Que l’on conteste l’utilité du grand stade de Bordeaux (après l’Euro 2016, sera-t-il à moitié vide pour les Girondins ?), son financement en partenariat public-privé, ou certains aspects de son architecture (pourquoi pas de panneaux solaires sur le toit ?), nul doute que les badauds viendront nombreux admirer ce bâtiment élégant et aérien, comme niché au sein d’une forêt de pins. Et ce avant même son inauguration, le 23 mai pour le match de Ligue 1 Bordeaux-Montpellier.
L’arrivée du tramway est donc une bonne nouvelle pour les supporters, mais aussi pour les visiteurs et les salariés du Parc des expos, du Palais des congrès ou du Casino, grandement dépendants de la voiture. 9500 nouveaux passagers sont ainsi attendus sur la ligne C, dont le nouveau terminus « Parc des expositions-Stade » est inauguré ce samedi.
90 millions d’euros de travaux
2,7 kilomètres de voies, 3 stations et un pont pour franchir la rocade, ont été réalisés entre la station des « Berges du Lac », inaugurée l’an dernier, et un centre de maintenance des trams, bâti derrière le stade. Le coût : 90 millions d’euros.
« Il y a une réelle dynamique pour le quartier, se réjouit Eric Dulong, président de Congrès et expositions de Bordeaux (CEB). Avec Ginko, c’est toute une population qui se rapproche du lac. Nous étions excentrés et avec une vocation purement professionnelle, on se sent désormais de plus en plus intégrés à la ville. »
Pour le Parc des expositions, dont les halls 1 et 2 vont être rénovés, la desserte en tramway est un atout pour décrocher de grands évènements, tout comme la proximité du nouveau stade : « On m’interpelle déjà pour savoir comment y organiser des soirées en marge de manifestations professionnelles », indique Eric Dulong.
Ce dernier aimerait en outre que la ligne C soit prolongée vers la Garonne, pour rallier la ligne B, et permettre ainsi aux exposants et visiteurs d’aller directement du lac à la future Cité des civilisations du vin.
Le grand stade, terrain glissant pour les entreprises
Malgré cette nouvelle donne, Bordeaux-Lac est en fait à la croisée des chemins. Depuis 30 ans, la zone végète, plus près des jalles sur lesquelles elle s’est bâtie que de la Plaine-Saint-Denis, le quartier d’affaires près du Stade de France.
Au moins une grande entreprise va en partir : en octobre 2016, la Caisse d’épargne Aquitaine-Poitou Charentes regroupera tous les salariés de son siège bordelais (440 personnes réparties entre Mériadeck et le lac) à Euratlantique, le quartier en chantier près de la gare.
D’autres s’interrogent sur leur présence sur place (la Caisse des dépôts, Gan). Et quand on se promène dans le territoire, plusieurs immeubles de bureaux affichent des panneaux « à vendre » ou « à louer ».
« La vie économique autour du stade n’est aujourd’hui pas satisfaisante par rapport à l’image prestigieuse qu’on voudra renvoyer de Bordeaux, résume un bon connaisseur du dossier. Conçu dans les années 60 sous Chaban-Delmas, ce quartier d’affaires est vieillissant, n’a pas l’aura espérée. S’il est desservi par le tram et par la rocade, il reste très enclavé et loin du centre. Résultat, aujourd’hui, l’offre de bureaux qui n’y trouvent pas preneur y est très importante. Et la métropole porte un autre quartier, l’OIN (opération d’intérêt national) Euratlantique ».
Sous le vent des Bassins à flot
Pour Patrice Dupouy, président de l’Observatoire de l’immobilier d’entreprise, « Bordeaux-lac va devoir trouver un positionnement, car on ne pourra pas faire cohabiter deux grands quartiers d’affaires » :
« Le quartier est concurrencé stratégiquement par Euratlantique, mais il l’est aussi géographiquement par les Bassins à flot, où se construisent beaucoup de bureaux (sièges de CDiscount ou du Crédit Agricole). Il y aurait sans doute plus de place pour des locaux d’artisanat ou de logistique de dernier kilomètre, que pour des activités tertiaires. »
Que souhaite la Ville ? Interrogée par Rue89 Bordeaux, elle réserve sa réponse aux conclusions d’une étude récemment confiée à Nicolas Michelin. L’agence de l’architecte urbaniste, qui pilote le projet des Bassins à flot, a carte blanche pour proposer des pistes de réorientation à Bordeaux-Nord.
Selon notre source proche du dossier, sa lettre de mission est « très ouverte quant à savoir s’il faudra développer de l’activité, si oui lesquelles, de l’habitat, de la mixité… Si on se place dans une logique de rentabiliser un équipement public comme le tram, il ne serait pas absurde d’accueillir des logements et de la population. »
Besoin de se réinventer
C’est aussi ce que souhaitent les entreprises que nous avons interrogées. Groupama-Gan, propriétaire de grands bâtiments et de 15 hectares sur place, plaide pour une modification du plan local d’urbanisme, afin que le territoire ne soit plus classé zone d’activité.
« Nous avons sur place un immeuble obsolète, une tour qui contient des archives et nécessiterait de gros travaux pour être remise en état, explique à Rue89 Bordeaux Astrid Weill, directeur des Grands projets de Groupama Immobilier. Nous développerons un site plus important à condition de l’intégrer dans un projet urbain mixte, avec des activités, des équipements, du logement. Ce territoire s’est arrêté avec le premier choc pétrolier, il a besoin de se réinventer. Nous attendons de voir ce que proposera Nicolas Michelin. »
Gan pourrait donc rester au lac, tout comme le siège du bailleur social Domofrance. Tentée de rejoindre Euratlantique, la Caisse des dépôts « ne peut politiquement pas laisser une espèce de no man’s land », estime Patrice Dupouy. L’établissement public, joint par Rue89 Bordeaux, n’a pas encore tranché, alors qu’il devait annoncer sa décision fin 2014.
Des banquiers et des loutres
Selon un salarié haut placé à la CDC de Bordeaux Nord, l’établissement ferait toujours des travaux de remise au norme dans son bâtiment, et « il lui serait compliqué de déplacer à l’opposé de la ville ses 1200 salariés, dont 80% sont propriétaires de logements dans les environs du lac. A moins d’attendre le départ à la retraite d’un bon nombre d’entre eux dans les prochaines années ».
Il est vrai que derrière les questions de business et d’images, quelques êtres vivants sont concernés. Outre les humains qui travaillent dans le quartier, citons aussi les loutres ou les visons d’Europe qui batifolent dans la Jallère, le cours d’eau entre le lac et la Garonne. Un « corridor écologique » a été aménagé pour eux entre le stade et le centre de maintenance.
Zone humide, donc riche et fragile, mais aussi zone inondable, ce qui explique en partie la faible occupation du site : et si le lac ne bétonnait pas (totalement) ses grands espaces ? C’était en tous cas la position des paysagistes de l’agence TER, qui dans le cadre des projets 55000 hectares pour la nature, envisageait d’en faire un site pilote, avec une trame bocagère entre le lac et le fleuve. Une idée qui risque fort de tomber à l’eau, sauf si s’invente ici un modèle de quartier vraiment vert.
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