Rue89 Bordeaux : Êtes vous surpris par les résultats locaux des élections européennes, en particulier le score du Front national, dont la liste menée par Louis Aliot est arrivée en tête dans le Grand Sud-Ouest ?
Olivier Costa : Non, ce n’est pas une surprise. C’est vrai que le FN n’est pas très en ligne avec la vie politique dans le Sud-Ouest. Or il fait jeu égal avec le Parti socialiste dans les Landes, notamment, c’est assez inédit ! Mais cela ne m’étonne pas au vu du déroulement de la campagne. L’UMP est allé chercher Michèle Alliot-Marie, bien que sa crédibilité soit contestée, y compris dans son propre camp (elle a par exemple déclaré qu’elle allait « perdre de l’argent » en allant à Bruxelles, NDLR). Le parti de Jean-François Copé s’est empêtré dans ses conflits internes.
Le Parti socialiste a choisi comme tête de liste Virginie Rozière, une inconnue issue du Partie radical de gauche, et personne n’avait envie de faire campagne pour elle. Pour se mobiliser, les électeurs devaient eux aussi être très motivés, car il n’y a pas eu beaucoup de meetings dans la région. Mais ne pas faire campagne est aussi une stratégie délibérée, notamment du côté du PS, afin de minorer ensuite la portée de cette élection. L’UDI-Modem de Robert Rochefort et Europe écologie-Les Verts, avec José Bové, ont fait de bons résultats. EELV réduit tout de même quasiment de moitié son score par rapport à 2009.
Quels sont les ressorts du vote FN ?
D’abord, le parti de Marine Le Pen s’est, lui, engagé dans la campagne, et il a profité de son message clairement anti-européen, alors que le PS et l’UMP sont divisés sur l’idée européenne. Le contexte de crise politique et d’impopularité très importante du gouvernement lui sont aussi très favorables, tout comme le contexte confus de l’élection, avec une profusion de listes totalement inconnues. Enfin, la crise économique qui dure et contre laquelle l’alternance droite-gauche ne change rien, place le parti d’extrême-droite en recours, car il ne participe pas au pouvoir.
Vous parlez d’enjeux nationaux. Est-ce à dire que le découpage en circonscriptions ne change rien ?
Ce sont des circonscriptions artificielles, issues de nulle part. Les gens ne savent pas qui sont leurs élus, et ceux-ci ne peuvent pas travailler vraiment leur territoire, beaucoup trop grand. Quand ils le font, la logique n’est pas respectée : le député Alain Lamassoure, un des seuls députés sortants du Grand Sud-Ouest très présents sur le terrain, a fini par être investi en Île-de-France. Mais la campagne ne s’est pas déployée sur le terrain, et les médias n’ont pas saisi les enjeux, ou les ont cantonné à des préoccupations nationales. Cela bénéficie au FN, qui commence à essaimer dans les zones rurales (en Gironde, le FN réussit ses meilleurs scores dans le Médoc à Lesparre – 37,61 % – et Pauillac – 35,29 % -, NDLR), où il profite de la crise sociale qui frappe les campagnes. Et la notoriété des candidats n’a aucune importance : avec l’étiquette FN et l’image de Marine Le Pen, un âne serait élu.
Les députés européens sortants ont ils assez valorisé leur action à Bruxelles ?
Non, et pourtant ils ont obtenu quelques résultats, notamment le verdissement de la Politique agricole commune, qui va dorénavant moins bénéficier aux céréaliers, et davantage aux éleveurs de montagne. Et c’est cela qui est le plus dommageable. Le FN va envoyer 25 députés, mais certains ne mettront jamais les pieds au Parlement, comme Jean-Marie et Marine Le Pen en ont l’habitude. D’autres n’y entendront rien. Et ils ne devraient pas parvenir à constituer un groupe avec les élus nationalistes et populistes des autres pays. Bref, ce seront des poids morts.
Manif de SOS Racisme pour dire « pardon à l’Europe »
C’est un lendemain qui ne chante pas. Il rappelle étrangement celui du 21 avril 2002, accession de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour de l’élection présidentielle. Sauf que la plupart des 300 manifestants réunis place de la Victoire ce lundi soir ne connaissent cet évènement que par leurs parents, ils ont entre 20 et 25 ans. Après les élections européennes, qui a enregistré la poussée du Front National, ils ont répondu à l’appel de SOS Racisme, dont le pôle étudiant a lancé dès dimanche soir l’idée d’un rassemblement.
« C’est une première étape. Si d’autres événements s’organisent au niveau national, on suivra », raconte Sandrine Malet, présidente de SOS Racisme Gironde.
Théo, 20 ans, syndicaliste à la Solidarité Étudiante, explique ses motivations :
« C’est grave que le FN soit en tête. Il fallait bien une riposte antifasciste. Au Front National, on veut faire croire qu’ils ont fait table rase de leur discours négationniste et raciste. Mais c’est faux. »
Les drapeaux d’Europe Écologie côtoient ceux de la Jeunesse communiste et de la FSU. Claire, 20 ans, arbore un autocollant « Touche pas à mon pote » et se désole que le Front National soit ainsi bombardé « premier parti de France ».
« Manifester, c’est une façon de dire pardon à l’Europe, précise cette étudiante à Bordeaux Montaigne. Le score du FN n’est pas représentatif, il y a un gros taux d’abstention car le discours politique est en décalage avec les citoyens. Il faut que le gouvernement adopte une politique pour laquelle il a été élu il y a deux ans de ça. Ce qui s’est passé hier ne nous ressemble pas ! »
Sandrine Malet partage le même avis :
« L’image de la France est entachée mais le pays n’est pas raciste. C’est une colère ; une colère par l’abstention qu’il faut transformer en espoir. Il faut intégrer tous les exclus à la Nation et arrêter avec ce discours gestionnaire qui ne fait pas un projet politique. »
Un rendez-vous national est donné le jeudi 29 mai pour une marche contre le F Haine. A Bordeaux, elle aura lieu place de la Victoire à 11h.
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