« Être poil à gratter tout en brossant dans le sens du poil ». C’est l’exercice délicat auquel se prête la Commission locale d’information nucléaire (Clin) du Blayais, selon la formule d’une personnalité qualifiée de cette instance : en clair, donner la parole aux antinucléaire sans fâcher les autorités locales du nucléaire invitées (mais pas convoquées) à débattre avec le grand public, deux fois par an.
Ce lundi matin, à l’hôtel du département (la Clin dépend du conseil général), l’assemblée générale de cette commission réunit poussivement une vingtaine de personnes, dont plusieurs membres d’associations de protection de l’environnement, comme Tchernoblaye, Greenpeace ou la Sepanso. A la tribune, le directeur de la centrale du Blayais, Pascal Pezzani, et les responsables de la division de Bordeaux de l’ASN (autorité de sûreté nucléaire, le gendarme de la filière), font le bilan de l’année passée, puis répondent aux questions.
Le Blayais va devoir dégainer
Entre deux Powerpoint indigestes jaillissent ainsi quelques nouvelles sur cet univers très cadenassé.
Un intervenant rebondit notamment sur l’information, révélée en février par Mediapart, selon laquelle la moitié des centrales françaises sont menacées par un problème de corrosion des gaines de combustible. Celles-ci entourent l’uranium dans 25 des 58 réacteurs nucléaires, dont trois sur les quatre du Blayais. L’ASN juge que les « épaisseurs de corrosion » de ce gainage en Zircaloy ne sont « pas acceptables ». Elle a donné jusqu’au 30 juin prochain à EDF pour « mettre en place des mesures conservatoires » dans ces réacteurs.
« Nous sommes dans l’attente du remplacement programmé par EDF, et nous mettrons en œuvre ces décisions, répond Pascal Pezzani. Les analyses sont en cours. »
Deux options se profilent : soit remplacer les gaines en question lors de l’arrêt des réacteurs pour maintenance, soit baisser leur puissance. Le dossier est d’importance, car l’ASN va démarrer les visites décennales des réacteurs 3 et 4, préalables à leur éventuelle prolongation pour 10 ans. Mais on n’en saura pas beaucoup plus sur cet incident, pas plus que sur d’autres informations laconiquement évoqués, et qui auraient mérité quelques sous-titres.
L’Etat aux abonnés absents
En vrac : les réacteurs 1 et 2 du Blayais tournent avec une autorisation temporaire de fonctionnement, l’avis de l’ASN sur la prolongation de 10 ans de leur durée de vie n’ayant pas encore été rendu ; une expertise indépendante prévue sur le vieillissement de la cuve du réacteur n°2 n’a pas été menée à cause d’un marché infructueux ; et la Clin attend toujours une modification par la préfecture du plan particulier d’intervention (PPI), identique depuis 2002, et qui ne prévoit de mesures particulières en cas d’accident que dans un rayon de 10 kilomètres autour de la centrale du Blayais.
Mais aucun représentant de l’Etat n’est présent pour répondre à ces interrogations, déplore Jacques Maugein. Inversement, le prolixe président délégué de la Clin, et conseiller général de Saint-André-de-Cubzac, salue « la présence de militants anti-nucléaire » :
« Cela nous incite à poser de bonnes questions, c’est comme ça que nous faisons avancer le système. »
Noyer le poisson
Patrick Maupin, de Greenpeace, fait toutefois remarquer qu’ils sont moins les bienvenus lors des réunions techniques, réservées aux membres du bureau de la Clin. Il demande formellement à pouvoir participer à la prochaine, le 27 mai, consacrée à l’impact environnemental de la centrale.
Le sujet est en effet brûlant : selon des estimations divulguées par l’étude d’impact sur l’utilisation du combustible MOX dans les réacteurs 3 et 4 du Blayais, les prélèvements d’eau pour refroidir la centrale détruiraient 20% des organismes vivants.
« Or les pêcheurs de l’Estuaire constatent une diminution drastique et générale de leurs prises, notamment de poissons migrateurs, abonde Jacqueline Rabic, figure du Syndicat des pêcheurs professionnels de la Gironde. La centrale a ainsi un impact très important, sans qu’aucune compensation financière ne soit attribuée. »
Grand central
La question reste cependant tabou. Tout comme celle des salariés du nucléaire victimes d’irradiations : pour des raisons de confidentialité, l’affaire étant du ressort de la médecine du travail, on ne saura pas ce qu’il est advenu d’un travailleur sous-traitant, qui avait dépassé sa limite d’exposition aux radiations à cause de la présence d’une particule radioactive dans le cou.
Mais avec 17 accidents ayant entraîné des arrêts de travail en 2013, EDF assure que ces évènements sont en baisse au Blayais. Une bonne nouvelle, qui comme les autres annoncées lundi, doit être prise pour argent comptant.
Afin de donner plus de poids et d’indépendance aux commissions de liaisons, la loi de 2006 sur la transparence dans le nucléaire prévoit leur transformation en associations, financées grâce au produit des taxes versées par les centrales – leur budget est actuellement assuré par les conseils généraux, avec une subvention de l’ASN.
Le hic, souligne Patrick Maupin, de Greenpeace, c’est que « aucun gouvernement n’a eu le courage de traduire cette disposition dans les lois de finance ». Les Clin restent donc pour l’essentiel entre les mains des départements, et dépendent de la bonne volonté des élus. De l’avis de plusieurs observateurs, celle de Gironde n’est depuis l’accident de 1999 au Blayais, pas la moins concernée.
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