Rue89 Bordeaux : Quel est l’objectif du sommet international des Jeunes agriculteurs, ce jeudi à Bordeaux ?
Thomas Diemer : Ce sommet est organisé avec l’Afdi (agriculteurs français et développement international) dans le cadre de l’année internationale de l’agriculture familiale. Nous accueillons à Bordeaux plus d’une cinquantaine d’agriculteurs venus du monde entier – Mali, Colombie, Cambodge, Kosovo… – afin d’intensifier les échanges et de ratifier un manifeste, sur lequel nous travaillons depuis plusieurs mois avec plus de 100 organisations. Ce texte est organisé autour de trois thèmes : la reconnaissance du statut d’agriculteur au sein de l’Organisation internationale du travail, la politique en faveur de l’installation des jeunes, et la reconnaissance de l’agriculture familiale. Celle-ci est la plus à même de relever les défis alimentaires (elle fournit 70% de l’alimentation mondiale), sociaux et environnementaux.
Est-elle mal reconnue en France ?
On voit se développer une agriculture de firmes, avec des fonds de pension qui investissent dans la terre, à l’image des rachats de châteaux dans le vignoble bordelais, notamment par des Chinois. Cela nous inquiète un peu car ces investisseurs ont une visée à court terme, et parce que nous souhaitons que les agriculteurs restent maitres de leur outil. Nous sommes toutefois relativement protégés, d’autres pays sont davantage exposés. Mais cela pourrait se développer chez nous.
« L’un des enjeux de Terres de Jim, c’est de créer des vocations »
Quels problèmes rencontrent les jeunes pour s’installer ?
Il est évident que le premier frein à l’installation, c’est le foncier qui est rare et cher. Il faut se mobiliser pour préserver cette ressource, car 82000 hectares de terres agricoles disparaissent chaque année en France, et garder des outils de régulation comme les Safer (société d’aménagement foncier et d’établissement rural), qui permettent de maitriser un peu les prix. On a quand même la chance d’avoir un foncier agricole moins cher que chez nos voisins d’Europe de l’Ouest.
Ensuite, il faut créer des vocations, et c’est tout l’enjeu d’un évènement comme les Terres de Jim, qui permet de faire la promotion de l’agriculture et de ses métiers, de montrer son dynamisme dans nos régions. Les halles de Jim présenteront par exemple 600 références de produits des régions de France.
Enfin, il fait bien sûr quelques perspectives, or nous sommes très préoccupés par la situation dans plusieurs filières. Pour des raisons diverses et variées, les fruits et légumes ou la viande bovine se retrouvent en crise, et l’embargo russe ne va pas nous aider.
Que pensez-vous d’initiatives telles que celle prise à Bordeaux des 55000 hectares pour la nature, qui vise notamment à préserver des espaces agricoles près des villes ?
L »enjeu de la préservation du foncier agricole nécessite une mobilisation de toute la société pour préserver notre cadre de vie et garantir l’autosuffisance alimentaire de nos territoires. Je salue donc toutes ces initiatives prises en ce sens par les collectivités territoriales, car c’est une de leurs grandes responsabilités. Comment expliquer que l’Allemagne consomme deux fois moins de foncier agricole chaque année que la France, alors que son développement économique est plus soutenu ? Nous ne sommes pas contre le développement des villes et des infrastructures routières, mais il y a des choses à optimiser dans l’urbanisme. Quel intérêt de proposer une zone d’activité s’il se trouve une friche industrielle juste à côté ?
Dans le cadre de la préparation de la loi d’avenir agricole, nous avons proposé de donner un rôle décisionnel aux Commissions départementales de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) pour mieux encadrer les politiques d’urbanisme des collectivités locales, et d’appliquer cette mesure sur les surfaces labellisées en « Agriculture Biologique », ce qui permettrait d’avancer vers l’objectif de doubler les surfaces en AB d’ici 2017 (seulement 3,8 % de la surface agricole nationale aujourd’hui).
« Les gens ne payent pas le juste prix de l’alimentation »
L’essor de l’agriculture biologique est-il une chance pour l’avenir des jeunes agriculteurs ?
Très clairement, la bio permet à des jeunes de s’installer sur des surfaces moins importantes, et de développer des projets dans l’air du temps. Il est ridicule que la France importe une grande partie (25%, NDLR) de produits bio. Maintenant il faut de réels débouchés en face et que l’agriculteur ait envie de s’engager. C’est un sujet sur lesquels les JA sont mobilisés, mais on ne veut pas stigmatiser une production par rapport à une autre, ni être dans le dogmatisme. Et le bio a un surcoût que tous les consommateurs ne sont pas prêts à mettre.
A ce propos, nous tenons à faire passer l’idée que l’alimentation de qualité a un coût. Aujourd’hui, ce poste de dépenses représente 12% environ du budget d’une famille, contre 30% pour nos parents. Mais les gens ne payent pas toujours le juste prix. Nous dénonçons par exemple les comparateurs de prix mis en place par Leclerc, qui tirent les prix de l’alimentation vers le bas. Cela nous horripile : le juste prix n’est pas forcément le prix le plus bas.
Les circuits courts, type Amap ou Ruche qui dit oui, sont-ils une opportunité en ce sens ?
Nous sommes dans une situation de blocage avec les grandes surfaces, qui ne jouent pas le jeu. Il y a une vraie légitimité et une opportunité à ce que la profession agricole s’empare du maillon de la distribution, afin de recréer de la valeur ajoutée, de continuer à installer des jeunes, et d’avoir des prix décents. Cela permet aussi de recréer un lien entre les producteurs et les consommateurs.
Cette relation de confiance est parfois mise à mal par l’utilisation massive des pesticides, et ses dérapages, comme les épandages près des écoles dans le vignoble bordelais…
Nous avons besoin des produits phytosanitaires pour protéger les cultures et assurer une production saine et de qualité. Cela fait partie de notre métier de prévenir les problèmes de santé publique qu’ils peuvent causer, et nous faisons des efforts pour diminuer les doses et limiter les impacts. C’est aussi une question de coûts, car personne n’aime gaspiller. Avec le plan Ecophyto, nous cherchons aussi des solutions alternatives. Mais il arrive malheureusement toujours des accidents, et nous regrettons certaines pratiques qui ne sont pas raisonnables. Il ne faut toutefois pas en faire une généralité, l’immense majorité des agriculteurs ne sont pas des empoisonneurs, ce sont des gens responsables, fiers de nourrir leurs concitoyens. Nous sommes pour les bonnes pratiques, comme les plantations de haies qui permettent d’éviter la dérive de certains produits, et contre des zones de sécurité de 200 mètres autour des écoles, qui nous priverait d’une part considérable de terres arables.
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