On a du mal à croire que ce sera prêt pour la date d’ouverture annoncée quand on franchit la porte du 6 de la rue Lacornée. Une dizaine de salariés de l’établissement « supervisés par des professionnels » s’affairent dans les lieux. Certains fignolent les joints de plâtre, d’autres démontent les néons et, au fond, la scène encombrée de caisses à outils attend patiemment les musiciens. La configuration de la salle ne changera pas, le bar est toujours à gauche en entrant et l’estrade qui accueille les concerts, juste en face.
La nouveauté est le recoin à droite : un espace bar « tranquille » où il sera possible de déguster des bières de marques « dans des verres en verre ». Car jusque avant la fermeture, la bière coulait à flot dans des verres en plastique estampillés Bootleg, dont un, retrouvé à quelques centaines de mètres de l’établissement, lui avait causé des ennuis judiciaires. Nous y reviendrons plus loin.
« Nous avons une demi heure ! »
Avec sa carrure de troisième ligne, Cyril Béros, le boss, est un homme pressé. Tellement pressé qu’il pèse ses paroles sans reprendre son souffle. Il croit bon de préciser que « nous avons une demi heure » pour faire le tour de la question. C’est finalement une heure et demi qu’il passe pour parler de tout, l’Irem (Institut régional d’études musicales) qu’il dirige, la musique qu’il enseigne et qu’il joue, et le Bootleg : sa fermeture, sa réouverture et sa place dans la ville.
Car en effet, les avis sur la place du Bootleg à Bordeaux sont unanimes, à commencer par le spécialiste des concerts à Bordeaux, Françis Vidal, le gourou d’Allez Les Filles et membre de la commission de la programmation du lieu :
« C’est une salle idéale pour les petits concerts. Le son est bien et les concerts ne sont pas chers, ni pour le public, ni pour les organisateurs. »
Fabien Robert, l’adjoint au maire en charge de la culture, reconnaît tout l’apport du Bootleg à la culture bordelaise comme il a pu le souligner lors d’une table ronde à l’I.Boat sur « La place de la culture la nuit » (voir encadré). Son prédécesseur, Dominique Ducassou, avait de son côté sensibilisé en mars 2014 son collègue Jean-Louis David, adjoint au maire en charge de la vie urbaine, sur la qualité de la programmation proposée à une époque où les plaintes pour tapage nocturne pleuvaient tous les lendemains de concert.
Anticiper la fermeture
En mars, Cyril Beros anticipe la sanction. « Pour des raisons techniques », il ferme son établissement en vue de travaux de mise aux normes. Cette salle de concert, ouverte un an plus tôt, n’avait pas les autorisations nécessaires et la sanction planait comme une épée de Damoclès.
Pris par surprise, Jean-Louis David confirme que l’attente de l’autorisation de la commission de sécurité devenait longue. Bien que la fermeture décrétée par le staff prenne effet le 15 mars 2014, une fermeture administrative tombe le 24 avril.
« Un coup dur ! On venait de lancer les travaux et la fermeture administrative nous a ralentis jusqu’à fin juillet. En plus des 15 jours de fermeture obligatoire du mois d’août, on était très en retard, » ajoute Cyril Beros.
Le patron du Bootleg s’était pourtant réjoui du délai record de la validation des plans des travaux :
« La commission de sécurité a été particulièrement diligente à notre encontre. Il faut le souligner : fermeture 15 mars, validation des plans le 28 avril, c’est un record ! Alors que d’habitude, un délai de six mois est nécessaire. »
Vente illicite de boissons à emporter et tapage nocturne
Deux raisons sont à l’origine de la fermeture administrative. Cyril Beros nous en explique les détails :
« On nous a reproché la vente illicite de boissons à emporter pour la simple raison que trois jeunes ont été contrôlé dans la nuit en haut de la rue de Cursol, à un kilomètre et demi de établissement avec un verre en plastique sur lequel était marqué le Bootleg ! L’autre raison est le tapage nocturne constaté le jour de l’inauguration… »
Difficile d’admettre la responsabilité du Bootleg pour son gérant, signalant qu’il y a eu dispense de peine dans la première affaire et relaxe pour la deuxième. Il fait remarquer qu’il est simple de sortir un verre de l’établissement et de le remplir ailleurs, et préfère insister sur les efforts déployés par son équipe pour assurer la sécurité :
« Nous avons accueilli pas loin de 100 000 personnes durant notre année d’ouverture et nous n’avons pas eu un seul accident à l’intérieur de l’établissement. Pas un blessé, pas un incident de ce genre. »
Selon lui, les travaux qui viennent d’être faits renforcent encore plus la sécurité :
« Nous serons aux normes 2015 qui seront appliquées en… 2020 ! C’est dire qu’on est vraiment en avance ! »
Un chantier financé sans argent public
Au total, c’est un chantier de 250 000 euros qui remet le Bootleg à neuf. L’essentiel de l’enveloppe est apporté par la Coopérative d’intérêt public de l’IREM. Ce centre de formation d’expression musicale a multiplié son chiffre d’affaire par 10 pour dépasser le million d’euro depuis l’arrivée de Cyril Beros en 2006.
« Nous avons 40 salariés, dont une vingtaine à temps plein. 300 personnes en cours de musique loisir et 60 en formation professionnelle. Il est logique qu’on soit doté d’une salle de concert pour répondre à la volonté de professionnalisation de nos formations. »
En plus d’une subvention annuelle du Conseil général de 5000 euros, l’IREM se veut autonome dans ses dépenses et son fonctionnement. L’esprit anglo-saxon de son directeur en matière de gestion a conduit l’école à développer son modèle économique :
« Je ne suis pas de ceux qui se presse à dépenser les budgets pour obtenir les mêmes l’année suivante. Dès que j’ai pu, je me suis détaché des aides publics. Je tiens cependant à préciser que notre plateforme de professionnalisation Maki a reçu une récompense FIFOP (Fonds d’Innovation pour la FOrmation Professionnelle) de la Région aquitaine d’un montant de 66 000 euros. Une récompense qui a aidé au développement de l’autonomie du projet. Je précise également que nous bénéficions de contrats aidés, des contrats qu’on pérennise par la suite, car selon moi, former quelqu’un aux habitudes et à la politique de notre institution et s’en séparer au bout de deux ans est un très mauvais choix. »
Outre les moyens de l’IREM pour la rénovation du Bootleg, Cyril Beros salue les donateurs qui veulent rester anonymes. Il ne manque pas non plus de rendre hommage aux 650 personnes qui ont répondu à l’appel lancé sur Kisskissbankbank pour une participation collective fixée initialement à 15 000 euros. « Nous avons récolté 17 000 euros ! C’est une solidarité qui nous a touché et qui nous a motivé pour rendre ce projet encore meilleur ». A voir le 3 octobre.
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