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Une super Aquitaine pour « des actions d’envergure »

L’Assemblée nationale vote ce mercredi la réforme territoriale, et entérinera ainsi la nouvelle carte des régions française, où l’Aquitaine fusionne avec Poitou-Charentes et le Limousin. Professeur émérite de science politique et directeur honoraire de Sciences Po Bordeaux, Pierre Sadran salue ce premier pas dans la rationalisation des territoires. Entretien.

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Une super Aquitaine pour « des actions d’envergure »

Bureau de découpage des régions françaises dans le but de contribuer à leur amélioration, dans la mesure où il y aurait lieu de le faire (Dessin Simon Mitteault)
Bureau de découpage des régions françaises dans le but de contribuer à leur amélioration, dans la mesure où il y aurait lieu de le faire (Dessin Simon Mitteault)

Rue89 Bordeaux : Que vous inspire la réforme territoriale, qui sera votée ce mercredi par l’Assemblée nationale ?

Pierre Sadran (Photo Centre Émile Durkheim/DR)
Pierre Sadran (Photo Centre Émile Durkheim/DR)

Pierre Sadran : Cette réforme n’a pas de fondement rationnel très évident. Ses principales motivations officielles sont en effet de donner une taille européenne aux régions et de faire des économies d’échelle. Sur le premier point, on est plus dans le domaine de la rhétorique car du point de vue de la superficie, les 22 régions métropolitaines étaient déjà dans la moyenne européenne. Et cette moyenne camoufle des divergences extrêmement importantes, avec par exemple des landers allemands de la taille d’une métropole.

Comme le dit Alain Rousset, président de l’association des régions de France, l’important ce n’est pas la taille des régions, mais les nouvelles compétences et moyens dont elles disposeront.

Quant aux économies d’échelle, il est très probable qu’elles ne seront pas immédiates, surtout si l’autre volet de la réforme, la fin des conseils généraux, n’aboutit pas.

Contestez-vous donc l’intérêt de cette réforme ?

Aussi contestable que soit cette réforme, elle va servir de déclencheur pour remettre en cause notre organisation territoriale définie par l’État et qu’on a constamment évité de réviser, tout en donnant aux collectivités infranationales de plus en plus de pouvoirs avec les lois de décentralisation. Nous sommes ainsi le seul pays d’Europe avec quatre niveaux d’administration, et autant de petites communes. Rationaliser tout ça permettra de contenir l’extension de la fonction publique territoriale, et supprimer la clause de compétence générale pour les départements permettra d’éviter les doublons.

Certains jugent toutefois que les économies d’échelle seront limitées, voire que cela pourrait coûter plus cher, car les grandes régions devront déconcentrer leurs services sur un territoire plus étendu…

La nouvelle carte ne résout rien par elle-même, en effet. On n’aura les effets escomptés que si les conseils généraux et les infrastructures qui leur sont liées disparaissent, et que leurs compétences sont reprises par les antennes locales des régions et les intercommunalités. Ce sera long et difficile. Il faudra que celles-ci soient effectivement constituées dans tous les bassins importants de population, avec des élus au suffrage universel, et avec des communes devenues des structures de proximité.

« L’Aquitaine d’Aliénor intégrait déjà Poitou-Charentes »

Que pensez-vous du nouvel ensemble Aquitaine-Poitou-Charentes-Limousin ?

La nouvelle carte des 13 régions adoptée par l'Assemblée nationale (Carte Wikipedia)
La nouvelle carte des 13 régions adoptée par l’Assemblée nationale (Carte Wikipedia)

Il a une certaine rationalité, qui recoupe la zone d’attraction exercée par une grande métropole, Bordeaux. On voit par exemple que le bassin de recrutement des universités bordelaises va des Charentes et Limoges au nord, au Pays-Basque au sud.

Un principe opérationnel présidait à cette réforme, selon lequel on ne devait pas découper les régions existantes, ce qui aurait déclenché des négociations sans fin. Alors on arrive ainsi effectivement à une très grande région, mais celle-ci fait penser à l’Aquitaine d’Aliénor, qui intégrait déjà Poitou-Charentes.

C’est un atout pour lancer un certain nombre d’actions d’envergure, par exemple sur le littoral Atlantique. L’aménagement des ports et la relance de leur activité peut être améliorée, et comme il est très probable que cette compétence sera transférées aux régions, nous aurons une seule autorité pour arbitrer les choix stratégiques entre Bordeaux et La Rochelle, notamment.

Certains députés landais ou béarnais plaidaient pour une fusion de l’Aquitaine avec Midi-Pyrénées…

Elle aurait eu de l’allure, mais était malheureusement infaisable : dans une région, il faut une capitale, et on serait retombé sur la question insoluble de la concurrence entre deux métropoles traditionnellement rivales, Toulouse et Bordeaux. Aucune n’aurait voulu céder, et cela aurait généré une dualité avec des effets négatifs.

En outre, il y a certes des complémentarités sur le papier, notamment une communauté d’activités aéronautiques – civiles à Toulouse, militaires à Bordeaux-Mérignac (Dassault). Mais ce secteur ne dépend pas du soutien de la région et ces activités continueront à se développer indépendamment d’une fusion éventuelle.

« Le pire eut été de faire des référendums »

Le projet de loi va-t-il assez loin dans la délégation des moyens et des compétences, notamment sur ces questions économiques ?

La deuxième loi sera débattue et votée cet automne et il y aura forcément des modifications. Mais cela va dans le bons sens car la région se voit dotée d’une compétence principale en matière d’économie et de formation – principale et non exclusive, car les métropoles gardent une compétence d’animation économique. Certaines compétences sociales des départements (RSA, allocation adulte handicapés…) seront quant à elles probablement recentralisées, et c’est une très bonne chose car les questions de solidarité nationale doivent être traitées par l’Etat pour garantir la péréquation des richesses. Aujourd’hui, il vaut mieux être pauvre dans les Hauts-de-Seine que dans la Creuse.

Partagez vous les critiques sur la méthode employée pour cette réforme, issue du sommet de l’État et jugée peu démocratique ?

Elle se fait à nouveau de haut en bas car tout montre que c’est la seule façon de procéder sur cette question. Depuis 40 ans, quand la base est consultée, cela provoque des conflits d’intérêts inextricables dont on ne sort que par le statu quo. Le pire eut été de faire des référendums, comme l’avait envisagé la loi de 2010, car ceux qui se sont tenus ont été des échecs, même en Alsace malgré les prédispositions identitaires de cette région (la fusion des conseils généraux du Haut-Rhin et du Bas-Rhin a été rejetée en 2013 par la population, NDLR). Une proposition imposée d’en haut, un peu brutalement, est donc sans doute nécessaire pour servir de déclencheur, mais in fine c’est la représentation nationale qui se prononce.


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