peur de deux et deux font quatre
De n’importe quand n’importe où
De la maladie délicate
Qui plante ses crocs sur tes joues »


#musique

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