Rue89 Bordeaux : Pourquoi My Global Bordeaux s’arrête ?
Isabelle Camus : Le site n’est jamais vraiment parvenu à être rentable. Ces derniers temps, nous ne pouvions plus rémunérer nos pigistes et j’assurais l’essentiel des publications. Un vrai crève-cœur. Au lancement, en 2012, nous avions mis en place un modèle économique sur trois piliers : une agence de publicité sur Internet, la mise en vente de box, des coffrets surprises contenant des produits ou des services locaux, et la rédaction d’enquêtes payantes. Nous n’avons jamais mis en place le système d’articles payants. Les annonceurs étaient difficiles à convaincre et les coffrets nous coûtaient trop cher. Leurs ventes n’ont pas cessé d’augmenter mais même à 20 euros la boîte nous ne rentrions pas dans nos frais. Avec des charges salariales trop importantes, un loyer de 500 euros et des actionnaires pas assez nombreux, ça ne pouvait pas fonctionner.
Le site avait-il trouvé son public ?
Oui, les audiences étaient bonnes avec plus de 1000 visiteurs unique par jour et une bonne visibilité sur les réseaux sociaux presque 4000 abonnés au compte Facebook. Nous avons rempli notre contrat éditorial. Le site était crédible pour les lecteurs. Malheureusement cela ne suffit pas pour séduire les annonceurs.
Nous n’avons pas su démarcher efficacement les entreprises à la recherche de support publicitaire. On ressent encore une frilosité à l’idée d’acheter des espaces de publicité sur Internet. Surtout dans un site d’information locale. C’est particulièrement vrai pour les entreprises que nous ciblons : les petits commerçants ou les enseignes de quartier. Et puis nous ne faisons pas le poids face à Sud Ouest et son armée de commerciaux.
Nous subissons aussi la concurrence des blogs dont certains proposent aux entreprises des articles gratuits à la frontière entre publicité et information. Pourtant nous avions un ton bien à nous, je reste convaincue qu’il y avais une place pour nous dans le paysage médiatique bordelais.
Avez-vous tenté d’évoluer pour améliorer la situation ?
Au début nous refusions de publier des publi-reportages pour préserver notre indépendance. Nous avons finalement dû nous y résoudre. Une plate-forme dédiée au publi-reportage et au contenu sponsorisé par des entreprises a été mise en place sur le tard. C’était une décision difficile mais, pour être indépendant, un site doit fonctionner or c’est une entreprise qui a nécessairement besoin d’argent pour vivre. Mais nous n’avons pas vendu notre âme au diable. Nous gardions le contrôle sur les sujets choisis, sur les angles. La nature de ces contenus étaient clairement indiquée au lecteur.
Sur la fin, le Conseil Général a aussi accepté de nous prendre des contrats de publicité. Comme la mairie, avec un petit contrat d’une valeur de 1000 euros. Mais il était déjà trop tard pour redresser notre situation.
Si c’était à refaire, vous vous y prendriez différemment ?
Certainement. Le principal enseignement est qu’avoir un nombre conséquent de lecteurs ne suffit pas. Il faut une assise financière à la base pour pouvoir tenir jusqu’à atteindre le seuil de rentabilité. En 2012, quand My Global Bordeaux s’est professionnalisé, nous partions de rien. Nous étions des artisans du net, sans beaucoup de moyens. Beaucoup d’erreurs ont été faites comme recruter trop rapidement un salarié en CDI ou intégrer des locaux un peu trop coûteux. Notre budget était plombé dès le départ.
Si c’était à refaire je lancerais plutôt une société coopérative et participative, une SCOP, pour investir tout le monde dans l’aventure et partager les responsabilités. J’ai laissé beaucoup de mon argent personnel pour tenter de sauver le site. Aujourd’hui, je ne repartirais pas sans un généreux mécène.
Pensez-vous que l’information locale uniquement sur Internet puisse être viable ?
Vendre une production intellectuelle est difficile. Mais si elle est en plus immatérielle cela devient un véritable défi. La dématérialisation n’est pas encore rentrée dans les mœurs. L’idée que le contenu disponible sur Internet est forcément gratuit est encore très répandue. Il est difficile de faire comprendre aux gens que derrière un site d’information se cache une vraie entreprise avec des journalistes salariés qu’il faut rémunérer.
Mais les mentalités évoluent dans le bon sens. My Global Bordeaux ne pouvait pas fonctionner en 2014 mais dans 10 ans, ce modèle sera peut-être viable. Nous sommes à un tournant. Pour survivre aujourd’hui il faut prendre des risques et inventer. Créer des modèles économiques et éditoriaux qui n’existent pas encore.
L’inconfortable place de l’information régionale sur Internet
Le modèle des médias régionaux exclusivement diffusés sur Internet, est fragile. Les annonceurs privilégient toujours les versions numériques ou papiers de la presse régionale traditionnelle. A Bordeaux, le média régional Aqui, l’un des pionniers en France, opte depuis 2007 pour la gratuité totale et mise en parallèle sur la formation professionnelle pour rentrer dans ses frais. Grâce à elle, ses comptes sont légèrement positifs cette année.
Mais le modèle du tout gratuit est appelé à évoluer. Dans un avenir proche, Aqui proposera également une application payante avec des angles originaux et des informations inédites axées sur la qualité de vie. Pour la financer, Joël Aubert, le fondateur du site, procède à une levée de fonds depuis plusieurs mois mais rencontre toujours la même méfiance du côté des investisseurs : « C’est un travail lent, il faut être toujours plus persuasif pour faire évoluer les mentalités et montrer qu’à côté des mastodontes de la presse régionale existe des médias plus modestes mais qui trouvent peu à peu leur public ».
Et Rue89 Bordeaux ? Nous avons opté pour un accès libre à nos contenus, financé par la publicité. Il est encore trop tôt pour faire un bilan de notre activité, démarrée fin janvier. Mais nous sommes d’ores et déjà heureux de l’audience rencontrée par notre site, qui oscille depuis février entre 35000 et 60000 visiteurs uniques mensuels, objectif que nous nous étions donné un an à atteindre. Et surtout des retours très positifs de nos lecteurs.
A noter par ailleurs que nous mettons sur pied une société de lecteurs, avec une adhésion de soutien de 4 euros par mois. Ce qui, avec 1000 adhérents, permettrait d’ouvrir un nouveau poste de journaliste.
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