Média local avec zéro milliardaire dedans

Ayé : il y a gavé de quoi rire à Bordeaux

Difficile de percer quand on fait de l’humour son métier, surtout dans une ville où les théâtres sont peu portés sur les one-man-show et le stand-up. Mais les initiatives destinées à promouvoir des artistes comiques se multiplient, comme L’Atelier 53, Gavé Style ou Drôle de scène.

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Ayé : il y a gavé de quoi rire à Bordeaux

François Demené, humoriste et magicien au Diamant Rose (photo Malick Pec)
François Demené, humoriste et magicien au Diamant Rose (photo Malick Pec)

Les success stories des humoristes commencent généralement de la même manière : ils débutent en famille pendant les fêtes de Noël, enchaînent avec les cafés théâtres de leur ville avant d’accéder aux petites salles parisiennes et finissent en apothéose à l’Olympia. A Bordeaux, les artistes ont du mal à dépasser le stade des fêtes de Noël… L’humour n’est généralement représenté que par les comédies de boulevard produites par le Théâtre des Salinières, la Comédie Gallien… Même les cafés théâtres ont renoncé au stand-up.

« La notion de rentabilité est essentielle pour les salles de spectacle, elle ne veulent pas prendre de risque. Nous, on ne remplit pas les salles », reconnaît Fabrice Lamour, artiste bordelais.

Frédéric Bouchet, directeur du théâtre des Salinières depuis 17 ans, assure que son public n’adhérerait pas au stand up – « Les gens aiment plus le théâtre que l’humour et j’ai 280 places… » Mais il soutient les initiatives autour du spectacle et semble voir d’un très bon œil l’émergence de cette nouvelle scène.

Jamel Comedy Club à la Bordelaise

C’est en voulant donner sa chance à des artistes locaux que Daniel Fitoussi a mis en route le principe des scènes ouvertes dans la CUB. Il a créé l’Atelier 53 à Mérignac en 2008, un lieu destiné au spectacle vivant. Il a commencé avec un seul artiste et programme aujourd’hui cinq ou six spectacles au minimum chaque mois, dont plusieurs plateaux d’humour.

« Je voulais un lieu pour les gens qui démarrent. Ici je n’ai pas de vedette, mais certaines personnes ont concrétisé un désir grâce à l’Atelier 53. »

Mais pour les artistes, Mérignac, ce n’est pas encore Bordeaux… Alors pour pouvoir jouer, il a fallu inventer. L’aventure du stand up à Bordeaux a réellement débuté avec l’association Rire à Bordeaux qui a créé sa pépinière estampillée Gavé Style en novembre 2013. Un Jamel Comedy Club à la bordelaise.

Il y a un an, l’association tournait ponctuellement avec quelques artistes bénévoles dans des bars de Bordeaux. Aujourd’hui, elle a carte blanche deux fois par semaine dans un cabaret de Bordeaux et dans un bar de Latresne. Une trentaine d’artistes s’y relaient.

« La première fois, j’ai fait un bide. On m’a dit reviens demain ! »

Vendredi soir, le Gavé Style a fêté son premier anniversaire au Diamant Rose, un cabaret de Bordeaux qui est allé jusqu’à leur aménager une salle. Pour François Demené, magicien et dirigeant de l’association Rire à Bordeaux, avoir une salle dédiée est un premier pari réussi. Face à une salle comble, une dizaine d’artistes jeunes et moins jeunes se sont lancés pour la 60e ou la 2e fois. Un défi, mais aussi une école.

« Je suis venu pour la première fois hier, témoigne Wilson. Je suis le Gavé Style depuis deux mois en tant que spectateur et j’ai eu envie de me lancer, ça avait l’air plaisant. »

Pour chacun, l’objectif et le parcours sont différents : Stef’Any était sur scène à l’Atelier 53 avec son spectacle Cothilde et Compagnie et elle en crée un nouveau qu’elle élabore grâce à la scène ouverte. Tiphaine est une comédienne en formation et ces soirées font office d’apprentissage. François, magicien et humoriste professionnel, y teste ses nouveautés. Ronan, étudiant en cinéma se voit progresser :

« Je suis arrivé il y a trois mois. La première fois j’ai fait un bide, je ne voulais plus remonter sur scène, on m’a dit de revenir dès le lendemain et depuis je suis là toutes les semaines ».

« La scène ouverte est une école, des synergies se créent, on se corrige, on se conseille… », reconnaît François.

Le public bordelais ? Pas habitué aux vannes

Face à un public – des habitués en majeure partie – qui semble déjà conquis avant même que le spectacle ne commence, les artistes se relaient. Le programme est une surprise pour les spectateurs, mais aussi pour les organisateurs… Les sketches s’enchaînent avec des prestations parfois hésitantes, mais toujours tirées vers le haut par le passage des aînés. La soirée est bonne, elle n’est pas hors de prix et le public fait forcément des découvertes. La recette fonctionne.

« Les artistes ont carte blanche, explique François, il n’y a pas de casting, on découvre comme le public. Tout ce que l’on refuse, c’est la vulgarité à l’égard des spectateurs. Cela nous est arrivé deux fois, le public bordelais n’est pas habitué aux vannes et il faut le respecter car c’est aussi un acteur de la soirée ».

C’est pourquoi les spectacles sont gratuits. Les spectateurs doivent payer une consommation et ils ont un chapeau à disposition à la sortie pour soutenir l’association. Et c’est aussi pourquoi la scène ouverte n’est qu’une étape dans le métier. Elle est un tremplin, mais pas un objectif.

« La scène ouverte, c’est à double tranchant : c’est bien car les artistes peuvent se roder, mais il y a peu de retombées car les spectateurs qui viennent aux scènes ouvertes vont rarement voir les spectacles de ces mêmes artistes. Les scènes ouvertes n’envoient pas du monde dans les théâtres », regrette Fabrice Lamour.

L’ex rôtisserie ne fait pas de four

Si elle n’assure pas forcément l’avenir des artistes, la scène ouverte intéresse les bars. Après le Diamant rose et le Loft 33 à Andernos, le Bar 2 Rires à Latresne s’est lancé dans la course. Ses propriétaires ont même fait de l’humour leur vitrine.

Quand ils ont pris possession de cette rôtisserie dans une zone industrielle de Latresne, Elsa et David ont dû trouver un concept original qui capte le public.

« Nous vivions à Paris, explique Elsa et nous y avons découvert les scènes ouvertes, c’est ce qui manquait ici. Nous avons rencontré l’association Rire à Bordeaux et depuis l’ouverture début octobre, les artistes du Gavé Style sont présents tous les jeudis soir. C’est notre plus grosse soirée, on attire du monde grâce à eux. Des habitués viennent chaque semaine de Caudéran, Mérignac ou Saint-André-de-Cubzac. Nous avons fait jusqu’à 90 personnes. »

Et même si la qualité des sketches est aléatoire, « il y a un équilibre et les gens repartent toujours contents », confirme la jeune femme. Maintenant que les scènes ouvertes sont bien installées, le Bar 2 Rires souhaite développer les soirées concerts ou organiser des spectacles avec des humoristes confirmés.

Les jeudis du rire au Bar 2 Rires à Latresne (photo Bar 2 Rires)
Les jeudis du rire au Bar 2 Rires à Latresne (photo Bar 2 Rires)

Un tremplin humour est lancé

Mais pour aller plus loin et faire l’économie d’allers-retours à Paris afin d’écumer les cafés-théâtres, ces humoristes en herbe ont besoin d’un public plus pointu. C’est aussi l’étape que vient de franchir Fabrice Lamour avec sa toute nouvelle Drôle de Scène, installée aux Chartrons. S’il démarre avec des comédiens confirmés, il accueillera une fois par mois un artiste local et programmera une scène ouverte avec participation au chapeau dès janvier.

« Quand j’avais 17 ans, j’ai monté une association et avec des amis on faisait des parodies à la salle de Fargues-Saint-Hilaire, j’ai ensuite monté un spectacle et j’ai joué à l’atelier 53 pendant 5 ans et au festival d’Avignon », raconte Fabrice Lamour.

Mais après, plus rien. C’est justement ce manque qu’il souhaite combler avec sa salle, une première scène devant un public de 49 personnes qui ont payé leur place. Et grâce aux humoristes dénichés par le Gavé Style, il est convaincu qu’il y a à Bordeaux un bon potentiel qui gagne à être connu.

Fabrice Lamour lance d’ailleurs cette année un tremplin de l’humour avec une finale à La Pergola à Bordeaux le 13 juin 2015 pour encourager les talents à brûler les planches.

Lucie Erit et Candice Pacaud ont fait le même constat. Après avoir travaillé dans la production de spectacles à Paris, elles ont été poussées par leurs amis artistes parisiens à produire des humoristes à Bordeaux, une ville encore hermétique il y a peu au stand-up. En octobre 2013, elles créent l’association C’est Elles Comédie avec deux ambitions : développer la culture du stand-up là où on ne l’attend pas et promouvoir des artistes locaux.

« Nous avons proposé un nouveau format de spectacle, alors nous sommes allées vers des salles qui ont un public jeune comme la Rock School Barbey, l’I.boat ou le Rocher de Palmer. Quand on fait venir un artiste, on met une personne de Rire à Bordeaux en première partie, expliquent-elle. On a découvert plein de jeunes artistes et on veut leur donner les moyens de se lancer. »

C’est notamment grâce à C’est Elles Comedie que Nordine Ganso passe de la scène ouverte du Diamant Rose au Rocher de Palmer. Jeudi, il sera en première partie de la soirée Sois Belle et Tais Toi Pas qui réunit slameuses, rappeuses, danseuses et les humoristes Candiie et Blanche Gardin. Celles-ci furent elles aussi, à un moment donné, des protégées d’une autre pépinière : le Jamel Comedy Club. De bon augure pour les jeunes humoristes des bords de Garonne.


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