C’est Richard Coconnier, le coordinateur de Bordeaux S.O Good, une nouvelle manifestation bordelaise dédiée à la gastronomie, qui a choisi d’exposer cette série de photographies dans la salle capitulaire de la Cour Mably. Bien qu’il insiste sur le fait de ne pas être spécialiste des arts plastiques, l’ancien directeur du TNBA a pensé que le travail « très authentique » d’Isabelle Rozenbaum était une manière originale de traiter du rapport à la matière animale.
On est en effet très loin de la photo culinaire qui fait florès sur les réseaux sociaux, ces assiettes vite flashées au smartphone et agrémentées d’un filtre cache-misère, une tendance tellement lourde qu’elle a rapidement hérité d’un nom dénonçant ses excès : food porn. Le travail d’Isabelle Rozenbaum, photographe depuis plus de vingt ans, est évidemment aux antipodes.
De l’art avec du cochon
Spécialiste ethno-culinaire, l’artiste a immortalisé au cours de sa carrière aussi bien l’univers de la street food à l’autre bout du monde que celui des grands chefs et du vin, se passionnant notamment pour les rituels, comme par exemple celui du banquet. La série « Carcasses et viscères » qu’elle a proposée à l’organisation de Bordeaux S.O Good se penche sur un rituel paysan, une tradition ancestrale connue sous le nom de « tue-cochon ».
Des photos sur lesquelles on peut observer le corps démembré d’un cochon tout juste sacrifié ou encore ses entrailles soigneusement entreposées dans une corbeille. Isabelle Rozenbaum s’est aperçue qu’elles suscitaient des réactions parfois très vives :
« Le cochon est un des animaux qui possède l’ADN le plus proche de l’homme. Ce patrimoine génétique commun nous interroge forcément sur notre rapport au corps : certaines personnes projettent un homme au-delà de ce corps de cochon. Il est vrai qu’aujourd’hui nous n’avons plus ce rapport à la nourriture, tout est industrialisé, empaqueté, et ce ne sont plus des hommes qui tuent les bêtes, ce sont des robots. »
Couvrez ce rein que je ne saurais voir
Certains professionnels de la filière viande présents dans le cadre de Bordeaux S.O Good ont d’ailleurs un peu tiqué en découvrant que la série de huit photos serait exposée ce week-end. Peur de l’amalgame, peut-être, avec cette matière sanguinolente, comme si ces photos montraient une réalité qu’il faut cacher. Le caractère traditionnel de cet abattage sera donc rappelé dans un texte explicatif à côté des photos, mais aux yeux d’Isabelle Rozenbaum, cette mise à mort rituelle n’a rien de honteux, au contraire :
« Ce type d’abattage est réalisé par un boucher professionnel, très efficace, la bête n’a pas le temps de souffrir. Je n’ai rien contre la boucherie industrielle, mais je m’interroge quand même sur le stress que peuvent éprouver des dizaines de porcs qui gueulent en même temps dans une usine, sentant leur fin arriver. Je ne pense pas que cette mise à mort-là soit moins violente que celle que j’ai photographiée, au contraire. »
Les photos ont été réalisées dans l’Aveyron, près d’un village qui s’appelle Entraygues-sur-Truyère. Anecdote amusante, là-bas on prononce « entrailles ». Isabelle Rozenbaum les a magnifiées, ces viscères, en retravaillant ses photos comme elle le fait toujours, leur donnant une texture qui évoque la peinture – le premier amour de la photographe. Elle évoque, a posteriori, de possibles influences dans ce travail : « Le Bœuf écorché » de Chaïm Soutine, les natures mortes de Jean Siméon Chardin…
« Comme dans une “Vanité”, on peut y voir une évocation de notre vie très furtive dans le monde. Tous ces organes, cinq minutes avant la photo, étaient encore en connexion, en fonctionnement dans le corps. »
C’est la toute première exposition à Bordeaux de l’artiste qui a quitté Paris il y a quelques années pour s’installer à Soulac, dans le nord du Médoc, histoire de redonner de l’espace à son inspiration. On pourra également voir à côté de ses photos les « Natures Mortes Vivantes » du vidéaste Stéphane Soulié – des tableaux mouvants réalisés à partir de nourriture en décomposition –, les « portraits cuisinés » (« Cooking Faces ») de la jeune Énora Lalet ou encore les sculptures réalisées par Bruno Lahontaa en écho aux desserts imaginés par le chef cuisinier Christophe Girardot.
INFOS PRATIQUES
Cour Mably, 3 rue Mably, 33000 Bordeaux.
Vendredi 28 novembre de 12h à 20h (Vernissage à partir de 18h).
Samedi 29 et dimanche 30 novembre de 10h à 19h.
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