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Conversation animée avec… Michel Gondry

Quand le fantasque réalisateur Michel Gondry rencontre le pointu théoricien Noam Chomsky, on se dit que ça va faire des étincelles. En fait, on est encore loin du compte. Un vrai feu d’artifice ! Entretien avec Michel Gondry de passage à Bordeaux pour son film « Conversation animée avec Noam Chomsky », sur les écrans dès aujourd’hui 30 avril.

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Conversation animée avec… Michel Gondry

Image du film "Conversation animée avec Noam Chomsky" (DR)
Image du film « Conversation animée avec Noam Chomsky » (DR)

« Le monde laisse souvent perplexe. Si on accepte d’être perplexe, on apprend. » Le pourquoi du comment, voilà en quelque sorte ce qu’essaie de nous expliquer Noam Chomsky. Ceci dit, nous ne sommes pas dans une salle de cours mais au cinéma. Et la réussite de ce film est tout à la fois de nous apprendre à ne pas croire impunément mais aussi de nous émerveiller face à un kaléidoscope de dessins, à nous faire rires des ratés entre Noam Chomsky et Michel Gondry, à nous émouvoir devant la fragilité d’un grand penseur.

Vous definissez votre film comme un documentaire animé. Qu’entendez-vous par là ?

J’avais envie d’un projet un peu différent de mes films habituels. La science m’a toujours intéressée et je voulais fabriquer des effets spéciaux. J’ai été inspiré par un documentaire sur le physicien Richard Feynman. Entendre parler un intellectuel est une autre expérience que lire ses livres, elle est plus directe, plus frontale. Quand j’ai rencontré Noam Chomsky cette idée d’un documentaire animé un peu irréaliste est devenue plus concrète.

D’ailleurs, comment s’est passée cette rencontre ?

J’ai une grande admiration pour Noam Chomsky que j’ai découvert il y a quelques années grâce à son livre « La fabrication du consentement ». Je suis aussi en accord avec lui sur son activisme, sa critique des médias. Lorsque j’ai été invité en résidence au MIT, j’ai appris qu’il y travaillait aussi. Nous avons discuté et j’ai eu envie de montrer son travail. On a eu à peu près 3 heures d’entretien en deux séances

Quel était votre projet ?

Ces conversations avec Noam Chomsky m’ont permis de poser des mots sur les pensées que j’avais. Il requestionne tous les principes : la conscience, la pensée, la représentation du monde, le fonctionnement du cerveau à travers la linguistique. Cette conception d’une grammaire universelle du langage, reflet de notre code génétique, est une vision que je partage.

Pourquoi passer par le dessin ?

J’avais conscience que sur le plan théorique, je n’étais pas au niveau de mon interlocuteur. L’idée d’apporter ma touche personnelle grâce aux dessins s’est imposée comme une manière naturelle de m’exprimer. J’illustrais son discours scientifique en laissant libre cours à mon imagination et à mon instinct et en poussant le concept d’animation.

La pensée de Noam Chomsky est parfois conceptuelle. Comment la rendre plus figurative ?

J’ai choisi de faire ressortir ma propre voix et mes limites dans le dialogue. Quand je ne comprenais pas je detournais, j’utilisais l’abstraction en parlant du contexte plutot que du contenu. Il a fallu trouver d’autres angles d’approche, contourner les barrières. Le dessin permet aussi d’apporter ma naïveté et me demande d’être précis sans être toujours être toujours exact.

Le film n’est pas abscons. Les moments drôles sont venus naturellement ?

J’ai choisi de garder certains désaccords pour être le plus honnête possible dans la démarche. J’aurais eu du mal à me faire passer pour un interlocuteur spécialisé. Le malentendu en devient drôle car non calculé et en plus arrivait dans un contexte aride.

Le projet de base était donc de questionner la pensée de Noam Chomsky. Comment s’est opéré le glissement vers sa vie privée ?

Au départ, il ne souhaitait pas parler de la mort de sa femme mais en abordant ses souvenirs d’enfance, le sujet s’est peu à peu installé et cela a permis de montrer une facette de lui très touchante et très humaine. J’ai un peu rusé en lui montrant des dessins de sa femme ou en l’interrogeant sur les moments de bonheur qu’il a connu et lui s’est révélé dans la discussion.

La profusion de dessins est incroyable. Combien de temps avez-vous mis à faire ce film ?

Ce film fut un projet de longue haleine (4 ans). Je l’ai réalisé quasiment seul avec une table lumineuse et une caméra 16 mm. Avec cette caméra, je ne pouvais filmer que des petites séquences car il fallait que je la recharge régulièrement et que j’attende que la pellicule soit développée au labo. Je dessinais au fur et à mesure et lorsque l’accumulation d’images séparées devenait mouvement, je vivais un moment assez magique. Le temps passé m’a ainsi permis d’être plus créatif.

En parallèle de ce film, vous travailliez le montage de « L’Ecume des jours ». N’était-ce pas une période schizophrène ?

Les deux projets sont totalement différents. La pression n’était pas du tout la même. Pour « L’Ecume des jours » des millions d’euros étaient engagés, il fallait donc aller au bout du projet. Pour celui-ci, la pression était plus morale puisque les trois quarts du budget (environ 100 000 euros) viennent de mon investissement personnel. Noam Chomsky m’avait consacré du temps et je voulais qu’il voit le film terminé. Aucune force extérieure ne m’a poussé à faire ce film. Dans la gestion du travail aussi, « L’Ecume des jours » était une bataille permanente alors dessiner à côté, être dans un projet plus organique et artisanal, c’était des vacances.

« Conversation animée avec Noam Chomsky » de et avec Michel Gondry. Sortie en salles le 30 avril. Durée du film : 1h28.


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