On ne peut pas se plaindre du traitement médiatique fait des réunions et actions politiques. On ne peut se dérober non plus lorsqu’on vous propose d’en donner votre version. C’est pour cela que j’ai répondu positivement à l’invitation de Rue89 Bordeaux de livrer ma chronique – nécessairement subjective – du huis-clos du Parti socialiste à la Rochelle ce week-end. Morceaux choisis.
Vendredi
Le badge de participant
Dans la file d’attente, ce matin, on sent que cette Université va être tendue. Untel exige la fidélité à François Hollande… l’autre tente : « Lequel ? Celui de 2012 ou celui de 2014 ? » Ça s’échauffe, ça débat.
Cette année, sur le vieux port, le dressing code est plutôt à l’accréditation planquée. Comme beaucoup d’autres, je l’affiche, mais avec le badge « Socialistes contre l’Austérité ». On se fait aussi rembarrer, mais différemment. « Mais pourquoi vous êtes encore dedans ? », « vous finirez dans le même sac » et autres invitations cordiales à prendre l’apéro. Juste retour. On explique notre combat conduit dans le PS. Pour une autre politique. Le succès d’estime est maigre : 20% de bravo, 30% de pitié, 40% de colère, 10% de « collabos ». Manifestement, on fait pas ça pour la gloriole.
La résistance s’organise
Les rendez-vous se calent. Pour la réunion des frondeurs du vendredi. Pour imaginer la suite. Obtenir un changement de cap politique. Plus exactement le respect des engagements pris.
17h : réunion avec Laurent Baumel. Député « frondeur ». L’enjeu : comment articuler les initiatives et les fédérer pour peser sur le cours des choses. En ligne de mire: faire que la réunion publique du lendemain soit un succès.
Il est accompagné par une équipe de France 2. Ça ne nous empêche pas de nous dire les choses.
Derniers coups de fil pour caler les choses pour la réunion dite des « frondeurs » le lendemain. On prévoit une prise de parole au nom des Socialistes contre l’Austérité.
Dernières inquiétudes : La salle prévue a dû être changée. Plus grande. Il faut qu’il y ait du monde. C’est la règle dans tout rapport de force. Va falloir que les gens trouvent le chemin. La passerelle qui permet de traverser le port pour y accéder, sera finalement relevée « pour des raisons de sécurité » le lendemain matin. Si même les symboles s’en mêlent.
Samedi
La réunion des frondeurs
Ce matin, la tension est palpable. La réunion des « frondeurs », c’est comme à Avignon… c’est le off et nous sommes relégués hors de la Cour des Papes.
Soulagement, la salle se remplit très rapidement. L’enchaînement des intervenants est calé. Il explosera devant le succès de la réunion.
« Pour rassembler la gauche, il suffirait de faire ce pour quoi nous avons été élus, mener une politique de justice sociale » – Jérôme Guedj.
« La question n’est pas comment récupérer notre électorat mais comment être fidèle à notre électorat » – Denise Cacheux, militante depuis 60 ans au PS.
« Le social-libéralisme c’est l’idiot utile de la droite » – Henri Emmanuelli.
Il se passe quelque chose. Ce ne sont pas que de mots de tribune. Un réel espoir s’empare de la salle. Mais une énorme pression se fige sur les épaules des députés : l’espoir soulevé ne pourra se satisfaire d’une posture lors des prochains débats au Parlement. Il y a désormais une obligation de résultat : s’opposer à la dérive libérale. Frontalement. Obtenir le changement de cap politique. En essayant de convaincre bien sûr. En assumant le rapport de force si c’est nécessaire. Et surtout ne pas se laisser endormir par le chiffon rouge de la dissolution.
Arrivée de Christiane Taubira. Jérôme Guedj, médaille d’or du selfie 2014 avec la ministre néo-frondeuse. Elle écoute attentivement quelques intervenants. Elle déclare en sortant : « J’assume les conséquences de ma présence ». Oups. On va avoir droit à Valls 3.
Nous qui nous battons depuis deux ans au sein du PS, on constate beaucoup de nouveaux venus. On ne va pas bouder notre plaisir. Les troupes s’étoffent et c’est bien le plus important, vu le combat qui doit être mené.
Le combat va se faire au Parlement. Il faut donc mobiliser les parlementaires. La solution pour changer le rapport de force. Et donc dans chacune des circonscriptions. Faire comprendre aux autres députés, ceux qui ne sont pas là, que notre soutien pour les prochaines échéances est conditionné à des positions plus claires, plus tranchées… voilà le levier.
À la rencontre de nos amis de la CGT
Fin de la réunion. Tour du vieux port. Passerelle toujours levée. Ils ne voulaient pas qu’on y aille. Ils veulent encore moins qu’on en reviennent. Les forces syndicales présentes (la CGT) ont été repoussées loin du parvis. Les syndicats sont à une distance proportionnelle au nombre de jours qui séparent les socialistes d’une échéance électorale.
Avec Jérôme Guedj, Marie-Noëlle Lienemann et quelques autres camarades, très logiquement, nous nous dirigeons vers un comité d’accueil étonné de voir des socialistes s’aventurer en pareille terre de mission. « Tiens des socialos qui rasent pas les murs ! », « Vous êtes bunkerisés comme du temps de Sarko », « Vous nous trahissez » et autres mots de bienvenue. Tentatives de dialogue.
– « Alors non, Jérôme qui est là, lui il n’a pas voté la confiance à Manuel Valls. »
– « Et elle, là, elle a voté pour Valls non ? » lance un camarade CGTiste.
– « Euh, non, elle, elle risque pas, c’est Marie-Noëlle Lienemann… » répond l’autre camarade CGTiste.
Nous n’allons pas nous faire lyncher, c’est acquis. Code du travail, seuils sociaux, 35h… Sur le virage libéral aussi. Pas loin de la convergence des luttes.
Je tente un « Ben oui mais justement on reste dedans pour ne pas laisser faire, vous feriez mieux de venir nous aider… »
Je récolte un « ça sert à rien, ils ont tous basculé vers le MEDEF ».
– « Ben non, la dernière fois qu’on a été au vote il y a quelques mois on a même fait 40%. Valls aux primaires citoyennes, il a fait 5,38% ». Le doute s’installe. À des années-lumières d’avoir convaincu, mais. « On verra bien… Moi j’suis sûr que tout ce beau monde va se dégonfler ! » Euh.
Débat sur l’Unité de la gauche
Les forces de gauche sont présentes. Il ne manque que le PG. Et puis il y a Benhamias. Exfiltré du Modem. Mais il a dit qu’il voulait bien travailler avec le Président. Faut faire gaffe. D’autres ont déclaré la même chose.
Pierre Laurent prend la parole : rarement il a été aussi bon tribun. C’est clair, net, tranchant. « le Medef et le renoncement sur le logement, ça fait beaucoup pour une première semaine… » Ovations.
Mon voisin de derrière crie « et c’est quoi tes solutions ? »
Je m’autorise un « ben les 60 engagements de 2012, non ? »
Lui : « S’ils ne nous soutiennent pas, de toutes les façons ils auront Marine Le Pen. »
Moi : « Ben oui mais ça marche dans les deux sens, non ? Nous aussi on aura Marine Le Pen. »
Emmanuelle Cosse rappelle que l’encadrement des loyers c’était un engagement, une idée et des députés socialistes qui l’avait porté. Ovations.
Si on cherche une autre majorité pour une autre politique, elle est sous nos yeux.
Dimanche
Un Valls en trois temps
La salle est bien « organisée ». C’est de bonne guerre.
Intervention de Laura Slimani, présidente des Jeunes Socialistes. Ça tape dur. Si un responsable PS tenait un tel discours, il ne serait pas classé chez les frondeurs mais les bagnards. On pardonne tout à la jeunesse à défaut de lui donner du boulot.
Vient le patron du PS, accueilli à coup de « Vi-vi-vive la gauche » du nom du mouvement des frondeurs. Pirouette rhétorique impeccable du chef. Normal il est chef. « Vive la gauche, quel socialiste pourrait dire le contraire ? » Faut faire gaffe, on pourrait donner des noms.
Puis Manuel Valls. Accueilli par le même cri de ralliement. Les sifflets sont évités. Respect républicain de la fonction. Manuel Valls, dans un parfait exercice de tribune, résout la quadrature du cercle. Il oblige l’assistance à se calmer en évoquant le drame du matin (effondrement d’un immeuble en région parisienne). Évoque l’unité des militants de gauche pour l’enterrement de Christian Bouquin (président de Languedoc Roussillon). Mouais… pas sûr que l’idée de l’enterrement pour évoquer le rassemblement de la gauche soit la meilleure idée.
Puis la provocation pour faire monter la salle : « les sifflets de ceux qui ne supportent pas que l’on dise que l’on aime les entreprises. » S’ensuit un prévisible emballement de la salle face à cette servitude Medefiale. Manuel Valls provoque le rapport de force entre les pro-Valls et les anti-« amnésie des engagements du Bourget » avec un magnifique « et je demande aux socialistes de se lever pour dire qu’il n’y a pas d’ambiguïté, qu’ils aiment l’entreprise ». C’est pas gagné pour l’unité des socialistes.
Mais, on n’arrive pas là par hasard. Manuel Valls enchaine autour de quelques valeurs de la gauche : la laïcité, l’égalité, l’éducation… Difficile de trouver un socialiste pour être contre. Mais plus un mot sur l’économie, le chômage, les déficits. Ce qui permet aux médias d’en conclure qu’il aurait « retourné la salle ».
La musique est envoyé à tout rompre. Ça couvre tout. Au cas où. Dûment complété par une Marseillaise tonitruante. Mais tout le monde est déjà dehors.
La presse saute sur les uns et les autres pour recueillir les impressions.
Un vieux militant de la SFIO cite Audiard dans le texte : « Je suis ancien combattant, militant socialiste, et bistrot. C’est dire si, dans ma vie, j’en ai entendu, des conneries ! »
Discussions lunaires avec un camarade bordelais :
Moi : « Tu te rends compte qu’on a pris des engagements. Si quand tu dis à quelqu’un “je te vends une voiture” et que finalement tu lui prends son vélo, tu comprends bien qu’après tu vas avoir un souci. Même si tu lui expliques que c’est bon pour lui de pédaler non ? »
Lui : « Non mais tu n’as rien compris. Le mandat de François Hollande n’est pas un mandat impératif ! Ce n’est pas parce que tu dis que tu vas faire ça, que finalement tu vas faire ça obligatoirement. »
Moi : « Ben un peu quand même… c’est même le principe. En tout cas en démocratie. En marketing, je dis pas. Mais en démocratie… euh…si… carrément même. »
Et à la question du camarade, que répondre ?
Oui je ramène de l’espoir :
– parce que les lignes bougent. Si on m’avait dit que tel ou tel parlementaire rejoindrait un jour le navire j’aurais parié que non. Et on engage désormais clairement le rapport de force. C’est l’objet même de l’engagement politique. C’est pour cela qu’on dit militant.
– parce que les socialistes constatent les écarts entre ce qu’ils ont promis et ce qui est fait. C’est pour cela qu’on dit militant et pas communicant.
– parce que les socialistes ne veulent plus vendre du rêve et faire vivre un cauchemar : c’est pour ça qu’on dit militant et pas chair à canon.
– parce que c’est autour de cette dynamique autour des socialistes sincèrement à gauche que se fera l’union de la gauche. Impossible de gagner sans les voix du peuple de gauche. À moins de se résoudre à disparaitre.
– parce qu’on n’a jamais raison contre les peuples.
– parce qu’on peut toujours attendre que les choses s’effondrent pour tenter mieux, mais c’est au prix de la souffrance des plus fragiles
et enfin parce qu’au-delà des effets de manches et des bons mots, il y a les urgences sociales des citoyens: si le peuple de gauche ne se ressaisit pas, si les représentants du peuple de gauche ne se reprennent pas, on se rend tous bien compte que ce qui se joue là, c’est la photo de Marine Le Pen dans les jardins de l’Elysée et dans toutes les salles de mariage… Mais il sera trop tard pour se dire « comment on a pu laisser faire ça ».
Et tous les spectateurs qui regardent de l’extérieur le délitement de cette gauche, tous partis confondus, seraient bien inspirés de venir l’aider à se sortir de son hémiplégie.
Question de non-assistance à démocratie en danger.
Gérald Elbaze est militant socialiste,
membre du Conseil National du Parti socialiste.
Il fait partie du courant Maintenant la Gauche,
représentant l’aile gauche du Parti socialiste
et il est un des initiateurs des Socialistes contre l’Austérité
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