Mallarmé écrivait à propos de Rimbaud : « Le cas personnel demeure avec force. » Le rugby est un sport collectif, certes, mais il n’exclut pas l’expression du singulier. Bien au contraire. Cette singularité, d’ailleurs, s’exprime le plus souvent au profit de l’équipe, quand elle ne permet pas de dénouer l’issue incertaine d’une rencontre. En rugby, l’un est la condition de l’autre. Certains joueurs sont plus singuliers que d’autres. L’on doit, sans doute, à sa sensibilité cette « petite » préférence. Ainsi de Blair Connor, l’ailier australien de l’Union Bordeaux Bègles dite UBB.
On dit qu’il arriva à Bordeaux en tongues, muni de sa seule planche de surf. Je ne sais par quel hasard, l’Union, alors en Pro D2, mis le grapin dessus. Dieu que la pioche était belle. Le bonhomme, pourtant, ne payait pas de mine. Ce blondinet est de taille ordinaire, plutôt mince et ses épaules n’ont rien de celles d’un déménageur. Mais Dieu quelle énergie, quelle vivacité ! Elle suffit à déplacer des montagnes, à démontrer que le muscle n’est pas tout.
J’assistais, vendredi soir, au match UBB-Grenoble. Sur le coup d’envoi, Connor, sur le bord la touche, réceptionne le ballon dans ses 22. Et Hop, le voilà qui file, de sa course nerveuse, zigzague, gagne de précieux mètres avant d’être stoppé et de libérer la béchigue pour les siens. L’action se répéta puisque le demi d’ouverture isérois, par six fois (cinq essais et une pénalité) fut contraint à un coup d’envoi.
Comment fait-il cet énergumène pour se défaire ainsi de l’adversaire ? On le vit à plusieurs reprises créer des brèches dans le camp grenoblois. Une flèche blonde, insaisissable, déniant au calcul d’être la raison de tout. Le surf l’a-t-il aidé à dompter la ligne adverse sans cesse reconstituée comme autant de vagues ? Oh ! Bien sûr, il ne va pas toujours à dame.
Vendredi, il ne marqua pas d’essai. Mais il fit toujours avancer les siens. Pas un ballon qui ne fut bonifié. Un miracle et un mystère permanents. Pour la plus grande joie des spectateurs qui, avec Heini Adams, en ont fait leur coqueluche. Adams qui, lui aussi, mériterait d’être signalé. Dans un tout autre registre.
Il est, peut-être, le meilleur demi-de-mêlée du Top 14. Sa passe est d’une rapidité inouïe. Mais, surtout, il joue juste, possède une vision du jeu hors du commun. Quand il faut le poser, il le pose, quand il faut l’accélérer, il l’accélère. Et si ce n’est par ses mains, c’est par son pied qu’il procède. Enfin, c’est un filou. En témoigne l’essai du bonus contre Grenoble. Nous sommes à la 78e minute. Les hommes de Landreau ont une mêlée à quelques petits mètres de leur ligne d’en-but. Le troisième ligne centre tarde à se débarrasser du ballon, Adams le lui chipe et marque sous les poteaux. Le tour est joué et bien joué.
Bordeaux a bien de la chance d’avoir une telle équipe et de tels joueurs. Ici, le singulier et le collectif se mêlent avec efficace. Une belle leçon de vie. On ne remerciera jamais assez Laurent Marti de procurer ce bonheur-là dans la cité de Montaigne dont je ne résiste pas à citer cette phrase : « Tant c’est chose vaine et frivole que l’humaine prudence. » Elle va comme un gant à Blair Connor !
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