Une fois les vacances terminés, nombreux sont ceux qui se réunissent pour visionner les photos de leurs séjours et de leurs voyages.
Autour de la table, Tom, Emma, Bernie et Vincent s’installent pour faire défiler les photos d’un été de tout autre nature ; celui d’une lutte qu’ils ont entamée depuis des mois au sein de la Coordinations des intermittents et des précaires de la Gironde (CIP 33). Ils racontent l’histoire de chaque photo et comment est venue l’idée de la scénographie pour certaines.
Lundi 16 juin : On ne joue plus
Quelques jours plus tôt, les membres de la CIP 33 étaient venus se faire entendre à l’ouverture de l’Été métropolitain. Le lancement de la saison s’est transformé en course poursuite après Alain Juppé dans les allées des Épicuriales jusqu’aux Grands-Hommes. Auparavant, des prises de parole avaient eu lieu pendant le Festival Chahut, des tentatives de blocage pour les sélections de The Voice à la patinoire de Mériadeck et le concert de Wayne Shorter à l’Auditorium.
« Après les critiques qu’on a eues suite aux actions de la semaine d’avant et notre face à face avec les CRS à la Patinoire et à l’Auditorium, on a voulu sortir, montrer notre unité et la puissance de notre mouvement. Dans ce sens, le choix du monument des Girondins n’est pas anodin.
En même temps, un peu partout en France, des manifestations de grandes ampleurs avaient déjà eu lieu. Nous, à Bordeaux, on a voulu marqué le coup et montré qu’il fallait faire avec nous. Beaucoup de personnes étaient venues par solidarité. Ça nous a donné des forces et on y croyait plus encore, parce qu’on voulait vraiment faire comprendre que tout le monde était concerné. De là, notre manifestation est partie en passant par la rue Sainte-Catherine jusqu’au TNBA…
Cette action a permis d’ouvrir le dialogue avec les responsables de l’opéra et ceux du cinéma l’Utopia qui a décrété un jour de grève pour le lendemain. »
Le mardi 17 juin, Fabien Robert, adjoint au maire de Bordeaux en charge de la culture, publie une tribune sur notre site.
Lundi 23 juin : Ce que nous défendons, nous le défendons pour tous
Le rendez-vous du lundi démarre ce jour-là. Pierre Planchenaud, qui a réalisé la première photo, est là pour la deuxième. La presse s’empare du mouvement avec les rumeurs de festivals sur le point d’être annulés, comme celui d’Avignon. Le conflit s’envenime et l’été 2003 revient hanter les esprits. Cette année, pour une réforme rendant plus difficile l’accès au statut d’intermittent, la saison culturel estivale avait été bouleversée.
Le médiateur nommé par le gouvernement, le député socialiste Jean-Patrick Gille, n’arrive pas à calmer les esprits. Le 26 juin est la date butoir de la validation par le Ministre du Travail de cet accord.
« Le lundi d’avant, à l’assemblée générale, on s’était dit qu’il fallait qu’on continue, qu’il ne fallait pas se faire oublier avec l’été et la coupe du monde du foot qui arrivent… On a décidé de se rassembler autour de notre slogan : “Ce que nous défendons, nous le défendons pour tous.” On a décidé de se retrouver devant la mairie, un lieu de pouvoir d’où jamais personne n’était sorti pour dialoguer avec nous. On n’avait droit qu’à des agents de surveillance ou des policiers.
La photo du lundi était devenue un rendez-vous, même jour, même heure. Ce rendez-vous a créé une continuité qui fait qu’on soit toujours mobilisés. »
Lundi 30 juin : Carton rouge aux partenaires sociaux
Le protocole concernant le régime spécifique d’assurance chômage des intermittents est signé depuis le 26 juin entre les partenaires sociaux. Il prévoit l’entrée en application de la réforme à partir du 1er juillet. La coupe du monde vient de débuter et, ce 30 juin, l’équipe de France rencontrait l’équipe du Nigéria en matches de poule.
« La thématique du foot était proposé par Hubert Chaperon qui avait préparé un texte à lire après la photo. On s’était organisé plus que la fois d’avant, on avait prévu de venir dessiner le terrain sur le sol un peu plus tôt. La mobilisation a été très importante. Les terrasses à côté étaient bondées avec la diffusion du match à l’extérieur.
On est ensuite partis au Grand Théâtre où notre intervention a perturbé la représentation du ballet de Don Quichotte qui a finalement été annulée. En partant de Pey Berland, on avait annonçait un départ vers le miroir d’eau pour que les agents de surveillance n’anticipent pas notre arrivée à l’opéra.
Depuis, on a mis en place une thématique et une mise en scène pour chaque lundi dans l’idée de canaliser nos messages. On s’est organisés en commissions pour préparer les lieux, les dessins, les pancartes… et pour gérer aussi notre communication auprès de la presse. »
Lundi 7 juillet : Faim de nos droits
Le 1er juillet, la réforme est appliquée sans le différé d’indemnisation prévu de 2 mois. Il sera pris en charge par l’Etat jusqu’aux conclusions de prochaines assises de l’intermittence. La grande conférence sociale pour l’emploi débute ce jour même au palais d’Iéna, à Paris. C’est la troisième du genre dans le quinquennat.
« C’était pour nous la mort des droits sociaux. On avait manifesté le jour même avec des cercueils de la Victoire en passant devant le Tribunal de grande instance où on a rencontré les avocats mobilisés sur l’aide juridictionnelle.
Sur cette photo, on tourne le dos à la conférence sociale et aux rencontres organisées entre les syndicats et le Medef. La manifestation nous a ensuite mené devant la librairie Mollat pour interpeller le trésorier régional du Medef, Denis Mollat. Il était malheureusement en vacances au Mexique. »
Lundi 14 juillet : La liberté guidant le peuple
« Cette mise en scène a eu beaucoup de succès, il y avait plus de photographes que d’habitude. On a prévu un deuxième tableau sur la place de la Bourse devant le miroir d’eau : la décapitation par guillotine du Medef.
On a finalement décidé de jouer la scène place du Parlement. Il y avait un monde fou et beaucoup de touristes, parmi eux un groupe important de Chinois. Ils se sont attroupés autour de nous et nous ont bombardé de photos. C’est sans doute une de nos scènes qui a fait le plus tour du monde ! »
Lundi 21 juillet : Estouffade de précaires à la sauce Gattaz
« Pour passer à la casserole du Medef, on était moins nombreux. Beaucoup de festivals avaient démarré et pas mal d’entre nous étaient au travail.
Toujours pas de réactions de la mairie, personne n’était venu nous faire signe. On était de moins en moins nombreux et on a du croire que le mouvement allait s’épuiser. Du coup, le jeudi suivant, le 24 juillet, on s’est présenté aux portes de la mairie pour le dernier concert de Scènes en ville. On a été accueillis par un cordon de CRS. Il a fallu négocié pour pouvoir intervenir. Fabien Robert (adjoint du maire à la culture, NDLR) nous a permis une prise de parole après des garanties de ne rien interrompre ou faire capoter !
C’est devenu la règle par la suite. Il fallait prévoir pour intervenir, s’arranger au préalable avec les organisateurs. Ce qui demandait des heures de négociations, comme pour le Reggae Sun Ska où on a du s’organiser toute un journée pour une intervention de 5 minutes. Mais globalement aucun festival nous a refusé la prise de parole. Ils étaient tous solidaires comme Relâche à Bordeaux, les Nuits atypiques à Langon, Fest’art à Libourne, Musicalarue à Luxey, et prochainement Les Chantiers de Blaye. »
Lundi 28 juillet : Le tour de France
Des collectifs et des organisations ont déposé un référé au Conseil d’État concernant la nouvelle convention d’Assurance chômage. Ils dénoncent la discrimination fondée sur l’état de grossesse des intermittentes du spectacle, l’aspect discriminatoire vis à vis des femmes, l’aspect discriminatoire vis-à-vis des salariés en situation de congé maladie…
« Abrogation : c’était notre ligne de départ et notre ligne d’arrivée. La course consistait à faire un tour autour de la cathédrale. Beaucoup de cyclistes de passage nous ont rejoint, des enfants aussi, et on a fait trois ou quatre tours !
Comme à chaque fois, on a voulu une manifestation ludique et festive. Même s’il y a toujours de l’ironie et de l’auto-dérision. Parce que finalement là, personne n’est gagnant, surtout pas nous… »
Lundi 4 août : La mobilisation par le selfie
« On voyait venir le creux de la vague. Entre ceux qui travaillent et ceux qui partent en vacances, on était de moins en moins nombreux. Même les photographes n’étaient plus là ! On a alors fait ce “selfie” qui a donné des idées à tous ceux qui n’étaient pas présents. Depuis, même jour, même heure, on reçoit des selfies venant d’ailleurs et même de Russie, avec la présence de la croix blanche comme signe de ralliement.
Sur notre selfie, on a mis la croix en avant. C’est l’œuvre d’une costumière qui l’a ajoutée à la tenue noire des techniciens en grève qui œuvrent sur scène et qui sont censés être invisibles. Elle veut dire : Je bosse, je suis en grève et je me rend visible. Un texte la définit très bien : Cette croix blanche est simple à réaliser et facile à poser ou à laisser quelque part, comme un stigmate de la présence perpétuelle et pesante de la précarité dans nos sociétés.
On est allé vers les passants pour expliquer encore et toujours notre cause. On est conscient qu’il est difficile de s’associer à une idée négative ou d’avouer sa précarité en se joignant à nous : le jour où toutes les personnes reconnaitront leurs problèmes, elles se réuniront et elles feront trembler les dominants en passant au stade de la lutte. »
Lundi 11 août : Sous les pavés, la plage
« Voilà un moment difficile qui nous a mis le doute mais qui nous a aussi donné du courage. On est peu nombreux mais on est là quand même. On montre notre détermination et c’est encore plus fort. »
Lundi 25 août : Où est la gauche ?
« La veille, le gouvernement Valls a démissionné. On s’est retrouvé au pied de la statue de Chaban-Delmas qui regarde à gauche. On a fait comme lui, on cherchait la gauche. A cette occasion, deux textes ont été lus pour redonner du sens à nos actions et ne pas se cantonner dans le visuel. On veut mettre en avant la parole, l’échange avec les passants. Des inconnus nous ont rejoints. Certains sont dans d’autres luttes sociales mais que cette action du lundi a fédérés. C’est toute la définition de notre coordination : la CIPG est un mouvement unitaire et sans hiérarchie. C’est un mouvement d’initiatives citoyennes. On aimerait tellement que ce mouvement s’amplifie. On verra lundi prochain, c’est la rentrée… »
Une assemblée générale extraordinaire aura lieu le 16 septembre, elle est ouverte au public.
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