Un papier à en-tête. Travaux sous-marins et maritimes. Probable reliquat de vieille facture, de devis périmé. Dessus, griffonnées, des mensurations : l = 4,5 L = 0,6 (…), quatre croquis de coques : l’élégance, l’étrave droite, le tillac bombé, le gréement, les bouchains vifs : tout est déjà là. Je viens de recevoir la photo de ce document sur mon téléphone, avec une légende : premières naissances.
Ancien régatier, héritier de cinq générations de charpentiers maritimes arcachonnais, Jean-Baptiste Bossuet est réputé pour son coup de crayon. Il vient de livrer « Bleu de mer », une pinasse à voile qui devrait vite s’illustrer dans les régates du Bassin. Je suppose que c’est au rangement consécutif à la fin de cette grosse commande que je dois la réapparition des croquis : première échographie après transmission du cahier des charges – soit : légèreté (pour le passage des écluses), stabilité (pour les prises de vue), qualités marines (pour la navigation en estuaire), innovation (pour tenter d’éviter le bois exotique), tradition (pour l’hommage à Stevenson).
Sur ce dernier point, je comptais bien, avec la complicité de mes amis du Chasse-Marée, mettre la main sur des plans des années 1870. Hélas, hormis quelques gravures de la périssoire utilisée par Mc Gregor, un aventurier dont les récits étaient très en vogue à cette époque, et quelques détails glanés ici et là sur la toile : rien.
Je me souvins alors de la construction d’un chaland en bois dans une île du nord-est du Bangladesh. Le chantier était itinérant, s’installant à chaque fois sur le lieu de la commande. Les ouvriers ne suivaient aucun plan. Je me rappelais aussi de ce que m’avait raconté Dick Warner, l’emblématique fondateur du Center for Wooden Boats de Seattle : les vingt-cinq chantiers encore en activité en 1957 sur les berges du lac de l’Union, chacun avec son savoir-faire et sa réputation, chacun avec son style. On y allait comme on allait chez le cordonnier commander des mocassins ou des brodequins, pour un doris ou une yole, un catboat ou un yawl.
« Je n’ai jamais fabriqué de kayak mais je sais faire des bateaux et les kayaks sont des bateaux » m’avait répondu Jean-Baptiste Bossuet quand je lui avais demandé s’il pouvait se lancer dans une telle construction avec si peu d’informations. Résultat splendide, décuplant le plaisir de naviguer, la poupe dans le XIXe siècle, l’étrave dans le XXIe.
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« Stevenson en kayak »
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