A quelle(s) occasion(s) le public extérieur – c’est-à-dire tout le monde excepté les étudiants, les enseignants-chercheurs, et les personnels universitaires – est-il convié à venir voir ce qu’il se passe sur les campus, dans les salles de cours et les amphis ? A ma connaissance, pas très souvent.
Que sait-on communément du quotidien des enseignants-chercheurs (à part quand ils passent à la télé) et de celui des étudiants (à part quand ils sont dans les bars) ? Que sait-on des cours qui sont donnés ? Des recherches menées ? De celles qui aboutissent ? Peu de choses. Parfois, certes, on entend parler des conflits entre l’administration et les enseignants – avec ces ministres ou secrétaires d’Etat auxquels s’opposent les profs. Comme partout quoi.
Représenter l’université
Frederick Wiseman, cinéaste et documentariste américain de 84 ans, a installé ses caméras pendant plusieurs mois dans l’université de Berkeley, en Californie, à côté de San Francisco. Berkeley fait partie des plus prestigieuses universités américaines, Nobels et autres prix à l’appui. Elle avait aussi, jusqu’à il y a peu, la particularité d’être financée à moitié par l’Etat de Californie – ça semblerait la moindre des choses en France, mais aux Etats-Unis c’est très rare. Wiseman filme, précisément, ce moment de 2013 où l’Etat en crise décide de diviser par quatre sa dotation à l’université (de 47 à 12% du budget de celle-ci).
Voilà pour le contexte. Tout au long du documentaire, on voit les discussions entre membres de la direction, qui cherchent comment faire des économies tout en ne défavorisant pas les plus pauvres. On voit aussi les quelques actions étudiantes, maladroites, qui tentent de s’opposer aux mesures prises.
Mais le film montre surtout le quotidien de l’université de Berkeley. Les entrées et sorties des étudiants, les pelouses impeccablement tondues, les cours magistraux en amphithéâtre, les employés qui ramassent les feuilles mortes, les échanges en petit groupe entre professeur et élèves, les discussions au sein des associations, ou encore les spectacles montés par les étudiants.
Si si, il y a des trésors cachés dans les facs
L’ordinaire d’une fac. Mais un ordinaire passionnant. Montré en longs plans séquences ininterrompus, avec la caméra qui saute de visage en visage. On n’imagine pas la richesse des échanges qui ont lieu, des savoirs qui sont créés et transmis. Bien entendu le réalisateur a fait le tri dans toutes les séquences filmées, bien entendu il s’agit d’une grande et prestigieuse université, mais cette richesse-là est présente bien plus souvent qu’on ne le pense, à l’université comme ailleurs.
Et cela dans tous les domaines, de la construction de robots à la lecture de Thoreau, en passant par des réflexions sur les inégalités sociales. On ne peut qu’être émerveillé devant toutes ces choses, et vouloir en savoir plus encore. On redécouvre la simplicité de l’échange et de l’apprentissage désintéressé : on ne sera pas évalué à la sortie de la salle de cinéma, ni jugé par un employeur.
Car n’est-ce pas cela avant tout, l’université ? Un lieu de découverte, de rencontre. Et pas un moyen d’acquérir un diplôme ou un tampon à monnayer sur le marché du travail. Il existe bien, dans cet esprit, des universités populaires, des cours ouverts à tous (par exemple celui de philosophie donné par Bernard Stiegler), mais qui doivent se développer en dehors des universités classiques.
Populariser le savoir
Alors pourquoi les « non-universitaires » sont-ils si peu conviés à venir voir ce qu’il se dit et s’échange dans les universités ? Et ce film, malgré ses qualités, n’y changera rien : qui va, au cinéma, voir un documentaire de 4h ? Pas grand monde. Qui vient, dans les universités, assister aux conférences, débats, tables-rondes ? Quelques profs, quelques étudiants qui se sont perdus, et quelques anciens élèves. Quels liens, en dehors des transports en commun, relient les campus (Montaigne-Montesquieu) aux cités (Saige), pourtant si proches géographiquement ?
L’université est isolée, et pas grand monde ne cherche à ce qu’il en soit autrement. L’Université Bordeaux Montaigne cherche bien à « se raconter », mais à qui parle-t-elle ? Et qui veut l’entendre ?
Comme l’université qu’il montre, « At Berkeley » ne s’adresse qu’à une petite population, sélectionnée. Sélectionnée par qui, par quoi ? Par l’élitisme français, qui dit à un petit nombre qu’ils sont les meilleurs, et aux autres que le savoir ça n’est pas pour eux.
Chargement des commentaires…