A Moga (Bègles), il y a le stade, mais pas que. Quand on pousse la porte du 25 rue Delphin Loche, on croise des mines juvéniles sur des gabarits déjà costauds, des talents de demain qui se chambrent dans les couloirs et sur les terrains. Ne vous fiez pas aux apparences : si le centre de formation de l’Union Bordeaux-Bègles revêt des allures de colonie de vacances – sur ses 23 pensionnaires, certains logent sur place –, le rythme est soutenu pour atteindre le plus haut niveau.
Après l’entraînement, à peine leurs crampons rangés au vestiaire, direction la douche et la cantine, avant d’enchaîner sur des cours et autre formation. Avant les matches tous les week-ends, les semaines sont chargées. Pas toujours facile à gérer au début pour ces jeunes parfois tout juste sortis de leurs univers, de leurs clubs, et de l’adolescence ; en particulier l’écart immense entre un ou deux entraînements par semaine à un ou deux par jour.
Un effectif éclectique
Entre deux entraînements, on croise Gauthier Brute De Remur. Né à Caudéran, ce talonneur de 18 ans a intégré le centre de formation de l’UBB en août dernier. Après des débuts au Stade Bordelais, puis à Soustons dans les Landes, il a suivi le parcours type en intégrant la section Préfilière. Arrivé en cadets à Bègles, il est passé par le Pôle espoirs de Talence, où il a décroché son Bac STG.
« Après le Pôle, l’objectif était d’intégrer un centre de formation et de continuer au haut niveau, explique-t-il. Même si cela ne veut pas forcément dire qu’on va pouvoir jouer en pro plus tard. C’est juste une passerelle qui nous permet d’y accéder plus facilement. »
Gauthier a conscience de l’opportunité que représente le centre de l’UBB – « Ici, on est logés et on a tout sur place : kiné, repas, médecin »… Une chance qu’a aussi saisie Darly Domvo. Recalé du centre de formation de son club, La Rochelle, il a été accepté par celui de l’UBB. Cet arrière de 21 ans entame sa cinquième année au centre de formation bordelais et il s’y sent bien.
S’il représente un bel espoir pour le club, Darly garde la tête sur les épaules et s’apprête même à décrocher un bachelor en marketing international. Au cas où…
Une précaution qu’a prise Romain Lonca en décrochant son diplôme d’ostéopathe. Débauché de son club formateur d’Hendaye, l’ouvreur a rejoint l’UBB en juin 2013. Son parcours est atypique. Passé directement de Fédérale 2 au Top 14, le garçon de 22 ans avoue que « c’était un peu difficile au début mais les anciens m’ont bien conseillé ».
Jean-Pierre Beaucoueste, le président du Stade Hendayais, avoue « être content que Romain ait sa chance. En plus, quand il entre sur le terrain, on parle souvent de notre club. Les Hendayais sont contents qu’on parle de leur ville ».
Cerise sur le gâteau, son transfert aura permis au club d’empocher une indemnité dont le montant est fixé par la Fédération (voir encadré).
« Cela met du beurre dans les épinards, mais on préférerait garder nos joueurs car nos équipes jeunes en pâtissent », reconnaît le président du club basque.
Du côté de Mauléon, on a vu éclore Camille Lopez et Gilen Queheille, deux futurs grands noms du rugby formés au club basque, avant leur départ pour Bordeaux-Bègles. Alors que le premier brille désormais à Perpignan et était titulaire en équipe de France A avant sa blessure l’an dernier, le second se fait un nom au sein de l’UBB. Henri Etcheverry, le secrétaire général du SAM (Sport athlétique mauléonais), s’en réjouit :
« Ces transferts ne sont pas une affaire de gros sous. Il n’y a aucun retour sur investissement mais nous sommes très contents pour eux. Nos meilleurs joueurs doivent partir. »
S’il n’est pas question d’argent, il n’en reste pas moins que certains clubs attendent toujours le versement de leurs indemnités. A Parentis, on a vu grandir Baptiste Serin, le demi de mêlée des Bleuets, qui jouent ce vendredi le Grand Chelem dans le Tournoi des 6 Nations, contre l’Irlande à Tarbes.
« L’UBB ne nous a pas réglé d’indemnités de formation pour le moment, affirme Bruno Barraduc, secrétaire et président de l’école de rugby. On nous dit qu’il faut aider les petits clubs. Nous, on veut bien aider l’UBB… Mais bon, c’est comme ça. »
Démenti de David Ortiz du centre de formation de l’UBB, qui affirme que Parentis a bien été indemnisé, et qu’il est « impossible de ne pas être en règle du fait du contrôle des instances fédérales ». Le club basque salue quoi qu’il en soit le parcours de son ancien joueur :
« A Parentis, Baptiste fait la fierté de ses formateurs ! On ne peut pas offrir le niveau de compétition à ces jeunes talentueux donc c’est très bien pour eux ! Et si ça ne marche pas, ils peuvent toujours revenir… »
L’UBB mise sur les jeunes vieux
« Ce n’est plus dans l’air du temps de faire des journées de détection, reconnaît David Ortiz, directeur du centre de formation de l’UBB. On sait ce dont on a besoin alors on va chercher les garçons qu’on connaît. »
Dans la région, les talents ne manquent pas mais pour atteindre le plus haut niveau, ils sont peu à échapper au parcours classique : écoles de rugby, cadets, Crabos, Reichel, pré-filière, Pôle espoirs… avant d’intégrer le centre de formation d’un club de Top 14 ou Pro D2. Si votre fils est un champion en herbe, il faudra qu’il fasse parler de lui pour se faire repérer par les recruteurs de l’UBB.
« On mise sur le bouche-à-oreille et notre réseau, mais on a aussi une grosse base de joueurs suivis par des agents », explique David Ortiz.
Si tous les clubs de rugby professionnels (Top 14 et Pro D2) sont dans l’obligation d’avoir un centre de formation agréé par la Fédération Française de Rugby (FFR) et la Ligue Nationale de Rugby (LNR), ils n’adoptent pas tous la même politique en matière de recrutement pour leur centre de formation. Certains misent sur les très jeunes, tandis que d’autres, comme l’UBB, privilégient les jeunes… plus âgés !
David Ortiz, responsable du centre de formation, explique que « si la Ligue autorise un recrutement de jeunes entre 16 et 23 ans, en général, nous n’acceptons des joueurs qu’à partir de 18 ans ». Pour des raisons de majorité, mais aussi pour miser sur des potentiels déjà développés. Parmi les 23 jeunes du centre se distinguent « quinze joueurs aux portes du haut niveau et huit plus jeunes qui vont éclore plus tard », jauge le manager du centre. « Avec eux, il y a un vrai travail de formation. »
Et le travail de dénicheur de talents est à la hauteur des attentes mises sur ces recrues : énorme ! De nombreux facteurs entrent en ligne de compte.
« Pour les plus jeunes, on les prend dans la région car nous ne voulons pas les déraciner. Entre 20 et 23 ans, on cible au niveau national voire international », poursuit David Ortiz.
C’est le cas du Néo-zélandais, Matt Graham, arrivé au centre en juillet dernier. Dans le groupe, il y a aussi un Géorgien, un Samoan… Que viennent chercher des joueurs nés sur des terres de rugby ? Une expérience et du temps de jeu.
« En Nouvelle-Zélande, il y a beaucoup de très bons joueurs. C’est plus difficile pour percer », reconnaît le Néo… Bordelais Graham.
A l’UBB, il a déjà joué 13 matches avec les jeunes, mais aussi avec les pros. A son large sourire, on comprend qu’il est ravi. Avant de poser ses valises à Bordeaux et de signer un contrat espoirs avec l’UBB, Graham a fait un détour par Bayonne où il est resté deux saisons. Histoire de se faire au jeu français… A 23 ans, il espère « bien finir la saison et jouer encore plus ».
Quelle vie pour les jeunes sur la touche ?
Blessures, mauvaise intégration, manque de chance… Plongés très jeunes dans le circuit, certains jeunes resteront sur la touche. Pour Vincent Manta, responsable du Pôle Espoirs de Talence, « le rugby est un sport à maturité tardive mais la détection doit être de plus en plus précoce. C’est donc un gros dilemme ».
Et parfois source d’erreur de recrutement. Quel avenir pour ces espoirs déçus ? Pour tous les jeunes du centre, le cursus se base sur un double projet : le rugby… mais aussi un objectif professionnel.
« Il n’y a pas un joueur dans notre centre de formation qui n’ait pas un projet extra-sportif défini. Paysagiste, kiné, STAPS… Nous sommes même en phase de recruter un garçon qui veut faire tailleur de pierre », se réjouit David Ortiz.
La question de la reconversion est omniprésente dans le discours des jeunes qui ont conscience de la difficulté à percer.
« La reconversion est presque plus importante que tout », avoue Gauthier Brute de Remur, jeune recrue du centre de formation.
Beaucoup de postulants, mais peu de places. Telle est la réalité du sport de haut niveau. L’UBB sort en moyenne un à deux joueurs pros par an, selon David Ortiz :
« Mais cela dépend des générations. Parfois, aucun jeune n’est prêt à franchir le cap. L’année dernière, on en a sorti trois et cette année on va monter à quatre. »
Bonne nouvelle donc mais qu’en est-il des autres ? Sur la vingtaine de jeunes formés au club, ils sont donc peu à percer chez les pros. Ce qui ne veut pas dire qu’ils sont lâchés dans la nature pour autant.
« La Ligue nous impose un suivi sur quatre à cinq saisons, précise le manager bordelo-béglais. La première année, pour les joueurs tout juste sortis du centre, on a même une obligation d’aide à l’insertion dans le monde du travail. »
Du côté de Provale (Union des joueurs de rugby professionnels), on s’inquiète de ces difficultés. Selon Robins Tchale-Watchou, son vice-président, « les problèmes de reconversion concernaient auparavant des joueurs de 34 ou 35 ans. Désormais, ce sont des jeunes de 21 ou 22 ans que l’on doit reclasser. C’est dramatique ».
Des changements en perspective…
Autant dire que le monde du rugby a encore de gros défis à relever. Parmi eux, l’application du quota des joueurs issus des filières de formation (JIFF) ne devrait « mettre en difficulté les clubs qu’une saison, pas plus » estime David Ortiz. C’est selon lui une bonne mesure :
« Cela va pousser les clubs à réfléchir à un recrutement intelligent, à faire jouer des jeunes et donc mettre en avant les centres de formation », reconnaît le manager du centre.
A l’UBB, le recrutement de Pierre Henry Broncan montre que le club est soucieux de l’avenir de ces jeunes. Les missions du Gersois : articuler la formation avec le groupe pro, mais aussi pour recruter des joueurs.
Il faudra aussi compter sur un nouveau mode d’évaluation des centres de formation dont les résultats seront révélés en mars, une réorganisation des catégories d’âge, ainsi que sur la mise en place d’un nouveau PES. Rien à voir avec le célèbre jeu vidéo : le PES, c’est un parcours d’excellence sportive, dans lequel la Fédération va prendre en charge les jeunes de moins de 20 ans.
Quel sera alors l’intérêt pour un club de Top 14 d’avoir un centre de formation ? En fait, le PES assurera un passage de témoin entre le Pôle France (et la FFR) et les clubs. Les jeunes en moins de 18 ans seront internes au Pôle France. En moins de 19 ans, il y aura une alternance avec les clubs. Les moins de 20 ans passeront trois semaines au club et le reste au Pôle France. Parfait pour leur donner du temps de jeu en club… et peut-être espérer percer au plus haut niveau.
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