Quand il fait ses courses, Christophe commence toujours par diriger son chariot vers le rayon jouets. « Je sais que je peux le laisser là et le retrouver au moment de repartir », sourit sa femme. Christophe Cassutti, 38 ans, sapeur pompier à Blaye, est un AFOL – acronyme en usage pour désigner un « Adult Fan Of Lego ». Un adulte fan de Lego, et fier de l’être :
« Certes, Lego est une marque de jouet, et c’est fait pour les enfants, à la base . En tant qu’adultes, on y joue juste de manière différente. »
Investir dans la brique
Fan loyal, Christophe ne tarit pas d’éloge pour la qualité des produits de la marque danoise et l’exactitude de sa devise originale « is det bedste er ikke for godt » : « le meilleur n’est jamais assez bon ». Christophe se veut formel :
« On n’achète pas des Lego, on investit dans du Lego ! J’ai des modèles de la fin des années 50, tout à fait compatibles avec ce qui est sorti en 2014 et qui sortira en 2015 ! »
Les tenons sont restés identiques au fil des années, faisant des Lego un jouet qui ne se jette pas. Les briques sont toujours raccord, faisant le lien entre les générations. Un matériau parfait pour la nostalgie.
« La rechute se fait souvent quand on retombe sur des Lego à la maison. Dans mon cas, c’était dans le grenier, là où les parents les avaient gardés ! »
Même s’il existe quelques rares TEFOL (Teenagers Fans Of Lego), les Lego ont été en règle générale abandonnés dès la pré-adolescence. « Entre fans de Lego, on appelle cette période le dark age, la période sombre », explique Christophe. Puis arrive le moment où l’adulte remet le doigt dans l’engrenage et, s’accaparant de nouveau du jouet, y porte un regard neuf, et s’adonne à une activité tenant à la fois de la collection et du modélisme. A l’image de Christophe, tout AFOL peut ainsi s’enthousiasmer :
« Je deviens maître de ma ville ! Je deviens maître de ma vie ! »
Du bien à l’égo
Comme toute activité immersive, la fan attitude des AFOL leur permet de déconnecter d’avec les lourdeurs du quotidien.
« C’est aussi un refuge, reconnaît Christophe. Mais je pense que ma femme préfère que je joue aux Lego plutôt que j’aille traîner au bistrot. »
De fait, Maryline, son épouse, s’est résolue à devoir partager une passion « quelque peu envahissante ». Malgré l’existence d’une pièce dédiée, les figurines ont colonisé le salon. Dans la cuisine, la salière et la poivrière sont en Lego… et ce sont des petites briques qui ont servi de décoration pour le gâteau de mariage !
Autre AFOL, Marie-Laure Moulard, 44 ans, conductrice de bus à Bassens, a du organiser son intérieur de façon à pouvoir vivre pleinement son hobby :
« On a une pièce de 25 mètres carrés rien que pour ça. Mais ça ne suffit plus. On attaque la deuxième chambre. »
Neuf et ancien
Toujours à l’affût, l’AFOL ne cesse de faire l’acquisition de nouveaux éléments. Les pièces anciennes sont chinées au gré des vide-greniers et des dépôts-vente, mais « en pratique, d’après Christophe, cela devient très difficile de trouver du vrac à tarif raisonnable », les vendeurs ayant tendance à confondre trésor affectif et véritable fortune. L’oeil rivé sur le site BrickLink, bible des cotations, le collectionneur averti conseille d’éviter les marchés parallèles comme eBay, « un véritable lieu d’arnaques », ou Le Bon Coin, devenu aussi « très compliqué ».
Lorsqu’il achète du neuf, Christophe est marqué par l’ambiguité de la marque :
« Lego prétend construire uniquement pour les enfants, mais a conscience de notre existence, et crée des boîtes clairement destinées à un public d’adultes. Les AFOL ne sont pas si rares à travers le monde, et il y a un réel marché. Quand on voit une boîte sortir à 300 euros, personne n’est dupe qu’il s’agit d’un produit qui est sorti à l’attention des adultes ! »
De qui se MOC-t-on ?
Marie-Laure apporte une précision de nature plus technique :
« Pour ce genre de modèle, il faut aussi être un expert en terme de construction. Ce qu’on arrive à faire, ce serait beaucoup trop compliqué pour un gamin de dix ans ! »
Experts constructeurs, les fans de modélisme s’adonnent aux « MOC », sigle signifiant « My Own Creation » et annonçant des créations personnelles. L’inspiration est souvent synonyme de localisme. Les AFOL bordelais ont ainsi assemblé des reproductions de la façade du Grand Théâtre de Bordeaux, des cabanes tchanquées typiques du Bassin, ou encore du tramway bordelais.
« Passionnée de football, illustre Marie-Laure, j’ai reproduit la tribune présidentielle du stade des Girondins, scapulaire compris, ainsi que la tour qui est à l’entrée du stade, au niveau du virage nord ! »
La méthode : prendre une photo, et faire quelque chose de ressemblant… même si la structure de départ a été une coque d’avion.
Christophe n’hésite pas à mêler sa passion et son métier :
« Comme je suis sapeur pompier professionnel, lorsque j’expose mon univers Lego, il s’agit de 18 mètres carrés, uniquement consacrés aux divers modèles de pompiers produits par la marque depuis 1958, auxquels j’ai rajouté des modèles que j’ai construits moi-même, comme les véhicules que j’utilise dans mon travail. J’ai aussi reproduit la caserne dans laquelle j’ai vécu et travaillé, pendant trois ans à Bordeaux. Un gamin est même venu me trouver un jour avec sa reproduction en Lego de la caserne de la Benauge ! J’ai été bluffé ! »
Jouer et en jouer
Comme toutes les communautés, les AFOL ont leurs clivages, leurs polémiques, leurs codes. Ils s’organisent en LUG (Lego Users Groups). Ils évoquent leur pèlerinage à la Lego Fan Week au Danemark, et, pour les plus chanceux, leur rencontre avec Kjeld Kirk Kristiansen, alias « Triple K », petit-fils du créateur de la marque. Ils rebaptisent « méga beurks » les Mega Bloks, imitations québécoises des briques du Lego Group, et peuvent vous vanter les mérites de l’aspirateur sans sac, « ami du ménage collectionneur ».
« On vit notre passion, peu importe d’être jugé ou pas », tranche Christophe quand on lui demande s’il ne craint pas d’être moqué à la manière d’un « Dîner de Con ». Il va même plus loin : « J’en joue ». Avant d’ajouter :
« Quand j’ai commencé à exposer mes Lego sur un bout de table, mes collègues m’ont clairement regardé bizarrement. Maintenant ils me voient plus comme un expert. Surtout à l’approche de noël, au moment de choisir les bons cadeaux ! »
Les AFOL jouent encore plus de leur côté geek :
« Sur nos expos, c’est un côté assumé. On peut porter une montre Lego ou des lunettes avec des Lego incrustés dans les branches… On s’amuse. »
L’important, pour Christophe et sa communauté, c’est de ne pas laisser ses créations « derrière une vitrine ». C’est pour cela que tous s’impliquent dans une manifestation ouverte au public telle que Fans De Briques Lego :
« Je mets un point d’honneur à garder l’esprit du Lego dans sa fonction première. Les Lego, ça se partage. Je ne veux pas que les gens se soient contentés d’avoir regardé, je veux qu’ils repartent en ayant joué. »
Encore un beau signe de loyauté envers sa marque fétiche, le nom Lego étant la contraction de la phrase danoise « leg godt », qui signifie tout simplement : « joue bien ».
RENDEZ-VOUS POUR LES FANS DE LEGO
Exposition Samsofy (photographie et figurines Lego), du 24 novembre au 7 décembre à l’Hôtel de Sèze. Vernissage le mardi 25 novembre à 19h00.
Festival Ciné-Brique, le vendredi 28 novembre, à 20h00, au cinéma Gaumont – Talence Universités (ouvert à tous)
Fans de Briques Lego, samedi 29 et dimanche 30 novembre, Hangar 14.
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