Yasmine Hamdan chante dans le dernier film de Jim Jarmusch, « Only Lovers Left Alive ». Elle a composé la musique originale pour la pièce de théâtre « Rituel pour une métamorphose », de l’auteur syrien Saadallah Wannous, donnée à la Comédie Française. Elle a signé un disque de son simple nom, conçu avec Marc Collin (Nouvelle Vague). Auparavant, elle était Y.A.S. dans l’album électro-pop « Arabology » avec l’énorme complicité de Mirwais. Elle vient d’être distinguée Chevalier des Arts et Lettres en France.
Porte-parole de la modernisation
Son dernier disque, « Ya Nass », conforte ses inspirations issues du répertoire et de l’attitude de grandes chanteuses arabes du siècle dernier. Au-delà de l’attitude musicale, Yasmina Hamdan est l’héritière de l’engagement social de ces femmes qui ont connu le conservatisme des sociétés arabes. Si le parcours de l’égyptienne Mounira El Mahdeya s’inscrit dans le mouvement de celles qui se firent les porte-paroles de la modernisation et qui luttèrent pour leur reconnaissance sociale, la successeur d’Oum-Kalsoum a dû s’habiller en garçon pour pouvoir chanter à ses débuts.
Mais le parcours le plus étonnant est celui d’Asmahan, une source d’inspiration majeure pour Yasmine Hamdan. Les points communs dans leurs histoires nomades sont frappants.
En pleine Première Guerre Mondiale, la première a connu à sa naissance la fuite avec toute sa famille à bord d’un navire grec reliant Athènes à Beyrouth. Ensuite, le soulèvement de la région contre les troupes ottomanes conduit sa famille à émigrer en Égypte. La vie et les amours tumultueux d’Asmahan ont montré à la suite de son divorce – chose exceptionnelle à l’époque –, combien la chanteuse à la voix mélancolique a revendiqué le statut d’une femme libre et mondaine.
Yasmine Hamdan, quand à elle, est née en 1976 au Liban. Avec sa famille, elle suit son père dans ses déplacements professionnels pour échapper à la violence, au début de la guerre civile qui venait de ravager le pays. Elle passe son enfance entre Abou Dhabi, la Grèce et le Koweït où elle découvre les frontières entre l’homme et la femme d’une société arabe engluée dans ses traditions. « Les cours d’anatomie sont tronqués de tout ce qui fait référence au corps de la femme. »
Questions sur la femme dans la société arabe
Le titre de son album, « Ya Nass », signifie littéralement : « Hey les gens ! ». « Un appel qui s’adresse à une foule […] avec ce qui se passe aussi dans le monde arabe d’aujourd’hui. » Yasmine Hamdan confie au quotidien anglais The Guardian :
« Parce que je suis une femme, peut-être que je sentais que je devais déployer plus d’efforts. Je n’ai jamais voulu me censurer moi-même ou avoir n’importe quel type de limites : ni sur ce que je veux dire, ni comment je veux m’habiller, ou ce que je veux chanter ».
Elle nous livre son regard sur la femme et la situation de celle-ci dans les événements du monde arabe aujourd’hui est à la hauteur de son héritage musical.
Rue89 Bordeaux : Yasmine Hamdan, la femme réclame une modernité dans un contexte sociale arabe qui y est peu favorable. Comment peut-elle y arriver ?
Yasmine Hamdan : La libération de la femme est un mouvement ni narratif, ni prévisible. Je pense qu’il est crucial de définir la perception qu’on a de nous-mêmes, nous les femmes arabes, face aux institutions sociales, et sur la part de responsabilité potentielle de chacune de nous dans ce qu’on a intégré des pressions, politiques, sociales ou religieuses.
Prenons l’exemple du concubinage. Ma génération a grandi avec l’idée que le concubinage dans mon pays est illégal. Or le code pénal libanais ne prévoit aucun article condamnant deux adultes majeurs, consentants et non mariés qui vivent ensemble. C’est donc les valeurs de la société qui ont défini les choses ainsi et la pression de la société aide ces règles fantômes à être appliquées.
Par contre, la loi ne protège pas les enfants qui naitront de ces unions libres. Ils seront considérés illégitimes, donc déshérités de leurs droits en tant que citoyens.
Heureusement l’histoire nous prouve que rien n’est définitivement figé et que le temps amène le changement. Dans les années 50, l’homosexualité en Europe était encore un délit, « un outrage aux bonnes mœurs ». En Angleterre, l’Etat condamnait les homosexuels aux travaux forcés, la prison ou la castration chimique ! Et jusqu’aux années 70, la loi française sanctionnait encore les avortements…
Les libertés et les droits des citoyennes et citoyens sont donc les trophées et les victoires qui naissent des luttes et des évolutions sociales. Malheureusement, il y a toujours des héros, des martyres, des opportunistes et des bourreaux.
Vous avez fait un concert au Caire en août 2012, deux mois après l’arrivée au pouvoir du candidat des Frères musulmans, aujourd’hui évincé. Vous avez fait un autre concert en juin 2013 en Tunisie, pays secoué par la pression islamiste, où vous avez subi le couvre-feu et avancé l’heure du concert. Dans ces pays, la révolution n’a pas porté les espoirs attendus et la femme se voit amputée de certaines libertés…
Tout ce qu’il nous est impossible à obtenir nous pouvons le posséder en rêve, n’est ce pas ? On peut rêver un monde meilleur, créer cet espace dans lequel il y a plus de justice et de poésie, plus de sens aux choses. C’est dans cet espace de rêve que l’artiste peut créer de l’espoir, une réceptivité et une ouverture.
C’est à la fois une chance et une malédiction d’être une artiste, femme, venant de ce coin du monde. Cependant, c’est une forme d’engagement qui finit par laisser des traces ou par inspirer des gens. Il y a une dimension très excitante et une grande responsabilité. Il y a beaucoup de solitude sur le chemin, une stigmatisation de part et d’autre et des batailles à mener là où on ne s’y attendait pas.
Dans mes expériences musicales et mes collaborations artistiques, il y a un message qui s’affranchit et devient l’incarnation de quelque chose qui valorise une beauté que je ressens et qui m’émeut. J’essaie de repenser continuellement mes liens, mes déceptions et mon rapport au monde arabe avec la distance et la contradiction de quelqu’un qui a choisi de partir mais qui reste extrêmement lié.
Dans l’actualité politique et sociale des pays arabes, je ne peux pas prétendre avoir une perception claire des changements qui sont en train d’avoir lieu. Je pense que le temps nous donnera certaines réponses. On ne peut pas parler de « juste » révolution si nos sociétés posent les femmes comme inférieures en droits et que les femmes vivent ainsi, ou sont obligées de subir l’autorité et le joug masculin.
Selon vous, le modèle de pensée de la femme occidentale est un modèle pour la société arabe ? La femme arabe en a-t-elle besoin ?
Je ne pense pas. C’est un concept qui peut être perçu comme condescendant et qui justement crée beaucoup de malentendus. Je ne crois pas non plus qu’il existe une démarcation claire entre Occident et Orient.
L’évolution de la situation de la femme en Occident est spécifique à la société occidentale. Il ne s’agit pas d’uniformiser le modèle et la pensée de la femme, mais de trouver les modèles qui conviennent. Nous ne pouvons pas dénier ou dénigrer les références du monde arabe ou plutôt les systèmes de références parce qu’il n’y en pas qu’un seul.
Le monde arabe est multiple et c’est là, entre autre, où il y a un amalgame dans la représentation occidentale de ce monde. C’est un monde pluriel. La situation de la femme y reste complexe et ambivalente.
Y aller
Médiathèque Le Taillan Médoc
Domaine Culturel de la Haye
Rue de Calavet 33320 Le Taillan Médoc
Mardi 15 juillet, 20h30
Gratuit, réservation obligatoire auprès de Pauline Viorrain : pauline.viorrain@lerocherdepalmer.fr – 05 56 74 80 00.
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