Au fond de l’impasse Charles-Péguy à Bordeaux, se trouve une maison pas comme les autres. Bien qu’elle épouse l’alignement de la voie et des façades voisines, elle abrite une étonnante œuvre patiemment conçue.
« Je me suis demandé dans quelle condition une maison peut être un livre », raconte Donatien Garnier. Et c’est par cette question que commence, pour ce poète et performeur bordelais, un long chemin de création, celui de La Maison Livre. Celle-ci fête son « aboutissement » par un programme de lectures et de performances qui démarre ce mercredi 12 jusqu’au 22 novembre.
Confinement
La réflexion est née il y a plus de dix ans, lors d’une discussion avec son ami architecte, Gwen Marien. « Je lui ai demandé de me trouver un chantier où je peux écrire un texte pour une maison, une maison avec une histoire, une maison de famille. » Mais le chantier n’a jamais eu lieu.
C’est en avril 2020, qu’un incendie donne enfin naissance à un projet, à un « objet convergent » comme le dit Donatien Garnier. Pendant le premier confinement, la propre maison du poète brûle. « Le lendemain de l’incendie, cet ami architecte m’appelle et propose de m’aider. » À partir de là, les travaux prennent une autre dimension : celle d’un espace ouvert, à la fois personnel et collectif.
« En travaillant sur les plans et sur sa rénovation, il m’a dit : tu pourrais faire un lieu pour inviter des artistes à travailler, à écrire ou créer. Tu pourrais t’étaler pour écrire, tu pourrais afficher ton travail sur les murs. »
Au même moment, Donatien Garnier fait face à un covid frustrateur. Il produit des textes courts, format « slogan », un par jour. En septembre 2020 naissent alors les Synapses : une publication quotidienne sur les réseaux sociaux – espaces d’expression investis par de nombreux artistes pendant le confinement –, « pas forcément dans un but de diffusion », mais comme un exercice de rigueur. « Une fois publié, j’y touche plus. »
Ephéméride
Puis vient le deuxième confinement : les artistes sont dits « non essentiels » et les lieux culturels sont fermés. Mais Donatien Garnier a un chantier chez lui.
« Alors je commence à inviter des artistes pour y intervenir. Et je réalise alors que je peux faire mes Synapses en version performative. Avant même que la maison soit finie, elle était déjà un lieu de création. »
Ce travail quotidien dure trois ans. Finalement, il s’arrête lui-même au bout du 1095e texte – « trois fois 365 » :
« J’ai compris que c’était un éphéméride parce que je le faisais tous les jours. Normalement la logique aurait été de s’arrêter à 365. J’étais tellement lancé, je trouvais ça tellement passionnant, c’était un laboratoire d’une création poétique, mon laboratoire quotidien. »
L’écriture déborde et couvre les murs d’une maison dont le chantier démarre en 2021 :
« Un dimanche, alors que j’étais sur le chantier, je réalise que mes Synapses peuvent habiller la maison. Je voyais les murs vides, je voyais en fait ce que je demandais à Gwen Marien depuis des mois était sous mes yeux. Je me dis donc ça va être là. »
Habiter un texte
Livrée en 2023, La Maison Livre est dévoilée ce mois de novembre à l’occasion des dix ans du collectif Poème en volume, cofondé par Donatien Garnier. Les Synapses sont publiées pour l’occasion sous la forme d’un vrai éphéméride, « un livre où tu enlèves une page pour lire la suivante ».
« La maison est vidée de ses meubles et l’événement prend tout l’espace, de la cave au dressing. Il y a trois niveaux dans la maison qui vont accueillir chacun une année de mon éphéméride. Toutes les pièces sont jouées, vraiment jouer tous les espaces. »
« Qu’est-ce que ça fait d’habiter dans un texte ? », s’interroge le poète et « qu’est-ce que ça fait pour le visiteur de lire un texte avec son corps, puisque il doit monter les escaliers, lever la tête, la baisser par moments », c’est l’étape en cours de cette création. Lors de performances, certaines zones de la maison seront « ouvertes » : « casser le placoplatre pour lire le texte écrit sur les murs d’origine. »
Avec l’intervention d’artistes comme le batteur Didier Lasserre, le tromboniste et bruitiste Yves Favier, le compositeur György Kurtág Jr., la chanteuse Valérie Philippin, ou encore l’artiste-performeuse Emmanuelle Pépin…, La Maison Livre devient à la fois lieu de vie et de création, un texte habité, et un espace à lire et à traverser. Mais aussi un lieu de fête avec une soirée finale sous la houlette des dj de Total Heaven.
Jauge : 28 personnes – Réservation conseillée – Infos et tarifs sur ce lien


Chargement des commentaires…