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30/04/2024 date de fin
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Une toile sur Fukushima censurée à Blaye ?

L’association de commerçants qui organise « Ville galerie », une expo dans les rues de Blaye, a retiré une toile de Jofo, inspirée de la catastrophe de Fukushima, à la demande du propriétaire du mur, employé de la centrale nucléaire voisine. Mais le responsable de l’évènement promet un nouvel accrochage avant l’été.

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Une toile sur Fukushima censurée à Blaye ?

"Petit marin nippon", de Jofo, a cédé la place à "L'étalon rouge", de Thierry Bisch (DR)
« Petit marin nippon », de Jofo, a cédé la place à « L’étalon rouge », de Thierry Bisch (DR)

Un artiste peut-il évoquer les risques du nucléaire à Blaye (Gironde), où vit une bonne partie des 2000 salariés de la centrale du Blayais ? Non, estime L’Observatoire du nucléaire. En retirant il y a deux mois une reproduction en 4×3 d’une peinture de Jofo inspirée de la catastrophe de Fukushima, puis en la remplaçant vendredi dernier par une autre œuvre, « L’étalon rouge », les organisateurs de l’évènement « Blaye Ville Galerie » se sont attirés les foudres de l’association anti-nucléaire.

Ce mardi dans un communiqué, celle-ci dénonce une « insupportable censure opérée par le maire et les commerçants de la ville, démontrant leur assujettissement absolu à la centrale nucléaire toute proche » ; elle indique son intention de saisir la ministre de la Culture Aurélie Filipetti de cette question, et ajoute qu’elle appelle à manifester à Blaye le 26 avril, date anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl.

Un marin qui fait des vagues

Ce coup de gueule fait suite à un article paru ce mardi dans Sud-Ouest, selon lequel l’œuvre de Jofo « sujette à polémique est repartie vers un autre destin, hors de Blaye ». Directeur artistique de Blaye Ville Galerie, Thierry Bisch nie farouchement :

« Jofo n’a pas été censuré. Le “Petit marin nippon” sera réinstallé avant le mois de juillet sur un très beau mur, avec 20 autres artistes. Et on ne fera rien sans l’accord de Jofo. »

Ce mardi matin, le peintre et musicien bordelais attendait encore un coup de fil, et s’étonnait des vagues provoquées par son marin.

« D’après Sud-Ouest, le maire ne tenait pas du tout à la présence de cette toile avant les élections. Maintenant qu’elles sont passées, on va peut-être finalement la remettre en place. C’est un hommage aux victimes de Fukushima, une catastrophe qui m’a marqué parce que j’avais voyagé là-bas, mais ce n’est pas du tout une œuvre anti-nucléaire radicale. Les habitants de Blaye n’ont pas besoin de mon travail pour être sensibilisés à cette question. »

Ancien responsable CGT à la centrale du Blayais, le maire de la commune, Denis Baldès, dément toute intervention :

« Le tableau de Joffo est resté accroché pendant 5 mois, et il pouvait y rester 6 de plus, je le trouvais pas mal. Mais ce sont les commerçants qui en ont décidé ainsi, je n’ai rien à voir là dedans. »

En janvier dernier, Denis Baldès disait néanmoins ses réticences :

« Que doivent penser ceux qui pilotent les réacteurs en passant devant ce tableau chaque matin ? Là, ce n’est pas comme une exposition où on fait le choix d’aller. C’est comme si on mettait dans un aéroport l’affiche d’un avion qui s’écrase ! »

Le Blayais, terrain miné

Ni le directeur de la centrale ni les entreprises mécènes de Blaye Ville Galerie ne sont non plus intervenus pour faire retirer le Petit marin nippon, assurent en cœur les organisateurs de l’exposition. Témoignant d’incompréhensions de la part des habitants de Blaye, ils assument ce choix, pris à la demande du propriétaire du mur sur lequel elle était exposée :

« Nous avions donné carte blanche à Jofo, il nous avait expliqué le sens de son œuvre, et nous avions accroché la reproduction en 4×3 en novembre, raconte Paul Zaruba, architecte à Blaye et initiateur de l’opération. Tout allait bien jusqu’à ce que, boum, il écrive un cartel (plaquette d’informations sur le tableau, NDLR) dans lequel il explique les dangers du nucléaire, une technologie selon lui non maîtrisée par l’homme. Comme toute énergie, elle présente des risques, il n’a pas tort. Le problème c’est que le propriétaire du mur, qui nous prêtait gracieusement cet espace, travaille à la centrale du Blayais, et il n’en a plus voulu. »

On demande alors à Jofo de modifier son cartel ou de proposer une autre œuvre, ce qu’il refuse. Il fait part de la polémique sur sa page Facebook. Pour Paul Zaruba, l’artiste aurait dû rester suggestif :

« Tout le monde pensait que la toile représentait la citadelle de Blaye et c’était très bien. Une peinture c’est comme une chanson en langue étrangère dont on ne comprend pas les paroles, l’artiste peut laisser les gens libres d’imaginer ce qu’ils veulent. »

Ici, pas question donc de faire les sous-titres. Et la cimaise est enlevée en février.

« J’avais prévenu Jofo qu’à Blaye, il serait en terrain miné, souligne Thierry Bisch. Je lui ai dit que je ne le censurais pas, mais qu’il ne faudrait pas pleurer si ça grippait. »

Pas de politique

Lorsqu’on demande pourquoi l’affiche n’a pas été déplacée ailleurs, Thierry Bisch explique que les raisons étaient « techniques » (difficultés à trouver et préparer un mur pour accrocher une telle installation géante). Et il signale avoir choisi de remplacer le Petit marin nippon par une œuvre de son cru, « L’étalon rouge », pour prévenir toute nouvelle polémique.

Les responsables de Blaye Ville Galerie critiquent avec véhémence la récupération politique de l’incident par TchernoBlaye (autre association de Stéphane Lhomme, président de l’Observatoire du nucléaire) – « contrairement à Greenpeace, elle n’ose pas grimper sur le toit des centrales ». Mais cela n’empêche pas de glisser à leur tour quelques messages :

« Notre but, c’est pas de censurer l’art, insiste Frédéric Mazeaud, président de l’ACAIPLCB (association des commerçants du canton de Blaye). On a pas la volonté de nuire, pas plus à l’artiste qu’au personnel de la centrale et aux antinucléaire. Mais il faut respecter aussi ceux qui travaillent tous les jours au Blayais et font en sorte que se tout se passe bien, 2000 personnes qui vont mouiller la chemise. »

Paul Zaruba y va d’un couplet pro-atome :

« Que TchernoBlaye aille en Russie chercher du gaz ! Heureusement qu’on ne dépend pas de cette énergie ou du charbon. Le nucléaire nous empêche de revenir à l’âge de glace. Mais nous, on est pas là pour mettre le bazar. On veut animer les rues de la ville. »

L’animation du débat est en tous cas réussie.


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