Mine de rien, Claire Jaqcuet a bien calculé son coup. Après avoir pris connaissance de la date fixée pour l’inauguration de la Cité du Vin, elle a voulu « être en écho, se mettre au diapason » tout en faisant « un pas de côté ». La directrice du Fonds régional d’art contemporain explique :
« C’était la bonne occasion. Je connais le travail de Nicolas Boulard depuis quelques années. A ma connaissance, c’est le seul artiste qui travaille de manière étroite avec le monde du vin. »
Des codes et des normes
Le Frac Aquitaine invite alors Nicolas Boulard pour une exposition monographique. Sur la présentation de l’exposition, on peut lire :
« La singularité de sa démarche réside dans le dialogue, inattendu, qu’il tisse entre l’art et le vin, et ses modes de production. […] Ses œuvres sont de véritables espaces d’expérimentation où s’entremêlent les inspirations et les références à la viniculture et à l’histoire de l’art – notamment l’art minimal américain. »
Pour les inspirations et les références à la viniculture, pas la peine de chercher bien loin. L’artiste est né dans une famille de viticulteurs de Champagne. Depuis ses études à l’école des Beaux-Arts de Strasbourg, il a tout naturellement cherché à se frotter à la rigueur de la vinification « ses codes et ses normes », dit-il.
Pour les références à l’art minimal américain, il faut être monomaniaque pour tomber pile sur la bonne piste. Évidement que le land art saute aux yeux. Et pour les Bordelais avertis, du moins ceux qui ont mis les pieds dans le restaurant du Capc, il y a du Richard Long là-dedans, à condition de faire un calcul simple : de la terre + un mur + des formes rondes. Il y a aussi du Sol LeWitt, et aussi du Donald judd, et du Dan Flavin… Mais au fond, peu importe, pour apprécier l’exposition de Nicolas Boulard pas la peine de s’armer de tant de références, on peut y aller l’esprit blanc comme neige.
Le classement de 1855 revisité
Prenons les choses dans l’ordre. Le titre de l’exposition, « Critique du raisin pur », en dit déjà long. Si le fils de viticulteurs s’est nourri de la rigueur des assemblages et de la vinification, il s’autorise, avec dérision, les incartades les plus délirantes : mélanger les grands crus pour faire le top du top des grands crus, produire un vrai grand vin de Reims avec un mélange de vins achetés dans les grandes surfaces de la ville (sachant qu’aucun vin de l’appellation n’est produit intra-muros).
« J’ai voulu porter un autre point de vue sur le monde du vin, déclare Nicolas Boulard. Critique ? Pourquoi pas, mais critique est déjà un mot impur. Je me suis dit en arrivant à Bordeaux, qu’est-ce qu’on peut encore faire ? Le classement de 1855 m’intéressait beaucoup. Comment peut-on définir qu’une chose est meilleure qu’une autre ? »
Avec une certaine désinvolture, l’artiste s’immisce dans le processus viticole local. Il se rapproche des institutions, des producteurs et des fournisseurs. Patrick Lejeune, fabricant de cuves inox de vinification à Saint-Magne-de-Castillon, hésite longtemps avant de s’impliquer, dans la fabrication des œuvres de l’exposition du Frac, par peur de cette ironie que l’on peine à déceler jusqu’à ce qu’elle saute aux yeux.
De la rigueur graphique
Mais une autre porte est grande ouverte pour entrer dans l’œuvre de Nicolas Boulard, la rigueur graphique de son travail. A travers les structures ordonnées de ses installations et la maitrise des nuanciers des couleurs, la lecture est limpide, voire confortable. L’élève des Beaux-Arts, diplômé en arts plastiques et en communication graphique, se permet même un agencement didactique, accessoire certes, mais présent.
En retravaillant l’identité, le territoire, la géographie et les normes, l’artiste interroge les immuables conventions du passé et les règles en vigueur souvent érigées au rang du sacré. Il se joue des traditions allant des appellations d’origine contrôlée à la science des terroirs et des cépages, en passant par la notion d’héritage.
Avec « Critique du raisin pur », Nicolas Boulard revisite le vin et la vigne sans se soucier d’y mettre la forme. Avec un ensemble d’œuvres produites entre 2010 et 2014 et sept nouvelles créations montrées pour la première fois, il rappelle, au fond, qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse.
Infos pratiques
Exposition « Critique du raisin pur », Nicolas Boulard, du 19 mai au 10 septembre 2016. Frac Aquitaine, Hangar G2, Bassin à flot n°1, quai Armand-Lalande à Bordeaux. Entrée libre.
- Rencontre avec l’artiste le jeudi 23 juin à 19h à la Cité du Vin dans le cadre de Bordeaux Fête le vin, précédé d’une visite à 17h30 au Frac Aquitaine.
- Vitrinessur l’art aux Galeries Lafayette à Bordeaux du 4 au 30 juillet 2016
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