C’est un bâtiment que l’on ne remarquait plus. Un ouvrier sur le chantier nous confie qu’il le croyait abandonné : il n’imaginait pas un seul instant que des bureaux se trouvaient derrière ces façades noires et ces fenêtres grillagées.
Pourtant, le bâtiment de la Bourse du travail contient des chefs d’œuvres absolus des grands artistes de la première moitié du XXe siècle : François-Maurice Roganeau, Pierre-Albert Bégaud, Jean Dupas… sans compter l’imposant bas-relief qui orne la façade principale signé Alfred-Auguste Janniot.
Les premières « bourses »
L’histoire du syndicalisme bordelais remonte à 1873. Un « comité d’initiatives » permet une union ouvrière qui s’occupe d’organiser les délégations aux congrès ouvriers et de préparer la liste des candidatures ouvrières aux élections politiques.
L’idée de la Bourse du travail remonte à bien plus tôt, quand à Paris, le député et préfet de police, un certain Ducoux, dépose en 1848 à l’Assemblée nationale un projet d’une « bourse » qui pourrait être « un lieu d’échange et de connaissance du marché du travail ». Cette idée prend forme à Bordeaux, en 1876, quand les comités d’initiatives se retrouvent réunis dans un siège commun au 4 rue Mauriac à Bordeaux ; l’ancêtre de la Bourse du travail.
Après les manifestations organisés en février 1889 suite au congrès syndical de Bordeaux de 1888, un arrêté municipal du 25 septembre 1889 crée une Bourse du travail au 42 rue de Lalande, dans l’ancienne école de médecine. La Mairie est dans les mains du républicain Adrien Baysselance qui venait de battre Alfred Daney. Son idée n’est pas innocente : il veut canaliser les mouvements syndicalistes. La Mairie refuse donc de laisser la gestion aux syndicats. Elle impose la présence d’un représentant municipal lors des réunions et un contrôle politique et policier. Ce principe fait fuir certains syndicats comme celui des couturières de Bordeaux.
En réaction à cette tutelle, se crée la Bourse du travail indépendante au 32 rue du Mirail qui rassemble 5000 travailleurs sous l’égide de l’Union fédérative des syndicats.
La Bourse aux syndicats
En 1896, la Mairie cède enfin la gestion de la Bourse du travail municipale aux syndicats. En 1899, 36 syndicats et 6000 adhérents sont dans les lieux. Une union voit le jour en 1901 : Fédération des syndicats ouvriers de la Gironde qui se déclare adhérente à la Confédération générale du travail, la CGT, créée 6 ans plus tôt, à Limoges, en 1895.
Contrariée par l’adhésion à la CGT, la Mairie menace en 1904 de supprimer la subvention de la Bourse. Ce qu’elle fit en 1908. Elle décapite ainsi l’Union girondine CGT et force ses trois permanents à chercher du travail.
En 1909, une nouvelle Union verra le jour. Elle sera départementale. L’Union départementale CGT instaure les bases d’un fonctionnement solide en 1909. Dans les années 1920, l’UD CGT et les syndicats demandent une Bourse du travail plus grande. C’est avec l’arrivée en 1925 du maire socialiste Adrien Marquet que le projet est adopté. Marquet est alors ministre du Travail dans un gouvernement d’union nationale. Son but est de développer une politique de transformation sociale en construisant et en modernisant les équipements de la ville de Bordeaux.
La Bourse du travail sous le règne d’Adrien Marquet
En février 1928, la municipalité attribue le terrain du réservoir d’eau désaffecté de Sainte-Eulalie – actuel emplacement cours Aristide-Briand – pour bâtir la nouvelle Bourse. Mais ce n’est que le 11 juin 1934 que la première pierre fut posée. Les élections de 1935 approchant et la scission néo-socialiste ayant diminué le crédit d’Adrien Marquet auprès des ouvriers, il devenait urgent de lancer les travaux.
Ce bâtiment grandiose fut le monument symbolique qu’Adrien Marquet offrit aux syndicats afin de conforter son assise de maire de gauche. L’architecte municipal Jacques d’Welles – à qui on doit également le stade Chaban-Delmas – fut investi de ce qui devait être l’œuvre de sa vie. En plus des bureaux syndicaux, la Bourse devait accueillir des salles de cours et de conférences, une bibliothèque, une immense salle de spectacles et de congrès.
Le 1er mai 1938, Marquet inaugure l’édifice symbole de son règne. Il déclare : « Le travail a le droit de bénéficier d’un peu de la splendeur qu’il a répandu dans le monde. »
Lieu de culture et d’émancipation
La Bourse datée de 1936 sur sa façade ne fut « livrée » à la CGT que deux ans plus tard. Les syndicalistes en profitent deux ans à peine. En 1940, elle est réquisitionnée par les Allemands pour les services de leur gendarmerie. La CGT est dissoute. Quelques syndicats affaiblis regagnent la bourse de la rue Lalande. Après la guerre, la CGT réunifiée dans la résistance reprend les locaux du cours Aristide-Briand.
En 1948, une frange dissidente de la CGT crée Force ouvrière. Jacques Chaban-Delmas alors maire de Bordeaux demande le partage des locaux entre la CGT et la CGT-FO. La justice tranche en faveur de la CGT et la FO retrouve la rue Lalande.
La Bourse du travail devient alors un important lieu de culture et d’émancipation. Sa salle de spectacle – aujourd’hui la salle Ambroise Croizat – sera la plus grande de Bordeaux et devient un haut-lieu de la culture avec 1200 places. La tribune au pied de la fresque de Jean Dupas accueille les plus grands orateurs. En 1965, François Mitterand, candidat unique de la gauche interdit de salle à Bordeaux, y trouve une tribune grande taille.
Les événements et les meetings s’enchaînent. La salle accueille les ouvriers en colère de Dassault en 1967, le mouvement de 1968, les soutiens à l’indépendance de l’Espagne, de l’Algérie et du Vietnam…
La nécessité et le démarrage des travaux
A la fin des années soixante-dix, la Bourse du travail commence à perdre de sa superbe. Le hall assombri devient encombré par des préfabriqués par manque de bureaux alors que le 4e étage est condamné et la terrasse fermée pour des raisons de sécurité. Commencent alors des années de procédures administratives pour classer le bâtiment comme monument historique. Il le devient en 1998.
Les travaux de rénovation peuvent enfin être envisagés. Dans cette affaire, la DRAC, la Mairie, le Conseil général et le Conseil régional sont impliqués. Sur le prix des travaux, les quatre institutions ont du mal à se mettre d’accord. Il faudra ensuite connaître et décider de la nature des dégradations, des traitements et travaux à réaliser. Là aussi les accords ont du mal à s’établir : le 4e étage condamné depuis 6 ans voit son plafond s’effondrer. Il est alors question pour certains de le raser et de le reconstruire, mais pas pour d’autres.
Un comité de soutien voit le jour en 2001. L’objectif est de constituer une dynamique et de solliciter d’urgence les pouvoirs publics concernés pour un démarrage immédiat des travaux. Un premier budget est fixé pour la rénovation des façades et du 4e étage. Il faut pendant ce temps laisser les bureaux accessibles à la centaine d’employés qui continuent à y travailler. Les plans de sécurité posent problème.
Ce n’est qu’en novembre 2011 que les travaux démarrent sous la maîtrise d’œuvre de l’architecte du patrimoine Carole Dupuis Le Maréchal. Le coût est de 3 625 000 € pour la rénovation du 4e étage et des façades. L’étage est terminé et la livraison de la façade principale s’est effectuée hier 30 avril.
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