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Mais à quoi sert donc le Forum d’Avignon ?

Davos de la culture, le Forum d’Avignon s’est tenu à Bordeaux le 31 mars et le 1er avril, non sans susciter quelques interrogations. Opération de com pour Alain Juppé ? Réseautage entre VIP triés sur le volet ? Débats loin des réalités de la culture sur le terrain ? Rue89 Bordeaux fait le bilan.

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Mais à quoi sert donc le Forum d’Avignon ?

Le mot d'Alain Juppé pour la clôture du Forum d'Avignon, avec Laure Kaltenbach, directrice générale, et Günther Oettinger, commissaire européen à l'économie et à la société numériques (WS/Rue89 Bordeaux)
Alain Juppé lors de la clôture du Forum d’Avignon, avec Laure Kaltenbach, directrice générale, et Günther Oettinger, commissaire européen à l’économie et à la société numériques (WS/Rue89 Bordeaux)

Le Forum d’Avignon, qui s’est tenu à Bordeaux le 31 mars et le 1er avril, a donné dans le clinquant au Grand Théâtre, où était invitée la fine fleur de l’industrie culturelle. Tribune de choix pour la puissance invitante, le maire de Bordeaux et candidat à la présidentielle Alain Juppé, le « Davos de la culture » a aussi attiré son lot de critiques. Après avoir suivi l’intégralité des débats, Rue89 Bordeaux fait le bilan.

Une opération de communication pour Alain Juppé ?

La 8e édition du Forum d’Avignon est à Bordeaux un peu comme le « Dakar en Argentine » dixit son président Hervé Digne. Initié à Avignon – d’où le nom –, le « Davos de la culture » s’est délocalisé en Gironde après Paris en 2014. Bordeaux s’est proposé pour accueillir cet événement « après un vote à l’unanimité au conseil municipal, opposition incluse, précise Fabien Robert, l’adjoint à la culture. Un budget de 75000 € a été voté et alloué à cette manifestation par la Ville, complété de 25000 € par la Métropole ».

Avec un budget global d’environ 500 000€, le Forum d’Avignon, qui a le statut d’association 1901, juge cette « délocalisation très réussie » :

« Bordeaux a constitué un cadre idéal. L’organisation par la Ville a contribué à la réussite de ce forum et a permis une bonne réconciliation [sic] avec Bordeaux. »

Difficile pour Alain Juppé de ne pas profiter d’une aussi belle occasion, surtout quand France Culture décide de poser ces micros dans les salons du Grand Théâtre. Le prétendant à l’Elysée a prononcé jeudi un discours programmatique qui n’a échappé à personne, surtout pas à Plantu qui a croqué en direct avec Cartooning for Peace. Le maire de Bordeaux a promis « une politique culturelle au cœur de [son] projet politique national et européen » axée sur l’éducation, le partage et la transmission, rappelant « que la culture constitue un véritable atout économique : 85 milliards d’euros, 3,5 % du PIB et près de 1,3 million d’emplois ».

Et comme l’ombre des attentats planait sur le Forum, qui accueillait le vice premier ministre et ministre des affaires étrangères et européennes belge, le maire de Bordeaux a rappelé que, contre la barbarie, « notre culture était notre meilleure arme pour résister ». Gardant un œil sur l’actualité du jour, il a caressé dans le sens du poil les nombreux intermittents participant ce 31 mars à la grève générale en appelant à « assumer et conforter le régime de l’intermittence » et « mettre fin aux abus de certains employeurs, y compris publics ».

Bref, l’ex Premier ministre a une nouvelle fois cherché à démontrer son aptitude à parler à l’électorat du centre, voire de gauche, et à se placer au dessus de la mêlée. Mais aussi, peut-être, raviver la nostalgie de ces présidents cultivés, ceux du siècle dernier qui posent dans la bibliothèque pour la photo officielle et ont vraiment lu les livres qui s’y trouvent.

Une entrée réservée aux VIP ?

Dans un billet publié sur son blog, Sandrine Doucet, députée PS de la première circonscription de la Gironde, a fustigé « le programme principal [qui] n’est accessible que contre un forfait de 900 euros ! » et regretté « qu’aucun effort n’ait été fait pour proposer des tarifs préférentiels aux acteurs culturels locaux », alors que la ville a subventionné l’événement.

Interrogée par Rue89 Bordeaux, l’organisation corrige ces propos :

« Malgré le désengagement du ministère de la culture dans le financement du Forum, nous avons voulu une édition entièrement ouverte au public, mais nécessitant une inscription préalable, dans la limite des places disponibles. Par ailleurs, nous avons proposé un forfait à 900€ pour un séjour organisé comprenant le dîner au Capc, le déjeuner à la mairie, les déplacements et l’hôtel. »

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Cependant, ces précisions ne semblent pas très claires dans la réponse reçue (voir capture écran ci-contre) par un professionnel de la culture bordelais qui a préféré garder l’anonymat. L’organisation l’invite à choisir entre deux options : la première consiste à débourser 900€ pour participer à « l’ensemble des débats, repas officiels, concert… » et la deuxième lui propose une inscription gratuite, temporairement fermée, à la première journée ouverte au public.

Selon la mairie de Bordeaux, 3000 personnes environ ont été présentes aux différents temps du forum, pour l’essentiel lors des évènements « hors les murs », c’est-à-dire le off du Forum. 30 personnes pour l’Internet libertaire à Darwin, 100 personnes pour les nouveaux entrepreneurs aux Vivres de l’art, 300 personnes pour les trois rencontres à Cap Sciences, 300 personnes à Sciences Po sur les industries créatives, 370 pour la projection de « A Perfect Day », 1000 personnes pour le concert de Yael Naïm, ainsi que 600 personnes pour la journée du 31 mars et 540 pour le 1er avril.

« Il y a aussi la question de la sécurité, précise Fabien Robert. La préfecture nous a rappelé que, en présence de nombreux ministres, nous devions nous assurer de l’identité des participants. Il était impossible dans ce cas de laisser l’entrée libre. »

Ces consignes de sécurité ont fait que le Grand Théâtre était souvent à moitié plein, au point que, le deuxième jour, les balcons ont été fermées pour garnir le parterre.

Le Forum d'Avignon au Grand Théâtre de Bordeaux (WS/Rue89 Bordeaux)
Le Forum d’Avignon au Grand Théâtre de Bordeaux (WS/Rue89 Bordeaux)

Et la culture bordelaise dans tout ça ?

Le Forum d’Avignon est un rendez-vous international. A Bordeaux, 30 nationalités étaient représentées pour discuter des programmes culturels européens. Le cadre européen a très vite été dépassé avec la présence, entre autres, de Ouided Bouchamaoui, présidente du patronat tunisien et prix Nobel de la paix 2015, de Gary Shapiro, producteur du plus grand rendez-vous mondial high-tech CES Las Vegas, ainsi que d’entrepreneurs aussi bien venus d’Afrique que du Canada.

La dimension européenne s’est souvent imposée. « Travaillons à un Erasmus culturel ! », a proposé Alain Juppé. « Mettons en place une journée de la culture européenne », a ajouté Renaud Donnedieu de Vabres, ancien ministre de la Culture et de la Communication du gouvernement Raffarin. « Qu’elle soit internationale ! », a surenchéri le conseiller culturel de l’émir du Qatar, Hamad Bin Abdulaziz Al-Kawari. Folie des grandeurs ou amorce d’un véritable projet ? Les débats s’égrenant à toute vitesse, une déclaration chassant l’autre, reste à voir si les belles paroles auront un lendemain.

Et Bordeaux ? Certains ont déploré le côté « hors sol » du Forum, qui aborde de vastes sujets sans vraiment s’intéresser au terreau local.

« Le Forum d’Avignon ne vient pas dans une ville qui n’est pas dynamique, insiste Fabien Robert. Nous avons montré qu’on sait faire, avec nos forces vives : Darwin, Les Vivres de l’Art, l’Université, Cap Sciences… Beaucoup d’intervenants ont découvert Bordeaux et il en reste des idées pour retravailler ensemble comme par exemple avec le collectif Cartooning for Peace qui pourrait intervenir dans des cadres éducatifs. A noter également la signature de la convention entre la Ville et Orange pour développer la fibre optique. »

Intervenant au Forum vendredi matin, Stéphane Richard, le PDG d’Orange, a dû quitter le débat avant la fin pour signer le matin même une convention avec Alain Juppé, et Pierre Dartout, préfet de Gironde. Celle-ci prévoit, avant fin 2017, que 90% de la ville soit raccordée à la fibre contre 30% actuellement.

Enfin, le prix du jury de la startup culturelle, une dotation de 3500 euros, a été décerné à Jamshake, une plate-forme de collaboration musicale en ligne créée en 2014 par deux musiciens bordelais. Les élus avaient, il est vrai, lourdement espéré qu’une jeune pousse locale soit mise à l’honneur…

Culture, numérique ou fric ?

Parmi les premiers intervenants du Forum, Michel Onfray a déclaré dans une courte intervention que « l’argent fait la loi […] dans une société de marché », puis endossé son nouveau costume de néo-réac en martelant qu’ « un jeu vidéo n’est pas Shakespeare ».

« Culture et numérique ne sont pas antinomiques », a répondu le lendemain Viviane Reding. L’ancienne vice-présidente de la Commission européenne et actuelle député européenne, a réclamé « un projet global » dans une Europe où « les gouvernements n’arrivent même pas à avoir une TVA culture commune ».

Alors qu’une étude exclusive du cabinet EY pour le Forum, préconise notamment de ramener la durée des droits d’auteurs après la mort de l’auteur à 50 ans – comme c’était le cas avant la loi du 27 mars 1997 qui les avait repoussé à 70 ans –, Viviane Reding a assené un « Touche pas à mes droits », et moqué une étude proposant des « mesurettes », devant un Pierre Lescure en modérateur interloqué.

Si certains ont plaidé pour une « politique fiscale européenne » et « innovante », sans plus de précision, on en est encore loin : Olivier Poivre d’Arvor, chargé de l’attractivité culturelle de la France, a ainsi rappelé qu’ « une vache européenne est 1000 fois plus subventionnée qu’un artiste européen ».

Le gourou américain de la High-Tech, Gary Shapiro, avait quant à lui prévenu de l’accélération fulgurante du progrès numérique. De ce fait, les états devraient rapidement se pencher sur la mise en place d’un cadre juridique. Ce que Cynthia Fleury, chercheuse en philosophie politique et psychanalyste, demande également pour le data qu’elle considère comme « une procédure de domination et de déshumanisation » avec l’expansion de l’utilisation des données personnelles à des fins commerciales.

Sur ces questions, la prochaine édition qui se tiendra à Toronto aura pour tâche impérative d’apporter un minimum de réponses.


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