La France manque cruellement de scientifiques, d’ingénieurs, de techniciens. Le CNRS parle de crise de vocation scientifique, le Figaro titre « les ingénieurs courtisés par l’industrie », L’Usine Nouvelle constate que la France manque cruellement d’ouvriers spécialisés et plus encore de techniciens ; « le chaînon manquant ».
Où trouver ces ressources, nécessaires pour accompagner la timide reprise qui s’annonce en 2014 ? Comment convaincre les jeunes qu’ils ont tout à gagner à s’investir dans les enseignements scientifiques et technologiques ?
D’autres informations, tout aussi récentes montrent l’absence des femmes dans les métiers de l’industrie, leur part très faible dans les IUT qui préparent à ces métiers, leur stagnation à un bas niveau dans l’économie créative, l’informatique, les réseaux. Cherchez l’erreur…
Les réponses à ces questions d’une brûlante actualité se trouvent dans la remarquable exposition présentée à Cap Sciences depuis le 5 avril à Bordeaux.
Elle montre comment sont construites, dès l’enfance, les différences et les inégalités entre « Elles » et « Ils », c’est-à-dire entre une diversité de filles et de garçons, issus des milieux sociaux et culturels les plus variés. Elle raconte comment les filles sont progressivement écartées, avec leur consentement apparent, de toutes les filières les plus porteuses d’emploi et de réussite qui sont accaparées par les garçons.
Comprendre ces inégalités et la manière dont elles se créent, c’est trouver des solutions avec les enfants eux-mêmes. Leur dire que le chômage n’est pas une fatalité, qu’ils peuvent réussir, que l’industrie et la science française attendent les filles autant que les garçons dans ces domaines, comme une promesse d’avenir.
Aïe, est-ce que ce ne serait pas du genre ?
C’est la question que se sont posée 13000 pétitionnaires bordelais des comités Vigigender qui veulent stopper l’exposition « des Elles, des Ils » à Bordeaux, ou tout au moins faire pression auprès des parents et des enseignants pour qu’ils n’y accompagnent pas les enfants.
Le comité « exprime sa plus vive inquiétude devant cette initiative inutile, dangereuse et subversive qui cherche à prendre la place des familles, et risque de semer le trouble chez nos enfants dans l’acquisition de leur identité sexuée ».
J’ai vainement cherché la subversion dans ce palpitant parcours sur la construction des stéréotypes qui amènent inexorablement les filles à choisir leur carrière dans 300 métiers (les garçons choisissent entre 3000), les éloignant de ces « métiers d’hommes » auxquels elles pourraient prétendre au vu de leurs bons, très bons voire excellent résultats scolaires.
Cette exposition est captivante pour les parents comme pour les enfants qui apprennent à déchiffrer les codes auxquels, le plus souvent, ils participent et adhèrent sans en avoir conscience. Elle est à la fois scientifique et morale : une science rigoureuse et argumentée, une morale du respect de l’Autre, quelle que soit la couleur de sa peau ou son sexe. Destinée à tous, elle ouvre des horizons aux filles comme aux garçons, stimule leur envie de réussir dans leur vie professionnelle comme dans la vie tout court.
Une nouvelle panique morale
La pétition agressive de « Vigigender » est un nouvel épisode de panique morale (on se souvient du déprimant mot d’ordre de retrait de l’école des comités Vigigender et leur conséquences politiques en janvier dernier). La direction de l’exposition et l’animatrice se sentent obligées de préciser dans la presse que dans cette exposition « on ne parle pas de sexe ni d’orientations sexuelle » et qu’il s’agit de faire réfléchir filles et garçons sur leur orientation professionnelle. Contraintes de se justifier qu’il ne s’agit pas de genre, juste d’égalité ; qu’il ne s’agit pas sexualité, juste d’orientation professionnelle.
La pression des « antigenres » se met peu à peu en place. Après l’école et les bibliothèques municipales (à Mérignac, des parents avaient demandé le retrait de certains livres pour enfants des rayons de la médiathèque le mois dernier), c’est la science qui est pointée du doigt comme responsable de la sournoise introduction du trouble dans le cerveau de nos enfants.
Des extrémistes rassurés par des manifs anti mariage pour tous
Ce mouvement, devenu politique, est né des manifs anti mariage homosexuel à Bordeaux qui lui ont procuré une assurance et une légitimité. Il s’autoentretient en harcelant toutes les personnes qui, de près ou de loin, sont assimilées à des militants du « genre » et qui constituent une menace pour la civilisation dont les fondements chrétiens doivent être défendus, en particulier le socle sacré de la famille hétérosexuelle.
Cette assurance est confortée par la présence d’un des fondateurs de la Manif pour tous à Bordeaux, Edouard du Parc, au conseil municipal de Bordeaux depuis l’élection, du 23 mars 2014. On peut considérer Edouard du Parc comme l’expression politique de la droite catholique dans le large éventail des soutiens d’Alain Juppé, ancrant durablement les thèses réactionnaires de l’hétérosexisme (et leurs propos homophobes) dans le paysage politique de l’agglomération.
Nul doute que des manifestations « tranquilles » comme cette pétition contre l’exposition de Cap Sciences ou la demande de retrait de livres à la bibliothèque de Mérignac ont des relations avec des actions plus dures, telles que l’irruption de militants cagoulés et munis de fumigènes, se réclamant de l’Action Française et du Printemps Français, dans un amphithéâtre de la fac où une association féministe avait organisé une projection du film égyptien « Les femmes du bus 678 » à l’occasion de la journée du 8 mars 2014.
L’ambiguïté de l’Église sur le rôle de ce mouvement
Le souci de la justice et l’idéal d’égalité ont progressivement rallié, depuis le XIXe siècle, la majorité des chrétiens à la République. Les chrétiens se sont aussi convertis à l’égalité entre les sexes depuis 1945 et l’entrée des femmes dans la vie politique. Certains catholiques avaient même, sur ce point, des idées plus avancées que les partis laïques et anticléricaux bien avant la seconde guerre mondiale.
La question de la liberté sexuelle reste cependant une épine dans le pied d’une institution qui est restée patriarcale en comparaison d’autres églises chrétiennes. Les églises protestantes ont depuis longtemps admis le mariage des prêtres et l’accession des femmes aux fonctions ecclésiastiques. Elles s’ouvrent aujourd’hui aux possibilités des unions et mariages homosexuels. L’église catholique en est bien loin.
Cette impossibilité à concilier le « care » (comme soin des autres, affection, sollicitude) qui fait partie historiquement des valeurs de l’église catholique et le « genre » (comme rapport social de sexe marqué entre autres par la domination masculine) ouvre la voie aux dérives traditionalistes et extrémistes auxquelles nous assistons actuellement.
L’amalgame entre égalité, genre et sexualité
A qui profite le genre ? A tous, certainement, aux enfants en particulier, comme le montre l’exposition ce Cap Sciences. Aux mouvements extrémistes aussi qui profitent des amalgames entre égalité et genre et entre genre et sexualités pour rallier les plus tièdes, sans que les institutions religieuses et politiques à Bordeaux ne donnent de signaux clairs pour réaffirmer les principes républicains sur ces questions contemporaines.
Il est probable que les catholiques sont plus partagés qu’on ne le pense sur ces questions, en particulier ceux qui ont vécu le concile de Vatican II. Ceux-là ont le souvenir d’une église tolérante, « ouverte sur son temps » et qui s’interrogeait sur les changements sociaux. Peut-être pensent-ils aussi, en leur for intérieur qu’il n’est pas nécessaire de bloquer l’exposition de Cap Sciences pour défendre les valeurs de la famille (des familles), alors qu’il s’agit de promotion des filles et de respect entre toutes et tous.
Je leur conseille, ainsi qu’à tous les autres, d’aller voir en famille cette remarquable exposition. Ils pourront eux-mêmes juger en toute conscience si la pétition qui a été lancée est de salut public ou bien obscurantiste. S’il s’agit d’alerter sur les dérives de la pensée « gender » ou bien de souffler sur les braises d’une intolérance et d’un fanatisme dont il ne faut pas sous estimer les conséquences politiques.
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