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Quand Bordeaux a l’imaginaire qui déborde

Suite à la rencontre avec le bordelais Patrick Marcel, traducteur du « Trône de Fer », le 25 juin à la librairie La Machine à lire, Rue89 Bordeaux a frappé à la grande porte de la communauté bordelaise de l’imaginaire pour découvrir ses liens avec trois éditeurs majeurs de l’imaginaire français.

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Quand Bordeaux a l’imaginaire qui déborde

La revue "Fiction" lors de sa présentation sur le stand des Indés de l'Imaginaire (DR)
La revue « Fiction » lors de sa présentation sur le stand des Indés de l’Imaginaire (DR)

Tous les premiers lundis du mois se réunit la communauté de l’imaginaire de Bordeaux. Tous Bordelais de sol ou de cœur, ils sont une dizaine et se retrouvent dans un pub du centre ville.

Ils sont écrivains de science-fiction (Laurent Queyssi et Ludovic Lamarque), dessinateur de BD (Christophe Coronas alias Cecil, créateur de la BD steampunk qui se déroule à Bordeaux, « Le réseau Bombyce »), directeur littéraire (André-François Ruaud des éditions les moutons électriques), libraires, et traducteurs (Patrick Marcel et Laurent Queyssi). Au cours du diner, ils partagent leurs coups de cœur, échangent des conseils, et évoquent leurs influences, leurs travaux en cours dans une ambiance amicale et détendue.

Tous entretiennent une vraie passion pour la culture geek. Comprenez la culture des littératures de l’imaginaire soit le fantastique, la fantasy et la science-fiction.

C’est cette passion qui a conduit Patrick Marcel à la traduction. Lecteur assidu de comics book et de romans anglais découvert lors d’échanges Bordeaux-Bristol, il s’est lancé dans la « trade ». Pour lui traduire un roman ou une BD est avant tout un hobby. Son vrai métier, ce bordelais de 58 ans, l’exerce à l’aéroport de Mérignac au bureau des pistes.

Mais comment devient-on un geek ? Facile ! Une lecture qui vous tient éveillée une nuit, un film qu’on se passe en boucle, un dessin qui vous hypnotise par sa puissance d’évocation ( pour ma part c’était « L’affaire Charles Dexter Ward » de H.P Lovecraft, « Conan » de John Milius et le « Death dealer » de Franck Frazetta.) Votre imaginaire en est marqué à tout jamais. Vous voilà mordu, un geek, et de geek à auteur il n’y a qu’un pas qui est vite franchi. Vous avez été séduit par un imaginaire et à votre tour vous voulez séduire en développant le vôtre, comme un vampire engendrant un nouveau vampire. Le geek est un rêveur et un créateur.

Des liens étroits avec un collectif d’éditeurs

André-François Ruaud (DR)
André-François Ruaud (DR)

Cette communauté de l’imaginaire de Bordeaux entretient des relations amicales et professionnelles avec Les Indés de l’imaginaire. Patrick Marcel traduit pour ces éditeurs et collabore à leur revue. Laurent Queyssi a publié son tout premier roman en 2004 chez l’un d’eux.

Créé en janvier 2013, ce collectif regroupe les éditions ActuSF dirigées par Jérôme Vincent, les éditions Mnémos dirigées par Frédéric et Nathalie Weil, et les éditions les Moutons électriques dirigées par André-François Ruaud et Julien Bétan. « Une association d’éditeurs est rarissime », souligne André-François Ruaud. Pour quelle raison se regrouper ? Car la culture geek est loin de faire l’unanimité.

Culture officielle vs culture Geek

La culture officielle ignore avec un souverain mépris la culture geek. Vous ne verrez jamais un auteur de SF invité à une émission littéraire. Le fantastique, la fantasy et la science-fiction se déclinent en de nombreux sous-genres, qui démontrent la richesse et la diversité de cette culture.

La SF peut se présenter sous la forme du space opera (« Star Wars »), du cyberpunk (« Blade runner ») ou bien encore du steampunk (« La Ligue des Gentlemen Extraordinaires »). Mais beaucoup de libraires ne veulent pas en entendre parler. Elle marque pourtant une évolution majeure de la culture.

« Les libraires traditionnels ne semblent plus vouloir de SF », déclare André-François Ruaud.

Il connaît bien cet univers, il a été lui-même libraire. Diplômé de l’IUT des métiers du livre de Bordeaux en 1984, il a exercé son métier chez Glénat pendant 17 ans. En la boudant, les libraires se coupent d’un lectorat considérable (deux millions d’exemplaires du trône de fer vendus en France) et mettent leur existence en péril.

Marcel (à gauche), avant sa présentation à La Machine à Lire, avec Ludovic Lamarque et Isabelle Camus (DR)
Patrick Marcel (à gauche), avant sa présentation à La Machine à Lire, avec Ludovic Lamarque et Isabelle Camus (DR)

Contrairement à une idée reçue, il s’ouvre plus de librairies qu’il n’en ferme. Les grosses et moyennes librairies meurent, une page se tourne en effet.

L’été dernier Virgin Bordeaux a fermé ses portes. Mais certains libraires prennent conscience de l’importance des littératures de l’imaginaire. Après la libraire Mollat qui a fait une place à la culture geek en accueillant en 2004 en dédicace Laurent Queyssi pour son premier roman de SF « Neurotwistin’ » chez les moutons électriques, c’est au tour de la librairie la machine à lire qui a rompu avec son image de librairie élitiste en invitant dans ses murs Patrick Marcel pour évoquer sa passion pour la culture geek et son travail de traducteur du trône de fer.

L’imaginaire créateur d’emplois

Les Indés de l’Imaginaire ont comme objectif de persuader les libraires frileux d’accepter leurs livres et de faire une place plus grande sur leurs tables à la culture geek. ActuSF, Mnémos et les Moutons électriques sont présents, ensemble, sur les salons, notamment le Salon du Livre de Paris et des festivals comme les Imaginales à Épinal, les Futuriales à Aulnay ou les Utopiales à Nantes.

C’est pourquoi les Moutons électriques, qui fêtent leurs dix ans d’existence ce mois-ci, engagent dès la rentrée prochaine, avec le collectif, un agent de sur-diffusion. Son rôle sera de contacter les libraires indépendants en amont et en aval des représentants, avec l’accord préalable du diffuseur, pour présenter la production des Indés et leurs nouveautés éditoriales.

Chez les Moutons eux-mêmes, un assistant éditorial est embauché en contrat CDI et prendra ses fonctions à Bordeaux dès le 1er septembre.

Une revue et une collection de poche communes

En plus d’assurer une forte présence sur les salons et festivals, les Indés de l’Imaginaire dirigent « Fiction », la revue qui défie la gravité.

Fondée en 1953, arrêtée en 1990, reprise en 2005 par les Moutons électriques, Fiction est aujourd’hui sous la direction des Indés. Dirigée par le duo Julien Bétan et Jean-Jacques Régnier, elle promeut et diffuse la culture geek en publiant articles et nouvelles, aussi bien de jeunes talents que de talents confirmés.

Les Indés ont leur propre collection de poche, Hélios. Lancée début 2013 par les éditions Mnémos, elle devient aujourd’hui la collection des trois éditeurs du collectif. Pour faire peau neuve, elle s’est dotée d’une nouvelle maquette. Elle s’orne d’un numéro et affiche des couleurs monochromes pour ses couvertures. Chaque éditeur assure à tour de rôle la direction des parutions. Helios s’enrichira par exemple en octobre du Grand Amant de Dan Simmons.

C’est pourquoi nous en écrivons et que nous en lisons

Il faudra désormais compter avec la culture geek. Elle permet le dépaysement plus sûrement qu’un tour du monde. C’est pourquoi les cycles se multiplient et les pavés de 1000 pages abondent. Les sagas invitent à passer des semaines, des mois, voire des années dans un univers où l’on devient intime avec des personnages.

Faire vivre des personnages pour qu’on s’y attache, à l’instar des grands écrivains maitrisant l’art délicat du récit. Flaubert n’a-t-il pas écrit le plus grand roman de fantasy avec « Salammbô » ! Et n’oublions pas que le premier prix Goncourt en 1903 fut attribué à un roman de SF « Force ennemie » de Jean-Antoine Nau.

Inscrites dans la droite lignée des mythes, les littératures de l’imaginaire apportent des réponses, du sacré, et forgent une identité. Les œuvres de fantastique et de fantasy fonctionnent souvent sur la quête d’un héros et sur son passage à l’âge adulte. « Harry Potter » et « Le seigneur des anneaux » sont deux bons exemples de romans formateurs. On y apprend le sentiment amoureux, les valeurs de sacrifice, de partage, de solidarité, de courage et de noblesse…

Nous avons tous une dette envers la culture geek. Une dette dont nous, auteurs, traducteurs et dessinateurs, sommes ravis de nous acquitter. Si nous avons fait de notre passion notre profession, c’est parce qu’elle nous nourrit à défaut de nous faire vivre.


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