« J’ouvre ma boite mail et je tombe sur le message du FIBD d’Angoulême où on me demande de voter pour le Grand Prix d’Angoulême. Aussitôt, je m’aperçois que sur les 30 noms, il y a 0 femme. »
Marie Gloris Bardiaux Vaïente, autrice de BD, est consternée. Comme elle, les autres membres du Collectif des créatrices de bandes dessinées contre le sexisme font le même calcul et appellent aussitôt au boycott du vote pour désigner les trois finalistes.
Le mouvement prend de l’ampleur. Le Festival international de la bande dessinée (FIBD) d’Angoulême est contraint de réviser sa copie. Ce mercredi, sa direction publie un communiqué dans lequel elle annonce son intention de revoir la liste pour intégrer des femmes auteures pour l’obtention du prochain Grand Prix, « sans enlever aucun autre nom ». Celui-ci sera discerné pendant la 43e édition de la manifestation, qui aura lieu du 28 au 31 janvier.
Des auteurs se retirent
A la publication de la première liste ce mardi 5 janvier, Riad Sattouf, déjà récompensé en 2015 par le prix du festival de meilleur album pour « L’Arabe du futur », a demandé à ce que son nom soit retiré de la liste.
Dans la foulée, la nouvelle fait l’effet d’une bombe dans le milieu du 9e art et une dizaine d’autres auteurs sélectionnés demandent, par l’intermédiaire de leurs éditeurs ou sur les réseaux sociaux, que leur nom soit également retiré.
Les éditions Cornélius, basées à Bègles, signalent sur leur compte twitter le retrait de Daniel Clowes et de Charles Burns.
#Angoulême Daniel Clowes nous demande de faire savoir qu’il refuse de figurer dans une liste de nominés qui ne compte aucune femme.
— Éditions Cornélius (@ed_cornelius) 5 Janvier 2016
#Angoulême Charles Burns nous écrit pour nous dire qu’il refuse de figurer dans une liste de nominés qui ne compte aucune femme.
— Éditions Cornélius (@ed_cornelius) 6 Janvier 2016
« On est allé un peu trop vite en besogne. »
Avant le communiqué du FIBD, des voix s’étaient élevées pour apaiser la polémique. Certains auteurs hommes cherchent à relativiser la logique de la sélection en admettant de bonne foi que les femmes y sont absentes :
« C’est une question qui mérite d’être discutée sans que ça prenne cette ampleur et que soit lancé un appel au boycott », avoue Alfred.
L’auteur grenoblois installé à Bordeaux, lauréat du Fauve d’or (prix du meilleur album) au festival d’Angoulême en 2014 pour « Come Prima » (éditions Delcourt), admet que, comme le souligne le communiqué, « dans l’histoire de la BD, il y a eu une forte proportion d’hommes » mais n’y voit pas un signe de sexisme :
« Ce n’est pas un affront, ni une insulte aux femmes, c’est ainsi. Dans l’histoire de la BD, 90% des auteurs étaient des hommes. Ce qui ne veut pas dire non plus que ces hommes n’aimaient pas les femmes. Les portes ne leur étaient pas fermées. »
Marc Moreno, Toulonnais installé à Bordeaux et auteur avec Éric Corbeyran de la série « Le Régulateur » (éditions Delcourt), relativise lui aussi :
« Personne ne nie la place de la femme dans la BD. Qu’on se pose et qu’on discute sereinement et non pas dans un mouvement de foule comme celui-ci. Je regrette que tout le monde se soit mis au boycott sans savoir le mode de cette pré-sélection. On est allé un peu trop vite en besogne. J’ai demandé qui sont les personnes qui composaient le jury, personne n’a pu me le dire. Je rappelle qu’un comité d’Angoulême a soutenu Marjane Satrapi alors que personne ne misait sur elle. »
Ni quota, ni parité
Suite à cette polémique, le FIBD d’Angoulême a publié un communiqué promettant que la liste sera « rallongée » sans toutefois donner des noms. Marie Gloris Bardiaux Vaïente, qui juge cette déclaration « condescendante et paternaliste », précise :
« On ne demande pas la parité, ni de quota, mais zéro femme, c’est la négation totale. Je ne suis pas féministe parce que je suis dans la BD, je le suis aussi dans la vie. Je vis le sexisme tous les jours. »
L’autrice installée aujourd’hui à Marmande s’exprime au nom du collectif qui compte environ 200 membres dont la Bordelaise Tanxxx, ainsi que Marjane Satrapi (prix du meilleur album du festival d’Angoulême pour « Poulet aux prunes » en 2004) et Florence Cestac (la seule femme distinguée par le Grand prix d’Angoulême en 2000). Suite au communiqué du FIBD, le collectif réagit et regrette « particulièrement certains mensonges éhontés » et « une mauvaise foi massive » de la part de Franck Bondoux, le directeur délégué général du festival :
« Le fait est qu’il était bien peu malin de la part d’un festival qui a si peu de transparence sur son règlement, ses comités décisionnaires et sa gestion interne de faire une bêtise aussi grosse que celle que nous avons pointée hier (5 janvier, NDLR) par notre appel au boycott. »
Invité du Grand journal sur Canal+, Franck Boudoux prévient qu’il n’y a pas de quoi « tordre la vérité » dans la prochaine liste. La révision de celle-ci reflète-elle un manque de crédibilité ? Alfred répond :
« Les dirigeants du festival propose une nouvelle liste, pourquoi pas ? Ils écoutent, ils entendent, ils reconnaissent leur erreur. Ce n’est pas une marque de faiblesse, c’est un bon signe. L’histoire est en train de changer et il faut s’en réjouir. Les choses changent grâce aux femmes d’ailleurs. Mais de là à parler de sexisme, je crois qu’il faut tempérer. »
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