Rue89 Bordeaux : Agora est terminé, est-ce que vous êtes satisfait ?
Youssef Tohmé : Il faut demander aux Bordelais ! Car au fond, le sujet était l’espace public, vous le savez, et cette édition s’est voulue comme un espace public, très ouvert. C’est donc au public de répondre de sa satisfaction, c’est lui qui décide.
De mon côté, je peux vous assurer que nous avons mis le paquet. Nous avons proposé 500 minutes de vidéo, ce qui devrait vous laisser imaginer les heures et les heures de rushs qu’il y a derrière. Tout ceci représente un travail énorme. Mais tout cela n’est pas important. Il y a eu beaucoup de visiteurs, une fréquentation importante. Je crois que l’essentiel est là.
A titre personnel, j’ai apprécié la richesse des propositions. Il y a eu des débats vifs qui ont permis aux gens qui ne sont pas d’accord de le dire.
On a eu des grands invités qui ont contribué à la richesse de cette édition. Rem Koolhas a apporté son expérience, en une phrase il met tout le monde d’accord, quand il dit par exemple : « l’espace public est le théâtre du changement ». Avec lui, un sujet avance !
Une façon de dire que le travail accompli ne laisse pas de regrets… ?
Nous savions que le sujet était vaste et difficile. Nous avons pensé les deux étages du Hangar 14 pour accueillir toutes les sensibilités.
Le premier étage était dédié au public, tout le public. Les Bordelais ont pu venir voir ce que va devenir leur ville. L’organisation (la mairie de Bordeaux, NDLR) voulait que les Bordelais soient informés, une façon de dire : « Voilà comment va être votre ville, si vous n’êtes pas contents, il y a des débats à l’étage pour le dire. »
La production des expositions a été très complexe. Il aurait fallu que le public prenne du temps pour tout découvrir et je ne crois pas qu’il ait eu le temps de le faire. Je pense qu’au vu du travail qui a été fait, Agora aurait du durer deux semaines ! L’information était très dense. Mais tout ceci correspond à ce que peut être au fond l’espace public. Si le public n’adhère pas, il faut l’écouter.
La vision réussie d’un espace public ne doit pas presser ou oppresser l’individu : on vous la propose, si vous n’en voulez pas, vous pouvez l’ignorer. La limite entre la proposition et l’acceptation est très fragile. Elle compose avec trois paramètres : individu, intime, société. Ces paramètres nécessitent des échanges, des allers et retours qui nous emmènent à questionner sans cesse notre travail. Ce qui montre que le sujet est vivant !
Dans le deuxième étage par exemple, une grande place était destinée aux débats et aux rencontres. Mais nous avons proposé aussi d’autres activités complètement à l’opposé : des trampolines et des tables de pingpong. Le message est clair : « Si ce qui se dit ne vous intéresse pas, faites autre chose ! » Je peux vous assurer que pendant les débats on entendait des personnes jouaient au pingpong ! et chacun était à l’aise dans sa fonction.
Cette édition est donc l’illustration parfaite du sujet ?
L’espace public n’est pas une image, n’est pas une forme, l’espace public dépend de beaucoup de paramètres… même du temps qu’il fait.
Nous avons démontré tout cela dans nos films. Quand on connaît le comportement des habitants, on travaille mieux l’espace public. Il faut alors scruter continuellement la société pour mieux lire ses attentes. L’espace public est une notion fragile et sans cesse changeante.
L’espace public physique est le reflet du vécu. La même personne dans un espace public X déplacé dans un espace Y n’a plus la même fonction. Le type qui s’est tenu debout en Turquie sur la place Taksim fait la même chose ailleurs personne ne le remarque.
L’édition d’Agora de Bordeaux a rencontré un public important, mais il ne faut pas oublier que le succès est aussi du aux Bordelais. Le thème, les Bordelais savent de quoi on parle. Les habitants de Bordeaux ont vécu le changement de leur ville, c’est pour cela que cette édition d’Agora les a intéressés. Le sujet n’était pas théorique pour eux, ils l’ont vu et l’ont vécu. Leur façon de vivre à changer, leur façon d’investir l’espace aussi. La ville leur a fait de la place alors que dans certaines villes, l’individu cherche sa place. A Bordeaux, l’intention d’offrir la ville à ses habitants est visible…
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