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Pas au bout du tunnel, les trains Intercités

Bordeaux-Nantes, Paris-Hendaye, Bordeaux-Nice… Ces trains desservant la région souffrent de la réduction – voire de la suppression, dans le cas de Bordeaux-Lyon – des Intercités par la SNCF. Celle-ci la justifie par les travaux en cours sur les voies, pour certains retardés faute de financements. Les usagers dénoncent la priorité donnée au TGV.

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Pas au bout du tunnel, les trains Intercités

Combien de temps encore les trains Corail vont-ils côtoyer les TGV gare Saint-Jean ? (Photo Olivier/flickr/CC)
Combien de temps encore les trains Corail vont-ils côtoyer les TGV gare Saint-Jean ? (Photo Olivier/flickr/CC)

Vous êtes à Bordeaux, et voulez rallier Nantes en train ce lundi au plus tôt ? Fort bien : le premier départ de la gare Saint-Jean est à 6h23. Mais il arrive à 12h59 à Nantes, après une correspondance d’une heure… à Paris ! Comme le trajet se fait en TGV, il vous en coûtera 141,70 euros, si vous ne bénéficiez d’aucune réduction. Mieux vaut donc attendre 9h23 puisqu’en changeant à Tours, le voyage ne dure plus « que » 5 heures, et coûte deux fois moins cher. Voire partir à 10h54, en train Intercités : c’est direct, cela coûte 51,10 euros, mais vous ne serez à Nantes qu’à 15h.

4h05 pour rallier les deux métropoles de la façade Atlantique… Autant dire que la voiture (individuelle ou covoiturage), qui met 3 heures par l’autoroute, écrase le chemin de fer. Le Bordeaux-Nantes est emblématique de la situation des Intercités (ex Corail), ces liaisons interrégionales distinctes des TER et les TGV. Soit 35 lignes (dont Bordeaux-Marseille ou Paris-Hendaye), et 300 destinations empruntées chaque jour par 100 000 voyageurs.

Elles sont « indispensables aux voyageurs, à l’aménagement du territoire et à la politique énergétique » selon la Fnaut (fédération nationale des associations d’usagers des transports), qui a tiré le signal d’alarme cette semaine lors d’une conférence de presse :

« Leur déficit d’exploitation a augmenté de 50% en trois ans (soit de 210 à 312 millions d’euros). La maîtrise de ces coûts passe par l’amélioration de la qualité de service et la croissance du trafic. »

Une offre en baisse de 10% depuis 2010

Or c’est le contraire qui se produit. Alors que le placement des Intercités sous l’autorité de l’Etat, le 13 décembre 2010, sous le nom de trains d’équilibre du territoire (TET), avait pour objectif de maintenir et de développer l’offre, celle-ci a depuis régressé de 10% – il y avait 40 lignes Intercités en 2010.

Cela se traduit par des réductions de fréquence, comme sur la ligne Bordeaux-Nantes, passée à 3 aller-retours quotidiens, ou carrément par des fermetures de lignes, que la Fnaut énumère dans son dossier de presse : citons l’Intercités de nuit Bordeaux-Nice en 2013, ou la liaison Bordeaux-Lyon (via Périgueux et Clermont) limitée à Ussel en juillet dernier. Résultat : impossible pour les Bordelais de rallier la capitale des Gaules sans prendre le TGV et passer par Paris ou Montpellier, et tant pis pour le cabotage local.

« Les usagers des Intercités n’empruntent pas tous la totalité d’une ligne, loin de là, beaucoup montent à Périgueux pour aller à Clermont, par exemple, et beaucoup de villes grandes ou moyennes, non desservies par le TGV, en pâtissent », souligne Christian Broucaret, président de la Fnaut Aquitaine.

Ces interruptions de service sont justifiées par un réseau en mauvais état, qui, faute de travaux, impose des ralentissements sur 3000 des 20000 kilomètres ouverts aux voyageurs.

La fédération pointe par exemple que sur la ligne Clermont-Bordeaux « la section centrale Laqueuille-Eygurande (22 km seulement) n’a pas été régénérée, bien que les travaux nécessaires soient peu coûteux (7 millions €)… et que d’autres sections aient été rénovées récemment (pour 40 millions €). »

Quant à la ligne Nantes-La Rochelle-Bordeaux, très affectée par la tempête Xinthia, en particulier entre La Roche-sur-Yon et La Rochelle (100 km), sa « rénovation est actée, mais non financée… », dénonce la Fnaut. Joint par Rue89 Bordeaux, Réseau ferré de France, en charge des travaux, n’a pas répondu à nos demandes d’éclaircissement sur ce point.

Qui veut trucider les Intercités ?

Et ce n’est pas « le quasi abandon de l’écotaxe » qui va permettre de trouver des moyens supplémentaire pour la rénovation du réseau ferré, dont « le quart aura disparu dans dix ans si la politique de l’État et des Régions n’est pas réorientée », pronostique la Fnaut.

Les associations mettent aussi en cause la vétusté du matériel roulant, comme des locomotives diesel à bout de souffle, et soulignent que la feuille de route pour le renouvellement intégral de ce dernier – qui exige trois milliards d’euros – est inexistante ».

« Veut on faire disparaître les trains Intercités ? », s’interroge donc la Fnaut, qui accuse la SNCF de demander à l’Etat (et d’obtenir) des suppressions de lignes. Un point de vue démenti par l’entreprise publique :

« Le niveau d’offre proposé aux voyageurs en termes de dessertes est directement lié à la demande de l’Etat (direction générale des infrastructures, des transports et de la mer, DGITM) et donc la SNCF, en tant qu’exploitant, ne fait que mettre en œuvre cette demande », répond la direction de la communication de la société à Rue89 Bordeaux.

Arrivée d'un train en gare Saint-Jean (Photo FabriceClerc/flickr/CC)
Arrivée d’un train en gare Saint-Jean (Photo FabriceClerc/flickr/CC)

Du côté de la DGITM, on précise que la convention qui lie la SNCF et l’Etat est issue d’un travail commun entre les deux parties. Et si ce texte stipule quelles doivent être les lignes, les gares desservies et les fréquences (nombres d’allers-retours et d’arrêts…), il souligne que « les horaires des trains d’équilibre du territoire ne sont pas conventionnés : l’exploitant (…) est responsable du choix de ces horaires ». Pour la Fnaut, c’est là que ça coince :

« Quand on veut tuer son chien, on prouve qu’il a la rage, et ça, la SNCF sait très bien le faire, estime Christian Broucaret, de la Fnaut Aquitaine. Aujourd’hui, les TER sont gérés par les régions et les Intercités par l’Etat, qui compense les pertes de la SNCF. La seule chose qui impacte les résultats de la société, c’est les TGV : s’ils sont vides, elle perd de l’argent. Elle a donc beau jeu de biaiser, et de pousser ses clients de faire Bordeaux-Nantes en passant par Tours en TGV… Mais c’est beaucoup plus cher, plus long, il faut prendre une correspondance, au risque de la rater… Au bout d’un moment, les gens délaissent le train et se tournent vers le covoiturage, qui explose depuis quelques années ».

Si bien que la SNCF va d’ailleurs se lancer sur ce marché pour concurrencer BlaBlaCar…

La fin du « tout TGV » ?

La compagnie publique jure choisir ses horaires d’Intercités en fonction de la disponibilité des lignes, également empruntées par des TER de plus en plus nombreux, du fret, et sur des voies souvent en travaux. Ce qui justifie par exemple que le Paris-Hendaye ne circule plus que les week-ends ou pendant les vacances.

« Le réseau ferré national est en train de subir un programme de rénovation sans précédent, qui est du ressort de RFF, poursuit un porte-parole de la SNCF. Le volume de travaux conséquents ne permet pas de faire circuler autant de trains que le réseau peut en accueillir et oblige des fermetures de tronçons de lignes temporaires mais c’est pour le bien de tous, certes futur. L’Aquitaine est ainsi la région où il y a le plus de travaux pour supprimer le bouchon ferroviaire. Ce phénomène “travaux” est amplifié pour la circulation des trains Intercités car, par définition, ils traversent plusieurs régions et donc de multiples zones de chantiers. »

Pour la SNCF, « la France s’intéresse à nouveau à ces lignes classiques, après des années de tout TGV », et en veut pour preuve « la rénovation des rames Intercités par SNCF en cours (période 2012-2015), une « politique commerciale dynamique avec de nombreux prix abordables », ou encore une « nouvelle offre de restauration à bord des Intercités depuis juillet 2014 ». A la SNCF, au moins, les sandwichs progressent.


#Fnaut

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