De l’avis général, Agora est en train de s’imposer comme un événement culturel national majeur à Bordeaux. Cette dernière édition a définitivement rangé Evento dans le tiroir des projets à ne pas refaire et laisse espérer des nouvelles éditions plus généreuses et plus riches. Si la biennale a eu du mal à trouver son rythme de croisière sur les bords de la Garonne, elle s’impose comme le rendez-vous de toute une ville et en témoigne le saupoudrage réussi des événements : de la Base sous-marine jusqu’aux Capucins, de Brazza jusqu’à Pey Berland.
On a adoré : l’art et la culture dans la rue
C’est un « plus plus » par rapport aux éditions précédentes. Les initiatives culturelles proposées dans la rue et dans le cadre d’Agora ont donné un bol d’air frais à la la sixième édition de la biennale. Les chaises d’Anne Cantat-Corsini et la Tinbox de l’Agence créative, entre autres, ont interpellé les Bordelais sur l’ouverture de l’art, souvent considéré comme l’affaire d’une élite.
Dans la même veine, le forum-laboratoire participatif, Enquête-en quête, a mené une réflexion sur les risques dans l’espace public : « Au pire, qu’est-ce qu’on risque ? »
Gros kif aussi sur la place Pey Berland, avec la la ville éphémère d’Olivier Grossetête. Beaucoup ont mis la main à la pâte pour plier et scotcher les briques de carton (insuffisamment toutefois pour achever la cité dans les dimensions rêvées par l’artiste, qui avait prévu 13000 cartons), comme le montre cette vidéo Rue89 Bordeaux :
Et la destruction de l’œuvre, dimanche, a été un grand moment de défoulement et d’euphorie collective :
Les heures qui ont suivi, les enfants ont continué à empiler les cartons, comme s’ils créaient une barricade devant l’hôtel de Ville, pendant que leurs parents déjeunaient ou faisaient la sieste sur les boîtes.
On a aimé : des expositions adaptées
Sam Baron a enfin porté le design à Agora, jusqu’ici hésitant dans les éditions précédentes. L’exposition « Objet préféré » du designer en chef de La Fabrica de Benetton présentait une sélection affutée de son travail parmi laquelle il était franchement difficile de faire son choix. L’intimité de la galerie Arrêt sur l’image a rendu les meubles sélectionnés le plus familiers possible au regard du public.
Aux Vivres de l’art, peu de monde a eu l’idée de pousser jusqu’à l’exposition « Ma cantine en ville – Voyage au cœur de la cuisine de rue ». Le sujet de l’exposition proposée par la Cité de l’architecture de Paris était pourtant en plein dans le mille. Il a le mérite de se frotter à un phénomène sociologique qui fait le malheur et le bonheur de la nutrition depuis des lustres. Les projets exposés sont ingénieux et ne tarderont probablement pas à sillonner les rues.
Georges Rousse à la Base sous-marine de Bordeaux n’est pas venu s’exposer mais aussi rendre des comptes à un public de plus en plus enclin à voir la retouche numérique mise à toutes les sauces. Ce qui donne au lieu des allures de CAPC des grands jours.
On est restés sur notre faim : ces tables rondes qui mettent la tête au carré
Il ne suffit pas de faire venir des pointures pour capter l’attention d’un public assoupi parfois dans les fauteuils de jardin pliants Lafuma.
Vendredi, le débat sur le grand stade était dépourvu d’échanges contradictoires (Alain Juppé a même dû endosser ce rôle là en confiant ses doutes sur cet équipement, histoire de réveiller un auditoire assommé par les digressions du pédant et pas toujours pertinent journaliste Alain-Gérard Slama). Et on ne parle même pas d’être pour ou contre un grand stade, mais d’en comprendre leurs réels impacts sur l’urbanisme, en montrant les cas où ça marche (le Stade de France à Saint-Denis, par exemple), et les ratés (les « éléphants blancs » du Brésil, qui ont provoqué le déplacement de 200 000 habitants).
Celui sur les résistances à l’aménagement de l’espace public aurait pu être passionnant, grâce notamment à la participation d’Ayse Aydogan, militante turque contre la transformation en centre commercial de la place Taksim, à Istanbul. Les autres invités ont eux présenté des cas de figures locaux (la place Saint-Michel ou la place Gambetta), et rappelé que les rénovations en cours ou à venir ont pris en compte les doléances des habitants… Pour souligner en creux qu’ici, on ne vit pas dans un régime autoritaire ? On aurait bien aimé avoir un échange avec la salle, mais paradoxe suprême pour ce débat sur la participation citoyenne, il n’y eut pas le temps de prendre des questions dans le public.
Dimanche. « Une œuvre n’a d’intérêt dans l’espace public que si elle le transforme », a déclaré Daniel Buren. Mais outre cette saillie, l’artiste auteur des fameuses colonnes du Palais Royal a souvent donné l’impression d’enfoncer des portes ouvertes. Gilles Clément a réussi à passer par la fenêtre avec énormément de poésie, mais cela n’a pas suffi hélas à clore définitivement l’épineux sujet de l’art scandaleux dans la rue. Le jardinier rappelle qu’un espace public peut effectivement être un espace naturel, et ce n’est pas peu de le dire.
On est séduits : des workshops pour regarder en haut et en bas
Ruedi et Vera Baur ont envahi la cour arrière du musée des Arts Décoratifs de Bordeaux. Le graphiste et la sociologue ont proposé huit séances de travail sur le thème de « l’appropriation de l’espace public entre exclusivité et exclusion, entre le musée et la prison, entre arts décoratifs et design ». Les hypothèses ont été ensuite retranscrites sur de longues bâches hissées à 25 mètres par une grue. L’effet visuel est garanti et la dimension graphique de la concertation, bien que présente, reste à taille égale avec les idées émises. C’est toute la subtilité que manie à merveille le graphiste suisse et qui a fait de lui une école dans l’école.
A la caserne Niel, 12 architectes et artistes ont habités durant 10 jours la friche militaire en intervenant par des micro-installations qui ont pour objectif de constituer un cadre de vie questionnant même la définition de « l’habité ». Cette expérience menée par Les Dauphins a provoqué un usage singulier de l’habitat : construction d’un toilette de 3000 m2, création d’une chambre à discussion sous terre… Si le site n’a pas été exposé au public, les Dauphins ont rapporté leur expérience lors d’une rencontre avec le public.
On-a-pu-constater-à-quel-point-Bordeaux-est-une-ville-dynamique : tous les projets d’aménagement de la ville (encore) sous tous les angles
Ce n’est un secret pour personne, Agora c’est aussi une vitrine pour la Ville, organisatrice de la biennale, qui y présente ses prix d’architectures locaux et ses grands et petits projets. Voir et revoir les maquettes des projets d’aménagements ne semblait pas tout à fait indispensable. Si on peut admettre que le public ne s’était pas précipité à Arc-en-Rêve avant Agora pour découvrir le projet retenu pour le pont Jean-Jacques Bosc, on s’étonne de la place largement accordée à la Cité des civilisations du vin et au Grand stade.
Heureusement, il était possible de visiter les chantiers pour en prendre la mesure. Quoique trop brève, la ballade en train, à la tombé de la nuit dans Brazza, fut un moment assez magique, surtout pour qui n’avait jamais vu l’incroyable halle Soferti.
Un bémol : les projets d’aménagements des quartiers (Belcier, Bassin à flots…) ont beaucoup trop donné l’impression de bureaux de vente de programmes immobiliers. Il ne manquait que l’appartement témoin et les propositions de crédits.
On s’est interrogés : l’absence de Darwin à la remise des prix (et des partenaires)
Un prix pour la réhabilitation des Magasins généraux de l’ancienne caserne Niel, quai de Brazza à Bordeaux, a été décerné à la maîtrise d’œuvre, Virginie Gravière et Olivier Martin, et la maîtrise d’ouvrage, SAS Darwin-Bastide. Mais lors de la remise des prix, aucun représentant de Darwin n’était présent, contrairement à d’autres maîtres d’ouvrage.
Figuraient-ils parmi les partenaires de l’évènement ? Perdu ! Darwin accueillait pourtant Les Dauphins en résidence (voir plus haut) et un débat/barbecue urbain le jeudi 11 autour de la question « Appropriations de l’espace public : entre légitimité et transgression ? ».
On est partagés : pas d’Agora pas de chocolat
Quatre maquettes ont été conçues par trois pâtissiers à la demande de la ville de Bordeaux : « J’en ai un peu bavé » avoue Yves Landry à Sud Ouest, pâtissier installé route de Toulouse à Villenave-d’Ornon. Ça commence bien ! Le chocolatier en a bavé avant de voir les énormes maquettes – pont Chaban-Delmas, du Grand stade (en plus de la vraie maquette), et de la halle Soferti – passer trois jours à une température estivale à se faire tripoter par un public qui veut s’assurer que c’en est !
Bouquet final : distribution au public à la fin d’Agora. Verdict : certains ont trouvé le chocolat trop amer et pas bon du tout, d’autres l’ont jugé onctueux et fort en cacao, juste comme il faut. Bon, il y en a plus, vous ne pourrez pas trancher.
On n’en parlera pas pour ne pas être méchants : le ballet des grues…
… mais ce n’était pas si nouveau que ça.
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