Le 7 heures-9 heures est à la radio ce que le « prime time » est à la télévision. Une tranche hautement stratégique que les stations se disputent « pour attirer les auditeurs par les oreilles et les revendre à des annonceurs », selon les termes de Daniel Mermet. Invité ce mardi à Bordeaux par le Repaire, association d’amis de « Là bas si j’y suis », le producteur veut faire revivre cette émission, débarquée depuis la rentrée de France Inter, mais sous la forme d’une matinale de 2 heures, dont le lancement est espéré en janvier 2015.
Objectifs : « continuer sur une ligne de combat » et « faire entendre une diversité auxquels les auditeurs ont droit dans un pays cultivé et démocratique », a expliqué Mermet devant une centaine de personnes réunies au théâtre du Pont Tournant. Car selon lui, ces 7/9 « ne se distinguent que par leur clientèle, plutôt populaire pour RMC ou RTL, mainstream pour Europe 1 et Inter », plus huppée sur France Culture.
En revanche, « à quelques petites nuances sur les questions politiques et sociétales, la ligne éditoriale est sensiblement la même, surtout en matière d’économie ». Dès qu’il s’agit d’austérité ou de dette, le discours est selon Mermet, le même :
« De l’idéologie déguisée en science et que nous enfants considéreront comme de la propagande. Avec en prime “Europe assistance” tous les jours à 8h20 », la chronique pro-européenne « sans partage » de Bernard Guetta…
Parler « aux vrais gens avec leurs vrais brosses à dents »
Le journaliste et son équipe veulent se démarquer sur cette tranche, où les collègues qui y travaillent – 60 à 70 des 100 journalistes de la rédaction d’Inter, par exemple –, « n’ont pas le temps de réfléchir, ce qui pourrait être considéré comme une faute professionnelle ». A cette heure où « les vrais gens, avec leurs vraies brosses à dents, prennent leur vrai café, et préparent leurs vrais enfants à partir à l’école », Mermet veut leur donner autre chose à penser pour le reste de la journée.
Pour toucher ce public qui écoute son poste d’une oreille distraite, il promet de garder l’esprit de « Là bas si j’y suis », mais dans des formats plus concis, des reportages et des analyses de 2 ou 3 minutes.
« Quand un journaliste couvrira la Manif pour tous, par exemple, il préparera un reportage de 20 ou 25 minutes, qui sera diffusé dans un deuxième temps, et une version de 2 minutes en présentera l’essentiel, comme un teasing, mais qui ne sera pas un micro-trottoir réalisé à la va-vite. »
Pas de lancement sans abonnés
Ce nouveau média exigera donc de gros moyens, dont l’animateur n’a pas donné les détails. Le contenu du site sera payant et le lancement, programmé pour le 21 janvier 2015, dépendra du succès de la campagne d’abonnement (60 euros par an), lancée par l’association Modeste et Géniale, qui soutient le projet.
Daniel Mermet espère mobiliser une partie des 170000 signataires de la pétition contre l’arrêt de « Là bas », et imiter Daniel Schneidermann. Ce dernier était parvenu à relancer sur le net « Arrêt sur images » après sa déprogrammation de France 5, et son site compte aujourd’hui plus de 20000 abonnés.
Au public qui s’est inquiété de la perte de l’audience populaire de « Là bas si j’y suis », pas équipée d’Internet ou n’ayant pas l’habitude de s’y informer, Daniel Mermet a annoncé que des discussions étaient en cours avec la fédération des radios associatives locales, pour programmer sa matinale sur leurs ondes.
« Et une fois que ça fonctionnera, on revendiquera le retour de l’émission sur le service public, pourquoi pas sur le Mouv’, un bras mort de Radio France », estime l’animateur de 71 ans, qui se lance un sacré pari.
Mermet jette la pierre à Gallet
Interrogé sur son débarquement de la Maison Ronde, Daniel Mermet a été moins diplomate que lors de précédentes sorties dans la presse. S’il ne pleure pas l’émission « Là bas », qui a fait son temps (25 ans d’antenne), ses audiences stables, ne justifiaient pas d’après lui l’arrêt de l’émission, annoncée sans ménagement par Laurence Bloch. La nouvelle patronne de France Inter, « bras droit de Philippe Val parti avec une indemnité de 1 million d’euros, est pourtant une des responsables de la baisse historique de l’audience de France Inter », accuse-t-il.
Quant à Mathieu Gallet, successeur de Jean-Luc Hees à la tête de Radio France, Mermet dénonce sa désignation à huis clos par le CSA, sans que son projet n’ait été présenté ni débattu avec les salariés et les auditeurs :
« Il est jeune, élégant, c’est un manager. Mais il n’a jamais fait de radio, et ferait un bon vendeur, allez, un chef de rayon magnifique chez Kenzo, place des Victoires à Paris. »
Bref, les responsables de la Maison Ronde sont toujours, affirme-t-il, « des médiocres dans une vallée fertile » : ils disposent de chevaux sauvages (le talent des journalistes, des producteurs..) mais faute d’idées et d’ambitions, préfèrent les aligner derrière les chevaux de labour, les concurrents du privé.
Daniel Mermet n’a en revanche pas été interrogé par la salle sur la polémique quant aux conditions de travail des journalistes de son équipe, qui a contribué à le fragiliser en interne.
Pour son retour sur les ondes, il va peut-être falloir attendre que la droite revienne aux affaires…
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